Marine Le Pen annonce 1,2 milliard d'euros pour la sécurité. Un chiffre trafiqué puisque les mesures liées à l'embauche et l'équipement de forces de police s'élèvent à 8,9 milliards d'euros dans son projet. Sauf que le FN prévoit qu'elles seront financées par la suppression des prestations sociales pour les justiciables d'une peine d'un an ou plus et pour les récidivistes, et par 6,4 milliards d'euros «d'économies liées à la réduction de la délinquance».
- Un chiffrage de l'«insécurité» à 115 milliards d’euros par an
Dans son discours, le FN a beau jeu de dénoncer l’instrumentalisation de l’insécurité par la gauche comme la droite. Nicolas Sarkozy avait même fait de son passage au ministère de l’intérieur le fer de lance de sa campagne de 2007. Mais le parti s’empresse de tomber dans les mêmes travers en alignant des chiffres fantaisistes et en alimentant une vision catastrophiste d’une «insécurité croissante». Non, les 751 zones urbaines sensibles (ZUS) ne sont pas synonymes de zones de non-droit, même s’il existe une surexposition des habitants des ZUS aux vols et dégradations sur les véhicules et deux-roues, ainsi qu'aux vols avec violence (surtout exercés sur des jeunes).
Non, les violences aux personnes n’ont pas augmenté de 45% depuis 2002, mais «seulement» (ce qui n’est déjà pas si mal) de 22% (passant de 381.053 atteintes volontaires à l’intégrité physique en 2002 contre 468.012 en 2011). Et, selon le sociologue Laurent Muchielli, cette augmentation résulte principalement non d’une plus grande violence mais d'une plus forte dénonciation de certains comportements comme les violences intrafamiliales ou les bagarres entre jeunes.
De fait, les enquêtes de victimation montrent même une légère baisse dans les violence aux personnes : en 2009, environ 6,4% des Franciliens ont déclaré avoir été victimes d'une agression contre 6,7% en 2001 (lire l'étude ici).
Le FN évalue le coût global de cette «insécurité» à 115 milliards d’euros par an. Il s’appuie sur une étude de l’économiste Jacques Bichot, commandée en 2010 par l’Institut pour la justice, un groupe de pression qui milite pour un durcissement pénal. Mais l’étude, intéressante dans sa démarche, se révèle peu fiable (lire la critique de l'économiste Thierry Godefroy). Notamment lorsque son auteur se lance dans des estimations à la louche et «au doigt mouillé» (selon son propre aveu) du coût du préjudice moral ainsi que du préjudice diffus d’insécurité causés par chaque infraction. Ainsi du sentiment d’insécurité engendré par les homicides : «On peut faire l’hypothèse qu’en moyenne chacun des 50 millions d’adultes donnerait bien dix euros par an si cela permettait de réduire fortement le nombre des homicides. Soit 500 millions d’euros pour le préjudice diffus d’insécurité.»
Plus généralement quand le FN évoque un «état de violence ambiant», rappelons qu’en France le nombre d’homicides (l’un des actes les plus violents qu’on puisse commettre) a été divisé par deux entre 1995 et 2010...
- La faute à «la hausse continue de l’immigration»
Une fois ce tableau apocalyptique dressé, ne reste plus qu’à en attribuer la responsabilité à «la hausse continue de l’immigration vers la France» et à «l’échec de l’intégration des Français des 2e, 3e et 4e générations». L’assertion est d’autant plus facile qu’il n'existe aucune statistique sur la délinquance des personnes issues de l’immigration (seulement sur la délinquance des personnes de nationalité étrangère). Et la solution saute aux yeux : il faut, selon le FN, «stopper les flux migratoires vers la France». Tout d’abord, on ne comprend pas bien ce que l’arrêt de l’immigration changera, puisque le problème relève selon le FN d’immigrés installés depuis des générations en France.
Ensuite, le FN se garde bien d’expliciter le lien entre immigration et délinquance : serait-ce lié à un caractère ethnique, culturel, à un symptôme de déracinement, assez absurde quand on parle de quatrième génération ? Mystère. La référence aux générations n’est pas anodine et permet de renvoyer ces populations à leur seule identité ethnique (quatrième génération : on parle donc de personnes dont les arrière-grands-parents sont arrivés en France au début du siècle dernier !) sans s’interroger sur d’autres facteurs.
Dans son dernier ouvrage L'Invention de la violence, le sociologue Laurent Muchielli remarque que «l'observation des populations poursuivies par la police et la justice montre qu'il existe bien une importante surreprésentation de cette partie de la jeunesse dans la délinquance». Mais il est selon lui «absurde» de lier ces comportements à une caractéristique ethnique ou culturelle (ce que sous-entend le FN sans jamais l’expliciter). «Le facteur ethnique dissimule en réalité trois autres variables : lieu de résidence (quartier), les résultats scolaires (échec ou orientation vers des filières dévalorisées), la taille des fratries (familles nombreuses)», écrit-il.
A se focaliser sur le critère «issu de l’immigration», on oublie, note Laurent Mucchielli, que «tout indique que la délinquance (de ces jeunes) s'explique globalement de la même façon (problèmes familiaux et scolaires) que celle des jeunes non issus de l'immigration».
- Une «présomption de légitime défense» pour les policiers
Rétablissement de la peine de mort, renforcement des équipes de choc (CRS, gardes mobiles et brigades anticriminalité), aggravation des peines pour violences verbales ou physiques sur un policier ou un enseignant, mise en place d’une présomption de légitime défense pour les policiers : le FN conçoit clairement la lutte contre la délinquance comme une guerre avec les habitants de certains quartiers. Avec un positionnement plus idéologique que réaliste.
Ainsi l’efficacité de patrouilles de policiers en civil (comme le font les BAC), tournant en voiture en attendant un hypothétique flagrant délit, est, selon plusieurs études, plus que douteuse. De même, on voit bien que la suppression de toute aide sociale aux récidivistes et aux criminels condamnés à plus d’un an de prison ne ferait qu’enfoncer des familles entières dans la précarité, et peut-être la délinquance.
Le FN souhaite rétablir les postes de policiers et de gendarmes supprimés depuis 2005 (11.000 et non 19.000 comme avancé) et surtout de les réarmer moralement avec la mise en place d'une présomption de légitime défense. Le FN propose donc d’inscrire dans la loi l’impunité des policiers et des gendarmes, même «au risque de bavures». «Je préfère compter un mort chez les criminels qu'un mort chez les forces de l'ordre», explique Marine Le Pen. Les deux ne sont pas incompatibles, puisqu’on peut imaginer l’escalade de violence à laquelle mènerait ce quasi permis de tirer à vue accordé aux forces de l’ordre.
«On est dans une situation où, dès qu'il y a une arrestation, le policier est convoqué devant sa hiérarchie pour s'expliquer, pour se justifier, parce qu'il est accusé par le délinquant ou le criminel d'avoir dit ceci, d'avoir fait cela», estimait, le 25 janvier, Marine le Pen sur Rue89. Certes, mais ce contrôle est effectué en interne par la police des polices, sans regard externe, ni transparence aucune. L’ONG Amnesty International rappelait ainsi récemment que cinq cas de personnes mortes aux mains de la police depuis 2004 n’avaient toujours pas fait l’objet d’une «enquête exhaustive et impartiale».
Le sociologue Dominique Monjardet, qui a observé nombre de dossiers de bavures judiciaires, décrivait ainsi, dans ses Notes inédites sur les choses policières (1999-2006), le chemin de croix des victimes de fautes policières : «Dénégation, dissimulation, destruction ou manipulation des preuves, mise en cause de la victime, pression sur la famille, intimidation des témoins, sélection du juge, voire secret-défense, rien ne manque à la panoplie des mesures destinées à dissimuler la faute, la minimiser quand ce n'est pas possible, l'excuser quand elle est avérée.»
Grand prince, le FN propose de soumettre au scrutin populaire le rétablissement de la peine de mort. Mais l’alternative du scrutin portant sur l’instauration de la réclusion criminelle à perpétuité réelle, le choix semble quelque peu restreint...
Pour le reste, le FN semble redécouvrir l’eau tiède. Il propose, dans le cadre de la lutte contre les trafics de stupéfiants, de réaliser des «interceptions de conversations téléphoniques et de courriels» et de rémunérer les indicateurs, deux méthodes déjà largement utilisées par la PJ. Dans la même veine, «l’idée d’une injonction civile», permettant d’écarter les «voyous» «des quartiers qu’ils connaissent bien, où ils ont leurs habitudes de trafics, où ils commettent toutes sortes de violences, où ils ont leurs complices de vice», ressemble comme deux gouttes d’eau à l’actuel contrôle judiciaire.