Qui se souvient de la conviction affichée par Nicolas Sarkozy ? «Je suis de ceux qui pensent qu’il n’y a pas de France forte sans l’Europe et qu’il n’y a pas d’Europe puissante sans la France.» C'était le 27 août 2007 à l'occasion de la conférence des ambassadeurs, et c'est peu dire que la situation sur le vieux continent s'est détériorée. Notamment au plan économique.
Avec les refus récents des Irlandais et des Polonais de ratifier le traité de Lisbonne, la tâche du Président en exercice de l'Union, s'est singulièrement compliquée. «On ne peut pas rester les bras ballants», répète Nicolas Sarkozy. La difficulté à traiter les problèmes pratiques autour de l'énergie, de la pêche ou de l'immigration illustre les blocages qui existent au plan institutionnel.
La France saura-t-elle relancer la machine européenne? Pas sûr. D'autant que les désaccords avec certains de ses partenaires, dont l'Allemagne, ou les grandes institutions de la vieille Europe (la Commission, la banque centrale), ajoutés à certaines décisions (le tropisme atlantiste du président) ou une attitude jugée par trop arrogante et égoïste, ont jeté le doute sur la capacité de la France à faire prévaloir l'intérêt général.
Les dirigeants français s'acharnent pourtant à maintenir le cap des ambitions françaises telles que définies depuis quelques mois. Notamment cette idée de la protection: si les citoyens européens ne votent pas pour la construction politique en œuvre, c'est précisément parce que rien n'est fait pour les protéger, estime-t-on à l'Elysée. A Cannes depuis lundi 7 juillet, la France propose un nouveau pacte aux autres pays du vieux continent sur les aspects répressifs et de coopération de la politique migratoire. Un accord est intervenu, notamment avec l'Espagne.
Henri Guaino reprend ici avec conviction l'antienne de la protection. En y ajoutant sa vision volontariste et enténébrée d'une France menacée par tous les spectres, les dumpings de tous poils ou l'immigration irrégulière...
«L'Europe ne peut pas continuer à fonctionner comme elle a fonctionné jusqu'à présent.»
« Si les citoyens n'ont pas le sentiment que l'Europe répond à leurs attentes, se préoccupe de leurs difficultés, les protège, essaye de répondre à leurs préoccupations, il ne peut y avoir qu'une forme de rejet.»
«Il faut que l'Europe accepte de regarder en face les dumpings, écologique, énergétique, industriel, social...»
«La question de l'immigration est une question importante dans la crise identitaire en Europe, d'une certaine façon dans sa crise sociale.»
Le rendez-vous à Paris de l'Union méditerranéene
Le 13 juillet prochain, les 27 Européens, les responsables de la commission, tous les riverains (à l'exception pour l'instant du colonel Khadafi, mais avec l'Algérie au plus haut niveau puisque le président Bouteflika sera présent) viendront à Paris pour le lancement de l'Union méditerranéenne. L'idée de cette nouvelle Union est d'Henri Guaino, reprise dans sa campagne par Nicolas Sarkozy qui a ambitionné un temps d'en faire son grand projet diplomatique.
Il a très vite déchantér. Entre la vision originelle – tendre la main à la Turquie dans l'hypothèse où elle n'intégrerait pas l'Union européenne et fabriquer un grand ensemble de coopération entre les pays du Sud de l'Europe et tous les autres du pourtour méditerranéen – et le protocole qui sera discuté le 13, il y a tellement de modifications et de changements qu'il est permis de parler d'un projet nouveau.
On verra réunis à Paris le 13 juillet et le lendemain, à l'occasion du défilé, un certain nombre de leaders arabes (dont le Syrien Bachar al-Assad) avec le premier ministre israélien. Quarante chefs d'Etat seront présents. Ensuite, l'Union aura une présidence (en principe animée par l'Egypte et la France dans son lancement), un secrétariat permanent et quelques projets ciblés sur lesquels un consensus a été obtenu.
On voit moins Henri Guaino sur ce dossier depuis que le secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, multiplie les déplacements, un jour en Syrie, un autre au Liban ou en Libye. L'affrontement avec l'Allemagne en début d'année, la guérilla permanente de la commission Barroso pour être intégrée à ce projet ont laissé des traces: Henri Guaino n'est plus aux premières loges. Son point de vue est d'autant plus intéressant.
«Si on veut faire la paix au Moyen-Orient, on ne la fera pas sans la Syrie.(...) La venue du président Syrien fait avancer la cause de la paix, oui ou non? Je pense que oui.»
« Ce qui compte en politique, ce n'est pas la morale des intentions, c'est la morale des conséquences. (...) Donc al-Assad à Paris, c'est très bien.»
Henri Guaino tel qu'en lui-même
Henri Guaino a toujours clamé aimer la France par ses cimetières et l'Histoire par ses grands hommes. Cette permanence suffit-elle à expliquer le nombre des ennemis qu'il entraîne dans son sillage?
Ou alors est-ce ce style si particulier qui s'appuie sur sa propre légende – le jeune Guaino s'est bâti par la vertu de son strict courage et de l'ascenceur républicain – qui expliquerait l'incompréhension? Sa liberté dérange. Ou alors son isolement viendrait-il de cette rhétorique d'un autre âge (la IIIe République) mise au service d'idées jugées obsolètes?
Il y a des personnages qui attirent la critique systématique. D'autres qui suscitent l'outrance sans que l'on sache trop pourquoi. Henri Guaino combine les deux avec un régal et une délectation qui pourraient le faire passer pour masochiste. Il n'y a jamais eu beaucoup de gens pour le défendre au temps où il frayait dans les milieux séguinistes et pasquaiens, encore moins en 1995 quand il apportait son bagage intellectuel à un Chirac en plein marasme après la trahison de son "ami de trente ans".
Il y a encore moins de monde pour le soutenir aujourd'hui qu'il a rejoint les ennemis d'hier : Sarkozy, Balladur... La violence réciproque que se vouent les milieux europhiles (à commencer par Jean-Pierre Jouyet, le secrétaire d'Etat ad hoc) et cet ancien commissaire du plan viré par Jospin laisse pantois l'observateur et semble le combler d'aise. L'idée que l'on dise du mal de lui dans les cénacles bruxellois le transporte.
Pourquoi tant de haine? Grand pourfendeur de la pensée unique, Henri Guaino fréquente aujourd'hui les palais nationaux où il occupe le poste envié de conseiller spécial de Nicolas Sarkozy dont il tient la plume. Cela en fait-il une victime désignée au mazoutage? Si l'homme est moins flambant politiquement qu'il y a un an, il reste son meilleur (et son unique?) avocat.
«Ce qui se fait de grand se fait par le dépassement des contraires.»
«Sur l'essentiel, je ne me suis pas renié et lui (Nicolas Sarkozy) non plus. (...) Je n'ai pas un mot à retirer des discours qu'il a écrits.»