Un jour, une mesure. Trois semaines après avoir pris ses quartiers rue de Grenelle, Jean-Michel Blanquer fait montre d’un activisme effréné et multiplie les déclarations médiatiques, des plus anecdotiques aux plus sérieuses. Il a, par exemple, expliqué vouloir généraliser partout les chorales dans les écoles primaires et le collège.
Mais la dernière annonce fracassante concerne le rétablissement du redoublement, sujet hautement polémique sur lequel la recherche scientifique est unanime. Il n’est pas efficace pour juguler l’échec scolaire. Seulement, les parents et les professeurs y sont attachés. Le ministre, pourtant très sensible aux travaux des chercheurs, s’est rangé à l’avis des seconds.
Le ministre de l’éducation nationale a déclaré le 8 juin dans Le Parisien, qui fait sa une sur cette proposition : « Il n’est pas normal d’interdire le redoublement. Il y a quelque chose d’absurde à laisser passer de classe en classe des élèves accumulant les retards. La première des réponses réside dans l’accompagnement tout au long de l’année et dans les stages de soutien que nous créons. Mais, le redoublement doit rester possible quand c’est dans l’intérêt de l’élève, et dans des cas qui doivent rester rares. Autoriser à nouveau le redoublement, ce n’est pas un virage absolu mais c’est une inflexion importante. »

D’abord, le ministre dans cette déclaration s’autorise un petit arrangement avec la vérité. Le redoublement n’a pas été « interdit », mais son recours a été limité. Dans un décret de novembre 2014, Najat Vallaud-Belkacem a rappelé « le caractère exceptionnel du redoublement et en précise les modalités de mise en œuvre avec notamment la nécessité d'un accompagnement spécifique des élèves concernés ». Le redoublement est préconisé dans le cas d’une « rupture des apprentissages scolaires », due à une maladie par exemple. Il peut aussi être un recours lorsqu’il y a un désaccord sur l’orientation d’un élève à l’issue de la classe de seconde.
Cette annonce du ministre a d’autant plus de saveur que l’historien de l’éducation Claude Lelièvre s’est amusé à exhumer, dans un billet publié sur son blog sur Educpros et baptisé Blanquer : un redoublant inconscient ?, une circulaire en date du 16 mars 2010 « où il était dûment indiqué (au chapitre 2.1.2 “Donner sa pleine mesure à l’aide personnalisée”) : “La première mesure de personnalisation du parcours scolaire à l’école est la pédagogie différenciée […]. Elle doit rendre très exceptionnel le recours au redoublement.” ».
Le tout signé de la main du directeur général de l’enseignement scolaire de l’époque, un certain Jean-Michel Blanquer. Difficile de voir la nuance entre ces deux préconisations, quasi identiques à un « très » près.
Le syndicat classé à droite, le Snalc, a soutenu le ministre. Le secrétaire général de SOS éducation, association traditionaliste proche de l’extrême droite, applaudit lui aussi sans surprise la mesure dans une interview au Figaro sobrement titrée « L'interdiction du redoublement était le symbole d'un égalitarisme absurde ».
La bataille est aussi idéologique. La gauche, Najat Vallaud-Belkacem en particulier, a dû composer avec des accusations de laxisme. La droite se place quant à elle sur le terrain de l’autorité. Dans tous les cas, Jean-Michel Blanquer cherche à se démarquer de celle qui l’a précédé. Quelles raisons ont poussé le ministre à opérer ce retour vers le passé ? Les spécialistes s’accordent à dire que le redoublement n’est pas la panacée, loin de là.
Thierry Troncin, enseignant à l’Espé de Bourgogne et responsable des formations, docteur en sciences de l’éducation et coauteur du rapport Les apports de la recherche sur l’impact du redoublement comme moyen de traiter les difficultés scolaires au cours de la scolarité obligatoire avec Jean-Jacques Paul, est l’un des spécialistes de la question. Pour lui, il y a évidemment derrière cette question « un marqueur idéologique ». Il se réfère aux travaux du chercheur belge Hugues Draelants, qui considère que le redoublement apparaît comme l’un des derniers bastions des professeurs où ils peuvent exercer leur pouvoir. « Ils considèrent qu’ils sont les mieux placés pour prendre cette décision, voire utiliser cela comme une menace envers leurs élèves. Cela ne fonctionne pas en réalité. C’est aussi souvent le signe d’une vision un peu élitiste de l’enseignement », précise-t-il.
Denis Meuret, professeur émérite de sciences de l’éducation à l’université de Bourgogne Franche-Comté, livre une analyse analogue : « Refaire du redoublement une habitude serait grave. Depuis une quinzaine d’années, la culture du redoublement a baissé chez les enseignants et les parents. On s’est désintoxiqués en quelque sorte. Si on est gentil avec Blanquer, on peut se dire qu’il veut accroître l’autonomie et veut laisser aux professeurs cette possibilité-là. Mais j’ai été assez étonné qu’il propose cela, car il connaît bien le système éducatif et les études scientifiques. Va-t-il ouvrir la boîte de Pandore et retourner en arrière ? »
Le flou entretenu par le ministre sur le sujet interroge Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du SNES-FSU, syndicat majoritaire du secondaire qui réclame « une clarification ». La responsable syndicale considère que les premiers pas de Jean-Michel Blanquer sont compliqués à cerner, car « on ne connaît pas le fond de sa pensée. On ne sait pas où il veut en venir avec le redoublement. Il veut profiter d’un état de grâce en n’entrant en confrontation avec personne. Espérons que tout ceci sera plus clair après les élections législatives ».
La documentation sur le redoublement est bien fournie. Par exemple, en janvier 2015, le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) s’est penché sur la question dans un rapport intitulé Lutter contre les difficultés scolaires : le redoublement et ses alternatives. On peut y lire qu’en France, « 22 % des élèves ont redoublé au moins une fois avant l’âge de 15 ans, soit le double de la moyenne des pays de l’OCDE (PISA 2015). En France, le taux de redoublement a nettement régressé (– 17 points entre PISA 2003 et 2015). Les élèves qui sont allés moins d’un an en maternelle redoublent davantage (toutes choses égales par ailleurs) ».
Voilà pour les chiffres. Cette régression s’explique par deux facteurs. D’abord, le redoublement a un coût élevé. Il est évalué à 2 milliards par l’Institut des études publiques. Mais surtout, la mesure est jugée peu efficace.
Toujours selon le Cnesco : « Au mieux, le redoublement n’a pas d’effet ou il s’avère dans bien des cas nocif pour la réussite scolaire des élèves. » Plus loin : « Le redoublement n'a pas d'effet sur les performances scolaires à long terme. Quelques études obtiennent des effets positifs à court terme dans des contextes très particuliers (notamment lorsque le redoublement est accompagné d'autres dispositifs de remédiation comme des écoles d'été). Le redoublement a par contre toujours un effet négatif sur les trajectoires scolaires et demeure le meilleur déterminant du décrochage. »
Développer les alternatives
Thierry Troncin confirme ces lignes. Le chercheur rappelle en préalable que le redoublement est l’un des rares sujets éducatifs sur lesquels il y a « un consensus de la recherche scientifique nationale et internationale. Mais il y a une distorsion entre les chercheurs et les acteurs à savoir les parents, les élèves et les enseignants. C’est une question complexe où il faut éviter les jugements tranchés ».
Il remarque aussi que « le redoublement occupe une place à part dans la société. Dès la naissance de notre système éducatif, on a imaginé que si un enfant n’apprend pas tout dans un temps imparti, il doit redoubler. C’est une vision linéaire des apprentissages. En réalité, les enfants dotés de réelles difficultés d’apprentissage sont rares. Dans ces cas-là, on peut l’envisager ».
Pour lui, prôner le redoublement n’augmente pas les performances des élèves, c’est « un trompe-l’œil et même un faux thermomètre de la difficulté scolaire ». Les spécialistes expliquent même qu’un enfant qui aura redoublé aura dans un premier temps de meilleurs résultats dans sa deuxième année, mais que du reste il n’aura pas un meilleur niveau qu'un enfant du même âge avec les mêmes difficultés mais qui n’aura pas dû refaire une année supplémentaire. De toute façon, ajoute-t-il, « dans 95 % des cas, l’efficacité est nulle ou négative ».
Denis Meuret partage ce constat, mais le tempère pour expliquer pourquoi certains professeurs et parents continuent de défendre cette possibilité : « En revanche, une recherche est forcément statistique et ne dit pas que le redoublement n’est utile pour personne. Qu’il y ait de temps en temps un élève qui redouble et tire avantage de son redoublement, cela arrive. On ne sait pas en avance si cela va lui être profitable. Souvent, cela ne lui servira pas. »
Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du SNES-FSU, explique qu’il s’agit « d’un sujet sensible » et que les effets sont multiples. Elle résume l’équation ainsi : « L’enfant aura un destin scolaire affaibli, car il aura intériorisé qu’il est moins bon. Cela conditionne la suite, sans compter qu’il aura perdu une année. »
Tous les scientifiques pointent aussi les effets psychosociaux du redoublement. Cela entame la confiance en soi de l’enfant, qui se sent déprécié par rapport aux enfants du même âge. Thierry Troncin est formel, « cela stigmatise les enfants vis-à-vis de leurs camarades et oriente le regard des enseignants qui recueillent dans leur classe un redoublant ». Denis Meuret y apporte un léger bémol, expliquant que les redoublants se retrouvent avec des plus petits qu’eux, aux yeux desquels ils apparaissent comme les « grands », ce qui peut atténuer l’humiliation. Il insiste surtout sur le fait que les effets du redoublement sont moins négatifs sur l’image de soi que sur les performances scolaires.
Sans compter que la décision est parfois « injuste », insuffisamment motivée. Parfois, elle dépend seulement de la politique de l’établissement. Bien entendu, sur le terrain, certains professeurs, notamment au lycée, regrettent la difficulté de faire redoubler un élève. Les études, il est vrai, se sont principalement concentrées sur l’effet du redoublement à l’école primaire, là où l’apprentissage des fondamentaux se fait. Peu de données sérieuses existent sur le lycée, confirme pour sa part Denis Meuret.
Le Cnesco recommande de trouver des alternatives et de renforcer l’accompagnement ou le tutorat. Ce qui est précisé par ailleurs dans le décret de Najat Vallaud-Belkacem. Les classes à effectifs réduits permettent par exemple d’agir en amont sur les difficultés scolaires, car elles peuvent permettre « aux enseignants de modifier leur pédagogie en consacrant davantage de temps, d'attention à chaque élève ». Seulement, dans les faits, il existe peu d’accompagnements personnalisés, faute d’espace et de moyens mais aussi de volonté politique. La réforme du collège a par exemple tenté de pallier ce manque. Le dispositif « Plus de maîtres que de classes » aussi. Seulement, le sort de ce dernier est encore incertain.
De son côté, Thierry Troncin suggère de renforcer le réseau d'aides spécialisées aux élèves en difficulté, les RASED, « qui ont été maltraités ces dix dernières années », en y réinjectant des financements. Sur les économies réalisées par la marginalisation du redoublement, par exemple.
Valérie Sipahimalani est convaincue de la nécessité de trouver des voies alternatives. « C’est une idée compliquée à faire passer, y compris auprès de nos adhérents. Le problème, c’est qu’on n’a jamais eu des moyens supplémentaires pour nous permettre de travailler en petits groupes sur tout le territoire national pour ne pas créer de nouvelles inégalités. »
Ce débat, plus complexe qu’il n’y paraît, mérite qu’une véritable réflexion soit engagée. Thierry Troncin aimerait que ce débat soit ouvert de manière sérieuse pour agir sur les difficultés scolaires, la véritable solution qui pourrait mettre fin, de fait, à l’usage du redoublement.