Montpellier (Hérault).– Minimiser, nier et faire endosser la responsabilité à un autre : telle est la ligne de défense déployée par les prévenus, jugés devant la cour d’appel de Montpellier, ce vendredi 9 décembre 2022. Leur stratégie n’a pas payé. Le procureur s’est dit convaincu de leur culpabilité et a requis la confirmation de leurs peines. Le jugement a été mis en délibéré au 28 février 2023.
Ils sont quatre, sur les sept condamnés en première instance, à avoir interjeté appel. L’ex-professeur de droit Jean-Luc Coronel de Boissezon et sa compagne Patricia Margand, Thierry Vincent, un militaire à la retraite, et Martial Roudier, fils du fondateur du groupuscule identitaire de la Ligue du Midi.
Les trois premiers ont, en juillet 2021, été condamnés à six mois de prison ferme. Le dernier, à un an ferme. Le professeur Coronel avait également écopé de l’interdiction d’exercer dans la fonction publique pendant un an. Sur ce dernier point, Serge Cavaillez, le procureur, a aussi demandé la confirmation de la peine.

Les quatre prévenus étaient rejugés pour leur participation au désormais tristement célèbre « commando » de la fac de droit de Montpellier. Dans la soirée du 22 au 23 mars 2018, un groupe armé de planches de bois et d’un taser avait fait irruption dans un amphithéâtre pour déloger plusieurs dizaines d’étudiant·es qui protestaient contre la loi relative à l’orientation et à la réussite éducative.
Une évacuation brève – à peine deux ou trois minutes – d’une grande violence, documentée par une série de vidéos (voir notre article). Plusieurs étudiants avaient été blessés, notamment à la tête.
L’ancien doyen Philippe Pétel, condamné en 2021 pour complicité de ces violences, avait écopé de 18 mois de prison avec sursis et d’une interdiction d’exercer dans la fonction publique pendant deux ans. N’ayant pas fait appel, il n’était pas présent à l’audience, ce vendredi.
Mais son nom et surtout son implication ont abondamment nourri les débats.
Philippe Pétel a été maintes fois désigné, par Jean-Luc Coronel et sa compagne, comme le véritable instigateur de l’attaque. Celui qui prépare et décide, seul, de lancer un assaut, quand, eux, se contentent d’exécuter.
Des sympathisants ou militants d’extrême droite
« Il a bon dos, Philippe Pétel ! », s’est écrié l’avocat de l’université, unique partie civile dans cette affaire. « Il n’est pas là et les absents ont toujours tort. Il a une responsabilité et ne l’a pas contestée. Mais on veut tout lui mettre sur le dos ! », a-t-il poursuivi dans sa plaidoirie.
En première instance, le rôle « central » avait plutôt été attribué à Patricia Margand, désignée par le procureur de l’époque comme « l’élément qui relie tout le monde […], qui recrute et pilote ».
Le soir des violences, la compagne du professeur Coronel l’avait rejoint à la fac, accompagnée de ses amis, des militants ou sympathisants d’extrême droite. Ceux-là mêmes qui vont participer à l’évacuation manu militari de l’amphithéâtre. Quelques heures plus tôt, ils assistaient tous ensemble à une conférence de la Manif pour tous contre la PMA (procréation médicalement assistée), au château de Flaugergues, à Montpellier.
Interrogée par le président de la cour d’appel, la quinquagénaire réfute ce rôle central. « Au minimum, vous êtes une interface. Au pire, une organisatrice. Sous quelle étiquette êtes-vous la plus à l’aise ? », lui demande-t-il.
D’une voix bien moins intimidée qu’en première instance, elle répond : « Certainement pas une instigatrice. » Puis elle charge l’ex-doyen Pétel. Selon elle, il s’est montré « très intéressé » par la venue de ses amis, perçus comme un possible renfort. « Il nous a expliqué ce qu’il voulait faire, il nous a expliqué son plan. »
« Mais vous n’étiez pas obligée d’y souscrire !, répond le président.
— C’était lui, l’autorité légitime », justifie Patricia Margand.
Le « plan Pétel » face au « plan Coronel »
Son argument sera balayé quelques heures plus tard par le procureur, pendant ses réquisitions. « Dans cette affaire, on essaie de se retrancher derrière l’action sous le commandement de l’autorité légitime qui pourrait exonérer de la responsabilité. Mais cela exclut, et le Code pénal est clair, les actes illégaux. Et chasser ces personnes à coups de taser et de planches, ce n’est pas un acte légal du tout ! », tranche Serge Cavaillez.
Questionnée sur les cagoules dont disposaient ses amis, Patricia Margand a une explication.
« Elles venaient du service d’ordre [qu’ils assuraient] au château de Flaugergues.
— Ils avaient besoin de cagoules pour faire le service d’ordre ?, s’étonne un assesseur.
— Ça se fait, il paraît, sourit-elle.
— Ça se fait chez qui ? »
Pas de réponse.
Interrogé en dernier, Jean-Luc Coronel livre un récit similaire, accablant l’ex-doyen. « Il va être extrêmement intéressé et rassuré qu’il y ait des effectifs nouveaux », dit le professeur, à propos de l’arrivée de Patricia Margand et de ses amis. « Ce que je ne sais pas, et que je vais comprendre ensuite, c’est que le doyen présente un plan qui a été mûri sans que je n’en aie été informé. Un plan audacieux, sinon téméraire », poursuit-il, dans un phrasé toujours châtié.
Lui jure avoir proposé un autre « plan ». Celui d’organiser une assemblée générale le lendemain, en présence d’étudiant·es de la fac de droit opposé·es au blocage. Et de déloger ainsi les occupant·es de l’amphithéâtre, qui n’appartiennent pas à la fac de droit. Opposant le « plan Pétel » au « plan Coronel », il le maintient : l’ex-doyen a décidé, seul, de l’intervention.
« Il ne s’agissait pas d’un commando et je n’y étais pas à la tête », insiste-t-il, face à l’avocat de la partie civile. « Donc vous n’avez dans ce dossier aucune responsabilité ?, lui demande ce dernier.
— La cour en jugera. »
Martial Roudier continue de nier sa présence
Coronel réfute ensuite avoir commis des violences, lui qui a été mis en cause par deux témoignages. « Au mieux, ils se trompent. Au pire, ils mentent », rétorque Jean-Luc Coronel. « Si on comprend bien, dans cette affaire, tout le monde ment, sauf vous ! », raille le procureur.
Plus tard, dans ses réquisitions, il dira, à propos du professeur : « Coronel, c’est la totale ! C’est fromage et dessert : à la manœuvre pour l’organisation et à la manœuvre également – et malheureusement – pour la commission des violences. La culpabilité ne fait aucun doute. »
Serge Cavaillez se montre tout aussi convaincu de la culpabilité de Martial Roudier, le seul à avoir toujours nié toute implication, y compris sa présence dans l’enceinte de la fac, ce soir là.
L’homme a un casier judiciaire très étoffé. Six condamnations entre 1993 et 2013, dont quatre pour des violences. Il a notamment été condamné à quatre ans de prison, dont deux avec sursis, pour avoir poignardé dans le dos un militant antiraciste de 16 ans, en 2008.
Ses condamnations sont égrenées pendant de longues minutes par le président. Puis le procureur enchaîne : « Après cela, comprenez-vous qu’on vienne douter que vous n’ayez pas participé aux événements ? » « C’est évident que mon casier pèse lourd dans la balance », répond Martial Roudier.
Des étudiants, membres du commando ?
Il le martèle : il n’a rien fait et était en dehors de l’enceinte de la fac, en train de couvrir l’événement, avec un collègue, en qualité de « journaliste bénévole », pour le site internet identitaire Lengadocinfo. Martial Roudier faisait partie de la bande d’amis de Patricia Margand et l’avait accompagnée « car ce qu’il se passait à la fac était un scoop ».
Problème : son binôme de l’époque a affirmé ne pas l’avoir croisé ce soir-là. Puis Patricia Margand, face aux policiers, l’a désigné comme membre du groupe ayant délogé les étudiant·es, avant de revenir sur ses déclarations. Dernier élément à charge : des vêtements et chaussures correspondant à ceux d’un assaillant, casquette vissée sur la tête, ont été retrouvés au domicile de Martial Roudier.
Des vêtements « très répandus », s’est-il justifié, allant même jusqu’à montrer l’étiquette de son pantalon au président de la cour. « C’est la marque Celio, je porte toujours ça, parce que ma mère m’offre des cartes cadeaux Celio pour mon anniversaire. »
Le prévenu donne ensuite son avis, sur la composition du groupe ayant mené l’assaut :
« Je suis désolé de le dire, mais le commando, il n’est pas là.
— Vous voulez dire que ce sont des étudiants qui occupaient ce commando ?, interroge le président.
— Au moins la moitié. Ce n’est pas logique qu’ils ne soient pas là. Les gens qui sont assis derrière moi [les prévenus – ndlr], ils n’ont pas la stature, malgré toute la sympathie que j’ai pour eux. En face, les mecs [les étudiants bloqueurs – ndlr], ils sont chaud et ils bénéficient d’une impunité absolue. »
C’est un petit rebondissement. Aucun étudiant n’avait, jusqu’alors, été désigné comme faisant partie du commando. Dans son témoignage face à la cour d’appel, le professeur Coronel a d’ailleurs lui aussi lancé ce lourd sous-entendu : « Il y avait là aussi des personnes que je connaissais pas, des étudiants je suppose. »
Lors du premier procès, l’absence de certains membres du commando avait été dénoncée par les parties civiles. Huit étudiants qui s’étaient désistés dès le début de l’audience, dénonçant « une accusation partiale et incomplète » et la volonté « de ne pas rechercher tous les membres du commando armé ». En appel, Martial Roudier a d’ailleurs dit « partager [leur] point de vue ».
Le procureur a néanmoins requis contre lui la même peine, 12 mois ferme, mais y a ajouté la possibilité d’une surveillance à domicile, sous bracelet électronique. Le membre de la Ligue du Midi était le seul, en première instance, à ne pas en bénéficier. « Si la cour décide d’un aménagement, ce ne sera pas excessif », a donc suggéré Serge Cavaillez.
Enfin, à propos de Thierry Vincent, le dernier prévenu, le procureur a écarté l’argument de « l’état de nécessité ». Le militaire, colonel à la retraite, est le seul à avoir totalement assumé sa participation et les violences. Tout en estimant n’avoir rien commis « d’illégal », en agissant sous les ordres du doyen, et surtout dans l’intérêt de la fac, occupée par « des professionnels de l’agitation […], des gens qui ne sont pas peace and love ».
« La meilleure solution aurait été que le préfet fasse son travail [et ordonne à la police d’intervenir – ndlr]. La pire, était de laisser la fac aux anarchistes. On a trouvé une solution médiane. »
Selon Thierry Vincent, l’ex-doyen Pétel « a été traîné dans la boue [et] aurait dû être félicité ».
À deux reprises, le militaire a aussi évoqué l’attentat commis au Bataclan en 2015. Et osé la comparaison : « J’ai agi comme j’espère que j’aurais agi au Bataclan. [...] J’aime bien cette image... Si des gens étaient intervenus, il n’y aurait pas eu de morts. » À ce moment-là, l’assesseur l’interrompt : « La comparaison me gêne, c’est une opinion personnelle... »
Silence dans la salle.
Le procureur reprend : « Vous avez parlé d’évacuation à moindres frais, mais pour qui ? » « Pour la fac », répond le colonel à la retraite, citant un autre campus de Montpellier, longuement occupé et dont les dégâts constatés ont été estimés à 300 000 euros.
Un rassemblement contre la réintégration de Coronel
À propos des coups portés à la fac de droit, Thierry Vincent parle de « violences raisonnables ». « La plupart des étudiants ont eu un jour d’ITT. C’était pas extraordinaire », minimise-t-il, glaçant.
Dans son réquisitoire, le procureur s’adressera à lui : « Rien, absolument rien ne saurait justifier que l’on se soit cru autorisé à se substituer aux autorités publiques. » Et demande que la peine du militaire, 12 mois de prison dont six avec sursis, soit confirmée.

Concernant le professeur Coronel, si sa peine est confirmée, il ne pourra pas réintégrer la fac de droit de Montpellier en 2023. Mais tout dépendra de la décision du tribunal.
Car sur le volet disciplinaire, la révocation à vie décidé en première instance a été réduite en appel à quatre ans d’interdiction d’enseigner. Ce qui pourrait lui permettre de revenir en début d’année prochaine. Le ministère de l’enseignement supérieur et l’université, qui ne veut plus le voir dans ses rangs, ont porté l’affaire devant la Cour de cassation, mais le pourvoi n’est pas suspensif.
Une cinquantaine de personnes se sont rassemblées devant la cour d’appel de Montpellier, en marge du procès, contre sa possible réintégration et pour une sanction pénale lui interdisant d’enseigner. Selon Jean-Jacques Gandini, de la Ligue des droits de l’homme, la présence de Jean-Luc Coronel face à des étudiant·es pose un sérieux problème. « Il est d’extrême droite. Ça le regarde, bien sûr. Mais il est chargé d’enseigner le droit et toutes les valeurs que cela représente. »
Il cite en exemple la présence du professeur lors de la manifestation d’extrême droite réclamant « justice pour Lola », en octobre dernier, et récupérant le drame de cette enfant suppliciée à Paris.

Jean-Jacques Gandini souligne aussi que Coronel a participé, début décembre, à un « Forum de la dissidence », en compagnie d’une partie de l’extrême droite française et dont la tête d’affiche était Renaud Camus, théoricien du « grand remplacement ».
C’est le média montpelliérain Le Poing qui a repéré la participation du professeur de droit. Son intervention s’intitulait : « Faire face aux persécutions universitaires ». En guise de présentation, ces quelques lignes : « Comment le fait d’avoir brièvement évacué des occupants extérieurs et illégaux voulant bloquer une fac contre la volonté des étudiants peut-il aboutir à la révocation d’un universitaire et à sa condamnation à de la prison ferme ? La crise de l’université se double d’une volonté épuratrice sous la présidence Macron. »
Interrogé par l’avocat de la partie civile, voulant savoir s’il « cautionnait » ce propos, Jean-Luc Coronel a de nouveau évacué toute responsabilité : « Je n’ai évidemment pas rédigé la chose. »
« Ce n’est pas un dossier politique mais il a quand même des connotations politiques, conclura l’avocat représentant l’université, dans sa plaidoirie. On prône la réaction par la violence et, pour certains, on s’en félicite. Je n’ai pas entendu beaucoup de regrets, j’ai entendu beaucoup de minimisation. »