Après l'UMP et l'avocat Thierry Herzog, c'est au tour de BHL de se lancer à corps perdu dans la polémique sur les écoutes téléphoniques de Sarkozy. L'outrance le dispute à la grandiloquence. La magistrature est à nouveau sur le bûcher. Or, rappelons-le à ceux qui auraient la mémoire courte, c’est souvent au niveau de violence des attaques lancées contre les juges que l’on peut mesurer les enjeux d’une affaire.
Lorsqu’il avait été « inculpé » dans l’affaire Urba pour ses fonctions passées de grand argentier du PS, le président de l’Assemblée nationale, Henri Emmanuelli, recevait des journalistes et lançait des imprécations délirantes contre le juge Renaud Van Ruymbeke, alors soupçonné de régler des comptes personnels avec la gauche.
Ce même magistrat sera vilipendé publiquement par Nicolas Sarkozy, une quinzaine d’années plus tard, pour avoir osé effectuer des vérifications bancaires sur un éventuel compte « Nagy Bocsa » dans l’affaire des frégates de Taïwan, et avoir reçu des listings trafiqués de Jean-Louis Gergorin dans ce qui allait devenir l’affaire Clearstream. Depuis, les faits ont montré que le magistrat n’avait rien à se reprocher dans ces deux affaires, et qu’il se contentait de faire son travail. « Juges rouges » ou « petits juges », qu'ils soient accusés de détester l'argent ou de vouloir renverser les politiques, les juges d'instruction dérangent.

« Jouer le juge » peut alors devenir une arme, dans une stratégie de diversion ou d'enlisement, pour peu que de puissants intérêts politiques, économiques, diplomatiques ou financiers soient en jeu. Voici vingt ans (en 1994), Éric Halphen avait ainsi failli être la victime d’un traquenard monté par la police judiciaire de Charles Pasqua, cela avec la complicité de son beau-père, le docteur Maréchal, et au moment précis où son enquête sur les fausses factures des HLM de Paris menaçait d’éclabousser le département voisin des Hauts-de-Seine. Le juge Halphen avait bien failli être dessaisi de son dossier, jusqu’à ce que François Mitterrand en appelle avec raison au Conseil supérieur de la magistrature (CSM).
Les juges d'instruction Eva Joly (dans l’affaire Elf) et Isabelle Prévost-Desprez (dans le dossier Sentier/Société générale) ont, pour leur part, subi des procès en incompétence et des attaques sexistes, lancés par des mis en examen (Loïk le Floch-Prigent ou Daniel Bouton notamment) et leurs avocats. Plus récemment, c’est le juge Jean-Michel Gentil qui a été accusé publiquement d’avoir piloté les conclusions d'une expertise médicale de Liliane Bettencourt. À tort.
La raison d’État, elle aussi, pèse d'un poids non négligeable. Le juge Patrick Ramaël, qui était chargé des affaires Kieffer et Ben Barka, et a réussi à fâcher les dirigeants de la Côte d’Ivoire et ceux du Maroc, a ainsi eu droit à des poursuites disciplinaires déclenchées pour de mauvais prétextes, avant d’être blanchi.
Dans ce type d'affaires, en fait, tout est bon pour déstabiliser le juge, qui n’a pas le droit de répondre aux attaques lancées contre lui, étant soumis à la fois au devoir de réserve et au secret de l’instruction. C'est toutefois de ce juge d'instruction, trop indépendant, que Nicolas Sarkozy avait annoncé la suppression en 2009.

« J'observe que M. Tournaire est un juge qui, depuis un an, a placé sur écoute l'ancien président Sarkozy et deux anciens ministres de l'intérieur », lance Thierry Herzog. « J'observe que l'une des juges, venue perquisitionner à mon cabinet, est membre du Syndicat de la magistrature. Elle en a été vice-présidente. À ce titre, elle doit assumer “le mur des cons” », poursuit l'avocat.
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« Et enfin, le juge Daieff qui s'est déplacé à mon domicile niçois est, avec les deux autres, un des magistrats qui, très curieusement, instruisent l'affaire Tapie/Crédit lyonnais. Ce n'est pas tout. Ces juges ont également pris des positions politiques affichées, en signant le manifeste des 80 juges d'instruction qui dénonçaient les dix années de la politique pénale menée sous l'ère de Nicolas Sarkozy. Vous me permettez de dire qu'il y a quelques raisons de s'inquiéter, non ? », s’indigne l’avocat et ami de l’ex-chef d’État. Autant d'amalgames et d'insinuations qui font fi du droit des magistrats à se syndiquer, et du fait que les juges d'instruction sont codésignés pour travailler en collégialité.
Jouer la procédure est également chose courante dans les affaires sensibles. Complexe, la procédure pénale offre plusieurs voies de recours aux avocats de la défense, qui peuvent en faire usage et ne s’en privent pas (demandes auprès du juge d’instruction, du juge des libertés et de la détention, de la chambre de l’instruction et de la Cour de cassation). Là aussi, les moyens mis en œuvre pour contester la procédure par de gros cabinets d’avocats donnent un indice de l’importance du dossier. On l’a vu récemment avec la guérilla procédurale dans l’affaire Bettencourt.