Mediapart part en campagne pour la liberté et le pluralisme de la presse

Mediapart, votre journal payant d'information en ligne, n'a que deux mois d'existence. Deux mois qui ont déjà prouvé que notre pari, loin d'être fou, était réaliste. Le nombre d'abonnés a été doublé, atteignant aujourd'hui les 7.200. Le nombre de visiteurs uniques avoisine les 300.000. Il nous faut maintenant transformer l'essai : doubler nouveau le nombre d'abonnés, pour atteindre 14.000 durant l'été ; faire connaître la richesse de Mediapart à un public plus large ; l'installer comme l'exemple d'une presse libre réinventée. C'est pourquoi nous partons en campagne...

Cet article est en accès libre.

Pour soutenir Mediapart je m’abonne

Dans le paysage médiatique actuel, Mediapart est à part, et l'assume. A part, à tous points de vue. C'est un site, mais c'est aussi un journal. Un média numérique, mais aussi une presse classique. Un journalisme moderne, mais dans la fidélité aux traditions. Un journal de journalistes, ne dépendant que de ses lecteurs, quand, presque partout ailleurs, d'autres intérêts et d'autres contraintes interviennent ou pèsent. Un journal payant, pariant sur la fidélité et l'adhésion de ses lecteurs, quand la vulgate du moment n'a que la gratuité en tête, avec la course à l'audience et la dépendance publicitaire comme conséquence et perdition. Un journal exigeant, qu'il faut prendre le temps de découvrir avant de s'inventer ses habitudes de lecture, quand, ailleurs, la facilité, l'immédiateté, la superficialité, les modes éphémères et les renoncements durables l'emportent.

Evidemment, un tel programme encourt le reproche d'arrogance, et il viendra forcément dans les commentaires, animant le débat participatif. Autant l'affronter d'emblée. Quelle drôle d'époque, basse et mesquine, que celle où l'ambition, professionnelle et démocratique en l'espèce, est immédiatement moquée et dévaluée. Notre presse irait donc si bien et notre démocratie avec elle pour que l'on puisse se passer de rêves, de défis, de risques réalistes et d'utopies concrètes ? A part, Mediapart se veut en effet au cœur. Au cœur des enjeux soulevés par la crise historique que traverse aujourd'hui la presse française. Au cœur de toutes les questions qu'elle soulève et de toutes les remises en cause qu'elle appelle : culture professionnelle, relation avec les lecteurs, modèle économique, nécessité démocratique, etc. 

Il est temps que le journalisme libre se batte, enfin. Pas le dos au mur, mais drapeau déployé. Pas en s'arrangeant d'un sort peu enviable, mais en s'inventant un avenir nouveau. Pas seulement contre, mais pour. Pour que l'information ne soit pas une marchandise, ni un support publicitaire. Pour que nous ne vivions plus dans un univers où les médias sont partout et l'info nulle part, comme le disaient fort bien, il y a un an, des manifestants étudiants. Pour que l'information ne devienne plus une distraction, mais retrouve sa valeur d'usage essentielle, démocratique, indispensable à des lecteurs citoyens. Pour que le journalisme, au lieu de s'accommoder des pouvoirs, de leurs privilèges et de leurs corruptions, relève le défi de l'intelligibilité et de la compréhension du monde et du présent, sans lequel il n'est pas de communauté démocratique véritable et vivante.

C'est tout cela que Mediapart va décliner dans les prochains jours, sur tous supports, on et off line. Avec l'aide formidablement créatrice de l'agence TBWA MAP et les conseils avisés du président de TBWA France, Nicolas Bordas, nous allons dire, avec un peu plus de voix et un peu plus de visibilité, ce que nous sommes et ce que nous voulons. Cette campagne, à la fois d'information et d'abonnement, commence dimanche 25 mai, et vous serez, ici même, tenus au courant chaque jour de ses événements et de ses surprises. Si vous êtes déjà un fidèle abonné de Mediapart, cette campagne est aussi la vôtre : vous pourrez reprendre le matériel proposé, en faire des prospectus, des tracts et des affiches, le diffuser par courrier, électronique ou traditionnel, bref, vous en emparer en le complétant comme bon vous semble. Et ainsi recruter autour de vous des abonnés. Depuis ce vendredi matin, tous les abonnés de Mediapart à la date du 21 mai peuvent, de nouveau, offrir cinq abonnements gratuits, sous forme de parrainages, valables jusqu'au 10 juin.

Pour que les informations de cette campagne soient ouvertes à tous et qu'elle permette à ceux qui ne nous connaissent pas encore de nous découvrir avant, nous l'espérons, de s'abonner, nous créons aujourd'hui, dans le Club qui est en accès libre, une édition participative dédiée à cette campagne et à la découverte de Mediapart. Dès maintenant, vous y trouverez des vidéos en forme de guide du visiteur ou de mode d'emploi. Vous pouvez y lire une sélection d'une vingtaine de nos articles et enquêtes mis en ligne depuis le 16 mars. Puis vous pourrez, au jour le jour, télécharger le matériel de la campagne. Et évidemment réagir, proposer, discuter et commenter. Durant cette même période, nous avons décidé de laisser en accès libre certains des articles du journal, signalés comme l'est celui-ci par un petit soleil contenant un cadenas ouvert. Tous les visiteurs de Mediapart pourront les feuilleter pour se faire une idée du journalisme ici pratiqué.

Cette campagne de Mediapart coïncide avec une démarche officielle auprès de la Commission paritaire des publications et agence de presse (CPPAP), autorité administrative indépendante placée auprès des services du premier ministre. Vous trouverez, sous l'onglet « Prolonger » de cet article, deux documents qui la détaillent : le mémoire et l'argumentaire juridiques établis par notre conseil, le cabinet Lysias. Mediapart demande tout simplement à être reconnu comme un journal, ce qu'il est au regard de la loi de 1881 et des principes constitutionnels, au même titre qu'un journal papier. Indépendants, nous ne demandons aucune aide de l'Etat, aucune subvention, aucun passe-droit. Nous demandons seulement l'égalité. Au-delà de son évidence de principe, cette égalité comporte, pour la presse en ligne payante, un enjeu vital : le taux de TVA qui lui sera appliqué.

Le pluralisme, principe constitutionnel : se battre à égalité d'armes

Ordinairement de 19,6%, ce taux est, pour la presse, de 2,1%. Tout comme le taux réduit pour le livre, c'est pour la puissance publique une façon de soutenir non pas une industrie, mais un principe : celui de la diffusion la plus large et la plus accessible possibles des informations et des idées. Or ce taux est toujours refusé à la presse payante en ligne, avec constance, malgré les efforts méritoires d'un député UMP, Patrice Martin-Lalande. Et malgré les recommandations, l'an passé, du rapport de Marc Tessier sur La presse au défi du numérique, où l'on pouvait lire notamment ceci : « Le soutien aux offres payantes apparaît un instrument en faveur du pluralisme. Il ne s'agit pas de remettre en cause le modèle de la gratuité mais d'améliorer la diversité de l'offre en soutenant les offres payantes. »

L'allusion au pluralisme n'est pas anodine. Il s'agit en effet d'un «principe de valeur constitutionnelle», fermement rappelé dans des contextes politiques différents par le Conseil constitutionnel. Dans une décision du 11 octobre 1984, le Conseil a en effet considéré que « le pluralisme des quotidiens d'information politique et générale est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle », formule reprise dans une décision du 29 juillet 1986 qui la développe : « Le pluralisme des quotidiens d'information politique et générale est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle : en effet, la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ne serait pas effective si le public auquel s'adressent ces quotidiens n'étaient pas à même de disposer d'un nombre suffisant de publications de tendances et de caractères différents. »

Est-il vraiment besoin d'insister pour démontrer que ce pluralisme est aujourd'hui en recul ? Pour la diffusion de sa presse, la France est trente et unième à l'échelle mondiale et douzième en Europe. Avec moins de 160 exemplaires diffusés pour 1000 habitants, elle se classe derrière la Belgique. Elle ne compte plus aucun quotidien payant atteignant ou dépassant le million d'exemplaires diffusés, alors que le Royaume-Uni, de population équivalente, en compte cinq. Loin de marquer un réveil, toutes les manœuvres financières dont elle fait actuellement l'objet vont dans le sens d'une normalisation, éditoriale et économique, dont le journalisme indépendant, de qualité et d'enquête, ne sortira évidemment pas vainqueur. Car cette même presse en crise fait payer les erreurs de ses dirigeants et de ses actionnaires à ses rédactions et à ses lecteurs : elle multiplie les réductions d'effectifs tout en ne cessant d'augmenter son prix, au point d'être la plus chère d'Europe.

Surtout, elle est aussi la plus subventionnée d'Europe. Et c'est là que notre démarche auprès de la CPPAP recouvre un enjeu démocratique qui va bien au-delà du seul sort de Mediapart. Car la presse papier en place, celle-là même qui bénéficie légitimement d'une TVA réduite alors qu'elle est refusée à la presse payante en ligne, reçoit des aides publiques pour le développement de ses services en ligne. Selon les titres, cette année, elles ont parfois atteint le million d'euros. C'est comme si l'argent allait à l'argent, épuisant encore plus le pluralisme. C'est comme si tout était fait pour empêcher l'irruption durable de nouveaux entrants parce qu'ils risquent de bousculer les citadelles installées en revenant aux sources du journalisme grâce à la Toile.

Mediapart mêle passé et futur, invention et fidélité. C'est le laboratoire d'une presse payante, plus que quotidienne, journalière puisque paraissant sept jours sur sept, sur le Net. Et d'un journalisme qui repense et remet en cause sa relation aux lecteurs, lecteurs désormais contributeurs. Nous ne prétendons évidemment pas être le seul modèle. Nous ne démonisons pas indifféremment toutes les formes de gratuité – elle recouvre aussi l'échange et le partage – ou de publicité – elle peut aussi défendre des idées et des causes. Nous demandons seulement que Mediapart puisse se battre à égalité d'armes pour pouvoir relever son défi sans entraves injustes et inégalitaires. A nous ensuite, avec votre aide, de gagner ce pari fou d'un journal libre parce que payant dans le monde de la gratuité marchande, illusoire et trompeuse. A nous tous de prouver la viabilité de ce modèle aussi exigeant qu'enthousiasmant.

Le président mondial de TBWA, Jean-Marie Dru, a théorisé un concept, aujourd'hui enseigné dans les universités : la disruption. Résumé brutalement, c'est ce qui permet d'échapper aux conventions du moment pour atteindre la vision de demain. Oser se battre à contre-courant. Ne pas suivre. Se différencier. Assumer ses audaces. D'ailleurs, Apple doit à TBWA son «think different». En découvrant la campagne de Mediapart, vous comprendrez encore mieux que cette rencontre inattendue et improbable, entre des citoyens journalistes et des citoyens publicitaires, était inévitable. Elle se passe en temps d'anniversaire et de commémoration, tropisme passéiste que n'a guère épousé Mediapart, préférant s'occuper du présent – y compris du présent des acteurs anonymes de 1968. Mais il reste tout de même de la promesse démocratique lancée par les pavés libertaires de Mai, et toujours inaccomplie, ce slogan poétique auquel nous restons intensément fidèles : «Soyons réalistes, demandons l'impossible».

Voir les annexes de cet article
Voir la Une du Journal