France

Architectes et PME du bâtiment craignent d'être privés de marchés publics

Un texte de loi présenté mercredi à l'Assemblée nationale change la procédure d'attribution des marchés publics dans le secteur du bâtiment. Si les géants devraient en profiter, les petites structures et les architectes s'alarment.

Michaël Hajdenberg

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Architectes, PME (petites et moyennes entreprises) et artisans du BTP font cause commune. Tous s’inquiètent: mercredi, l’Assemblée nationale doit examiner un projet de loi prévoyant l’extension des partenariats publics/privés. Cette procédure, qui existait déjà à titre exceptionnel, deviendrait beaucoup plus fréquente. Ce qui permettrait aux grosses entreprises du bâtiment de rafler un maximum de marchés publics. Et mettrait en péril des centaines de petites entreprises du bâtiment.

Jusqu’à présent, la règle était simple. Pour l’attribution d’un marché public (école, hôpital, prison, musée, etc.), la collectivité concernée était tenue de passer un appel d’offres. Petites et grosses structures pouvaient se porter candidates, chacune avec leurs atouts (qualité de la construction, prix, etc.).

Depuis 2004, il existe toutefois des procédures d’exception. En cas d’«urgence» ou de situation «complexe», il est possible de procéder à un partenariat public/privé (PPP). Ce type de partenariat n’implique plus d’appel d’offres. Il délègue à l’opérateur privé choisi par la collectivité la conception, la réalisation et l’exploitation d’un bâtiment public. En échange, un loyer est versé par la collectivité à l’opérateur sur une durée pouvant s’étaler sur plusieurs dizaines d’années.

En 2003, le Conseil constitutionnel, saisi à propos d'une loi d’habilitation, avait tenu à confiner ce type de partenariats à ces situations d’exception. Depuis, le tribunal administratif d'Orléans est lui aussi allé dans le sens de la limitation en restant strict dans son interprétation des notions «d’urgence» et de «complexité», restreignant ainsi les cas de PPP.

Les PME n'ont pas les reins assez solides

Les géants du bâtiment ont donc réagi. Et ils ont su se faire entendre. Le texte proposé à l'Assemblée permet de généraliser cette procédure, qui pourra par exemple être appliquée aux cas de «renouvellement urbain» ou encore pour favoriser «le développement durable».

«Autant dire n’importe quand», s’étranglent en cœur le Conseil national de l'ordre des architectes, l’Union des architectes (UNSFA), l’Union nationale des économistes de la construction et des coordonnateurs (UNTEC), l’Union des géomètres experts (UNGE), l’AITF (Association des ingénieurs territoriaux de France), la CAPEB (Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment), la FNSCOP BTP (Fédération nationale des Scop du BTP) et le SNSO (Syndicat national du second œuvre), qui tenaient lundi une conférence de presse commune.

Pour l’instant, les PPP étaient rares. Mais demain, ils pourraient s’appliquer à 15% des marchés publics, selon les estimations de l'Ordre des architectes. Or, les petites et moyennes entreprises du bâtiment, qui représentent un million d’actifs, estiment que ce seront autant de marchés qui leur échapperont.

La procédure de PPP est en effet complexe. Ces entreprises ne sont pas armées, ne serait-ce que juridiquement, pour rivaliser avec les poids lourds. Elles pensent qu’on ne leur fera pas confiance pour gérer des équipements publics sur vingt ans. Et qu’aucun partenaire financier, aucune banque, ne voudra s’engager avec elles sur une durée si longue, les mastodontes présentant des garanties bien supérieures. «Les PME ne peuvent pas être les banquiers des collectivités publiques. C’est déjà difficile quand le délai de paiement est sur 30 jours, alors sur 30 ans, ce n’est même pas la peine d’y penser.»

Une plus grande opacité dans la commande publique

Les députés qui défendent ce texte de loi, déjà examiné au Sénat, contestent cette approche. Ils suggèrent aux petites entreprises de se grouper. Mais la CAPEB juge cette possibilité illusoire: «C’est bien trop complexe. Dans la pratique, et même quand les fédérations essaient d’aider, cela ne marche jamais. On ne fait pas le poids face à des structures qui proposent un marché clé en main.»

Autre argument des députés de la majorité: «Cela n’aura pas de conséquences pour ces entreprises. Elles travailleront comme sous-traitantes.» Là non plus, les petits ne sont pas d’accord. «On travaillera, mais mal payées. On sera complètement pressurisé, alors que ce n’était pas le cas quand on avait directement accès à la commande publique. Les entreprises voudront optimiser leur marché en sous-traitant pour le moins cher possible. Et cela donnera un second tour d’adjudication clandestin, avec la hantise du sous-traitant sauvage. C’est le contraire de la transparence, censée être un des grands principes de la commande publique.»

98% des entreprises du bâtiment emploient actuellement moins de 20 salariés. Et les marchés publics représenteraient aujourd’hui 15% des activités de ces PME. Pour au moins atténuer le coup de bambou, ces entreprises demandent donc un seuil de 50 millions d’euros sur trente ans, en dessous duquel la procédure ne changerait pas. Ce type de seuil existe en Grande-Bretagne, où la procédure est extrêmement fréquente.

Les projets des architectes enfouis dans les dossiers

La solution du seuil est également prônée par les architectes. Ceux-ci répètent sans cesse qu’ils ne se battent pas contre les PPP «qui peuvent être de bonnes procédures ailleurs que dans le bâtiment», mais contre leur banalisation. «Cette généralisation est une bombe fiscale à retardement. Le contrat global masque l’endettement. Les investissements n’apparaissent plus dans les dettes, mais dans le montant du loyer. C’est une mystification comptable. Au bout, cela coûtera plus cher qu'en passant par de la commande publique», accuse l’Ordre des architectes.

Les députés s’alarment par exemple de l’état de certaines universités. Et objectent aux architectes le fait qu'au moins, le PPP prévoit la maintenance des bâtiments. «La maintenance, c’est un autre problème, rétorque l'Ordre. Effectivement, il faut le régler. Mais pas en mélangeant tout. Ce peut être l’objet d’un autre contrat, et cela coûtera d'ailleurs moins cher aux collectivités que si c'est fait dans le cadre des PPP.»

Surtout, les architectes craignent que leur rôle ne s'amenuise. «Jusqu’à présent, dans les procédures classiques, on était au service du public. A présent, l’architecte sera un élément parmi d’autres, dont le loyer. On comparera des choses qui ne sont pas comparables. En Grande-Bretagne, ces procédures ont conduit à une grande pauvreté architecturale.»

Les architectes demandent donc à ce que leurs projets continuent d'être l'objet d’un concours avant le reste de la commande. «Afin que le maire choisisse un projet pour le public, un service public. Et que ce ne soit pas une entreprise privée qui nous cantonne à des projets au rabais. Le maître d’œuvre, ce doit être l’élu. Il doit prendre ses responsabilités dans l’aménagement de l’espace public.» Les députés maires seront-ils sensibles à cet argument? Rien n'est moins sûr.

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