En pleine présidentielle, Benalla dégaine son arme pour un selfie

La scène a lieu dans la nuit du 28 avril 2017, au sortir d’un meeting du candidat. Le désormais célèbre ex-collaborateur d’Emmanuel Macron est sollicité pour un selfie dans un restaurant. La photo est prise. Surprise ! Alexandre Benalla y brandit son arme. Problème : il n’avait pas d’autorisation de port d’armes à cette date.

Cet article est en accès libre.

Pour soutenir Mediapart je m’abonne

Cette fois, Alexandre Benalla est pris en flagrant délit de mensonge. Le 25 juillet 2018, l’ancien collaborateur du président de la République, chargé de sa sécurité et de l’organisation de ses déplacements, sort pour la première fois de son silence pour tenter d’éteindre l’incendie déclenché par les révélations, une semaine plus tôt, de son intervention violente, hors de tout cadre, lors de la manifestation parisienne du 1er Mai.

Ce jour-là, accompagné du sulfureux intermédiaire Marc Francelet et de la communicante « Mimi » Marchand, patronne de l’agence de photo people Bestimage, l’agence préférée du couple Macron, Alexandre Benalla tente de se présenter sous un nouveau jour aux journalistes du Monde. Ces derniers lui demandent s’il était armé avant l’élection présidentielle, l’enquête ayant fait apparaître qu’il n’avait obtenu un port d’armes que le 13 octobre 2017, comme l’a confirmé Yann Drouet, ancien chef de cabinet du préfet de police de Paris, le 19 septembre, devant la Commission d’enquête du Sénat. Alexandre Benalla répond par la négative au Monde. Il a fait une demande d’autorisation de port d’armes fin 2016, sans succès.

Le jeune collaborateur du président reconnaît également avoir fait la demande « d’acquérir et de détenir des armes dans le QG » d’En Marche! pendant la campagne. Demande exaucée par la préfecture de police, qui lui donne « l’autorisation de détenir des armes, des Glock 17 de mémoire, mais dans le QG uniquement ».

« N’êtes-vous jamais sorti avec ? » relancent alors les journalistes. La réponse de Benalla fuse : « Non, jamais. On n’est pas mabouls, il y a un risque pour la réputation du candidat… »

Sauf qu’à le prendre au mot, Benalla s’est bien montré au moins à une reprise « maboul » pendant la campagne. La scène se passe le 28 avril 2017. Emmanuel Macron vient de lancer sa campagne de l’entre-deux-tours avec un meeting à Châtellerault. Il gagne ensuite Poitiers, à une quarantaine de minutes en voiture, pour y dormir à l’hôtel Mercure et dîner dans le restaurant attenant, « Les Archives », sis dans une ancienne chapelle qui a servi un temps aux archives départementales.

« On savait qu’il viendrait, on avait été prévenus. Et vers 22 heures, un policier était passé repérer les lieux », explique à Mediapart un serveur de l’époque. Le candidat est accompagné d’une quarantaine de personnes pour ce dîner, comme le montre un document tiré de son compte de campagne. Il arrive en fin de service aux alentours de 23 heures.

Le candidat et son entourage politique sont conduits à l’étage, où ils occupent une table située dans une alcôve fermée. Les policiers qui assurent sa sécurité se trouvent à l’entrée de cette salle, où ils dînent. Enfin, des membres du service d’ordre (SO) du candidat occupent une autre table, dans une autre alcôve du restaurant.

À la fin du repas, vers minuit et demi, une jeune serveuse qui s’occupait du service de la table du SO fait un selfie avec trois de ses membres. Parmi eux, Alexandre Benalla, le « directeur de la sûreté et de la sécurité » d’En Marche!.

Une fois la photo faite, Benalla glisse un mot à la jeune femme : une « surprise » l’attend sur le cliché, comme elle le racontera quelques minutes plus tard à son responsable. Et non des moindres : sur la photo, Alexandre Benalla a en effet dégainé son arme. Il s’agit visiblement d’un Glock, soit la marque d’arme qu’Alexandre Benalla était autorisé à détenir au sein du QG de campagne, mais absolument pas en dehors.

Lors de son audition devant la commission d’enquête du Sénat, l’ancien collaborateur d’Emmanuel Macron a aussi expliqué détenir personnellement un Glock 43, pour lequel il bénéficiait d’une autorisation de port d’armes depuis octobre 2017, dans le cadre de ses missions à l’Élysée. Cette autorisation lui a été retirée par la préfecture de police (PP) de Paris, « dès que Monsieur Benalla n’a plus exercé ses fonctions » auprès d'Emmanuel Macron, précise la PP.

Illustration 1
Alexandre Benalla et deux autres membres du SO posent pour une serveuse à Poitiers. © Mediapart

Troublée mais le prenant plutôt à la rigolade, la serveuse parle de la « surprise » d’Alexandre Benalla à son supérieur direct lors du service. Elle en fait également part au directeur du restaurant. Celui-ci lui demande de voir le cliché et de ne pas le diffuser. La serveuse, qui a également fait un selfie avec Emmanuel Macron juste avant qu’il ne gagne l’hôtel, s’exécute.

Illustration 2
Emmanuel Macron pose avec la serveuse du restaurant Les Archives à Poitiers le 29 avril 2017. © Document Mediapart

Pourquoi Alexandre Benalla était-il armé pour ce déplacement du candidat et de quelle autorisation bénéficiait-il ce jour-là pour porter cette arme ? Impossible de le savoir. L’Élysée est resté mutique face à nos demandes sur le sujet et Alexandre Benalla a annulé au dernier moment le rendez-vous prévu avec Mediapart, dans un hôtel du VIIIe arrondissement de Paris. Nous étions pourtant convenus de nous y retrouver, ce lundi à 16 heures, afin de lui présenter la photographie et de recueillir sa version des faits.

Quelques heures plus tôt, par SMS, l’ancien collaborateur d’Emmanuel Macron nous avait juré n’avoir « jamais porté à la ceinture une arme à feu à l’extérieur du QG de campagne, les seules personnes armées étaient les policiers du SDLP qui accompagnaient le candidat ». « Je ne me suis jamais fait prendre en photo avec une quelconque arme pendant la campagne », ajoutait-il, « encore une fake news », en laissant entendre que notre photographie, qu’il n’a pas vue, n’était qu’un montage : « Je ne pense pas que vous ayez une spécialité technique en photomontage. »

Sauf qu’outre un témoignage direct sur la scène, les métadonnées de la photo indiquent qu’elle a bien été prise le 29 avril 2017 à 0 h 30 depuis la caméra frontale d’un iPhone SE, aux coordonnées GPS suivantes : 46.582936,0.339956, qui correspondent bien à l’adresse du restaurant « Les Archives », 14 rue Édouard-Grimaux, à Poitiers. Par ailleurs, la représentation ELA (Error Level Analysis) de l’image est uniforme et ne fait pas apparaître de zones avec un niveau de compression différent, ce qui aurait pu signifier que l’image a été retouchée.

Illustration 3
L'analyse ELA du selfie avec Benalla. © Document Mediapart via Fotoforensics

L’avocat d’Alexandre Benalla, Me Laurent-Franck Lienard, ne s’est pas fait plus prolixe que son client sur le sujet : « J’ai autre chose à faire [que commenter nos informations] », nous a-t-il écrit, ajoutant : « Ce que vous allez publier est erroné… J’en ai eu la confirmation. » Laquelle ? Ce dernier message est resté sans réponse.

Lors de son audition au Sénat, Alexandre Benalla n’était pas revenu sur la campagne elle-même, mais avait cependant tenu, à plusieurs reprises, des propos équivoques. Interrogé sur son autorisation de port d’armes postérieure à son arrivée à l’Élysée, le proche du président a expliqué avoir « fait une demande à titre personnel d’autorisation de port d’armes pour des motifs de défense et de sécurité personnelle ». Il a également déclaré : « Quand vous êtes en campagne, vous êtes exposé vous-même. »

Pendant la présidentielle, plusieurs épisodes avaient déjà mis l’accent sur la détention des armes par le service d’ordre d’Emmanuel Macron. Selon des informations du Parisien, Alexandre Benalla avait été surpris, le 26 novembre 2016, avec un pistolet dans son scooter, mais sans que le lien avec la campagne ne soit cette fois formellement établi.

D’après les Macron Leaks, en mars 2017, l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron a même un temps pensé qu’Alexandre Benalla détenait une autorisation de port d’armes. Le 9 mars 2017, Raphaël Coulhon, adjoint du trésorier de campagne, écrit : « Alexandre Benalla a un port d’armes, c’est sûrement aussi le cas de Christian Guedon, et peut-être Vincent Crase. Je ne sais pas s’ils sont armés au QG. »

Benalla fait à ce moment-là une demande pour le moins inhabituelle : obtenir des armes pour la campagne. Le 8 mars 2017, il fait établir un devis pour deux pistolets lanceurs de balles en caoutchouc, dix pistolets à gaz lacrymogène, un Flash-Ball, des boucliers anti-émeute… Cette demande suscite gêne et étonnement dans le staff de campagne (voir notre article ici), et aussi l’ire du directeur de campagne Jean-Marie Girier, devenu chef de cabinet de Gérard Collomb à Beauvau : « Je viens de prendre connaissance d’une commande d’armes pour le mouvement. Il est bien évidement [sic] que nous n’allons pas acheter d’armes, ou de Flash-Ball pour les 40 jours restants. Je suis surpris que nous n’ayons pas été saisis d’une telle démarche. »

Ce n’était visiblement pas la première fois qu’Alexandre Benalla et son acolyte Vincent Crase essayaient d’obtenir des armes. À tel point que le premier secrétaire général d’En Marche! et coordinateur des opérations durant la campagne, Ludovic Chaker, s’en est étonné ouvertement dans un autre mail : « Nous avons déjà acquis plusieurs équipements depuis de nombreux mois, sans que cela n’émeuve personne. »

La commande d’armes n’a pas été passée. Mais Alexandre Benalla et Vincent Crase sont sans cesse revenus à la charge, en dépit du refus qui leur avait été opposé. Un nouveau devis, le 21 mars, pour du matériel Flash-Ball, a suscité de nouvelles interrogations dans le staff de campagne, notamment de la part de Grégoire Potton, alors directeur des affaires générales à En Marche! : « Reviennent à la charge pour leurs pistolets. » Potton poursuit et liste toutes les demandes inutiles des deux amateurs d’armes : « … Ça devient épuisant. » À défaut d’obtenir gain de cause, Alexandre Benalla a visiblement décidé de passer outre.

Si vous avez des informations à nous communiquer, vous pouvez nous contacter à l’adresse enquete@mediapart.fr. Si vous souhaitez adresser des documents en passant par une plateforme hautement sécurisée, vous pouvez passer par SecureDrop de Mediapart, la marche à suivre est explicitée dans cette page.

Voir la Une du Journal