Relation sexuelle à 11 ans: le parquet de Pontoise ne poursuit pas pour viol

Dans le Val-d'Oise, une enfant de 11 ans a eu une relation sexuelle avec un inconnu de 28 ans. Elle l'a suivi, puis a subi l'acte sans protester, ce qui fait dire au parquet qu'elle était consentante. L'homme devait être jugé pour « atteinte sexuelle », et non pour viol. Une spécificité française.

Cet article est en accès libre.

Pour soutenir Mediapart je m’abonne

Le 24 avril 2017, Sarah, 11 ans, scolarisée en sixième dans le Val-d’Oise, accepte de suivre un homme de 28 ans qui l’a abordée dans un square. Il la conduit dans un immeuble où ils auront deux relations sexuelles, la première dans la cage d’escalier, la seconde dans un appartement. Ces faits ne sont pas contestés. Mais c’est la façon dont il faut les qualifier qui interpelle. Car l'individu, sera jugé en février (l'affaire qui devait être jugée le 26 septembre a été renvoyée), à Pontoise, pour « atteinte sexuelle sur mineure de 15 ans », en dépit de la plainte pour « viol » qui avait été déposée. Le parquet considère en effet que Sarah était consentante. En dépit de son très jeune âge.

Cet après-midi-là, le cours de sports est annulé. Sarah sort donc du collège plus tôt, à 15 heures. Elle rentre doucement chez elle, fait une pause, quand Sereinte l’aborde dans un petit parc, avec « un ton rassurant, affable, aimable, rien qui n’incite à la méfiance », rapporte la mère de Sarah. Ce n’est pas la première fois. Dix jours, plus tôt, il l’a déjà accostée : « Eh ! belle gosse, tu habites dans le quartier ? Comment ça se fait que je ne t’ai jamais vue ? » Elle parle le soir même de cet homme à sa mère, qui lui conseille de rentrer en transports pour plus de sécurité. Quatre jours plus tard survient une nouvelle rencontre, lors de laquelle Sarah, qui fait un peu plus que son âge, finit par sortir son carnet de liaison scolaire pour lui prouver qu’elle a bien 11 ans. « Quand il a vu le carnet, il a dit : “Ha ! mais tu es un bébé !” », raconte la mère de Sarah. Il s’agit toutefois d’un des seuls points que Sereinte conteste : il assure qu’il ne connaissait pas l’âge exact de Sarah, et a déclaré à l’expert-psychiatre qu’il lui donnait entre 14 et 16 ans.

Lors de la troisième approche, dans le parc donc, il la complimente de nouveau : « Qui tu attends ? Ton petit copain ? », « Quoi ? Une belle fille comme toi n’a pas de petit copain ? », « Est-ce que tu veux que je t’apprenne à embrasser ou plus ? ». Sarah n’a jamais embrassé un garçon de sa vie. D’après sa mère, elle « a dû se sentir flattée, reconnue dans ce corps nouveau », que la puberté lui a donné. « Le piège s’est tissé sans qu’elle s’en rende compte, car elle n’avait pas la maturité pour comprendre. Elle n’a pas vu la manipulation. L’embrassade, elle l’a prise comme une plaisanterie. C’est une enfant : elle entend, mais ne comprend pas ce qui se cache derrière les propos. »

Sarah a alors une réaction que sa mère qualifie d’« atypique : elle n’a dit ni oui ni non, elle a haussé les épaules, sans donner de réponse claire et nette. » Sarah dira : « Il a insisté, et il m’a retourné le cerveau. » Elle accepte de le suivre, sans qu’il exerce la moindre violence physique.

Tous deux montent dans l’ascenseur, et dès que la porte se referme, il essaie de l’embrasser. « Elle a compris à cet instant que le piège s’était refermé sur elle, qu’on avait endormi sa conscience. Mais elle était tétanisée, elle n’osait pas bouger, de peur qu’il la brutalise. Elle a pensé que c’était trop tard, qu’elle n’avait pas le droit de manifester, que cela ne servirait à rien, et elle a donc choisi d’être comme une automate, sans émotion, sans réaction », relate sa mère.

Arrivés au 9e étage, il exige d’elle une fellation. Elle s’exécute. « Il lui demandait de manière pressante, mais en gardant le sourire », rapporte sa mère, infirmière de profession. Puis il essaie de la pénétrer, mais le gardien de l’immeuble passe par là. Sereinte se cache. Sarah ne saisit pas le moment pour crier ou appeler au secours, ce qui participera à l’imperméabilité des policiers. « Elle était tétanisée, gênée, et avait honte », explique son avocate, MCarine Diebolt.

L’homme lui propose alors de rentrer dans son appartement. Elle le suit. Il lui demande une deuxième fellation, puis d’enlever en partie son pantalon, et la pénètre. Ensuite, il l’embrasse sur le front. Et une fois qu’elle s’est rhabillée, lui dit de ne rien dire à personne. Il lui demande son numéro de portable, avant de lui proposer de la raccompagner chez elle. Elle décline.

À peine sortie, paniquée, elle appelle sa mère. « Elle était dans une peine immense, complètement désespérée. C’était comme si la vie avait perdu son sens. Une des premières choses qu’elle m’a dite, c’est : “Papa va croire que je suis une pute.” »

Sa mère a très peur. La police est prévenue, arrive sur place et interroge Sarah avant même qu’elle n’ait eu le temps de rejoindre son domicile. À la sortie de l’audition, la mère est très surprise par ce que lui disent les policiers : « Ils m’ont expliqué qu’elle l’avait suivi sans violence, sans contrainte, que la seule chose qui jouait en sa faveur, c’était son âge. C’était comme si on me martelait un message pour que ça s’imprime. C’était complètement en décalage avec la tragédie. »

Cette mère de trois enfants, née en Guadeloupe et dont Sarah est l’aînée, pense que la réaction de sa fille a joué en sa défaveur : « Elle n’était pas effondrée, elle leur a paru nonchalante. Mais depuis le début, ma fille ne veut pas se vivre comme une victime, elle ne veut pas attirer l’attention sur elle, elle ne voulait pas voir la police, et elle a peur du procès. » Ce week-end, Sarah a d’ailleurs demandé que l’audience se déroule à huis clos. « Elle n’a même pas voulu voir de psychologue tellement elle veut passer à autre chose, reprend sa mère. Mais son détachement m’inquiète. D’autant que parfois, tout ressort subitement. »

Pendant l’enquête, Sereinte a livré son sentiment sur les femmes : « Vous savez, maintenant, les filles sont faciles. Avant, à mon époque, il fallait rester au moins un an avec une fille pour la baiser, mais maintenant c’est en dix minutes. » L’homme peut difficilement plaider qu’il est incapable de déterminer l’âge d’un enfant : il est père d’un bébé, mais aussi d’un enfant de 9 ans. En outre, l’examen aux unités médico-judiciaires mentionne que « l’allure physique de Sarah peut laisser penser qu’elle est plus âgée, mais que ses mimiques de visage et sa manière de parler montrent rapidement qu’elle n’a que 11 ans ».

« En France, après 4 ans et demi, on considère qu’un enfant est a priori consentant »

Depuis l’agression, Sarah ne peut être apaisée. Son agresseur habitait dans l’immeuble qui fait face au sien et même s’il a été interdit de circuler dans le quartier, elle a eu plusieurs fois l’impression de le voir.

Elle n’est jamais retournée dans son collège, finissant son année par correspondance, avant de changer d’établissement à la rentrée. Mais ses anciens camarades de classe ont été interrogés dans le cadre de l’enquête, ce qui n’a pas manqué d’alimenter les rumeurs selon lesquelles elle était enceinte, avait avorté, ou encore qu’elle avait connu quelqu’un sur un site de rencontres…

Dans le rapport qu’ils ont adressé au procureur de la République, les policiers font état d’éléments qui ne sont pas en lien avec l’agression, mais qui sont censés éclairer la personnalité de Sarah. Quelques mois auparavant, elle avait échangé des SMS à connotation sexuelle. Aux policiers, elle a aussi expliqué avoir déjà envoyé des photos où l’on distingue sa poitrine. Mais Me Diebolt s'offusque : « Il y a une différence entre communiquer des photos à un garçon qu’on croit aimer sur un réseau social et accepter une relation sexuelle réelle avec un inconnu. »

Le parquet de Pontoise n’a pas souhaité répondre à nos questions sur la qualification choisie dans cette affaire. Mais pour Me Diebolt, spécialiste de ces questions, « beaucoup de magistrats n’ont pas été formés à ces questions et ne connaissent pas les mécanismes du cerveau lors d’un viol. La sidération et la dissociation conduisent à l’anesthésie. On ne ressent plus sa peur, comme l’a analysé la psychiatre Muriel Salmona. C’est d’autant plus vrai pour un enfant. Dans les films, on se débat. Mais dans la vie réelle, on est souvent tétanisé. Comme le disait Gisèle Halimi, “subir, ce n’est pas consentir”. Et l’agresseur n’a pas pu se méprendre sur le rejet et la détresse de Sarah ».

Pour l’avocate, les faits d’« atteinte sexuelle » doivent donc être requalifiés à l’audience en « viol », et renvoyés pour instruction. Car l’article 227-25 du Code pénal définit ainsi l’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans : « Le fait, par un majeur, d’exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de quinze ans est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. » Il s’agit donc d’un rapport sexuel consenti, moins répréhensible qu’une agression sexuelle (pas de pénétration) ou un viol (avec pénétration), tous deux non consentis.

A contrario, pour qu’un viol (punissable de 15 ans de réclusion criminelle, 20 ans sur mineur) ou une agression sexuelle soient caractérisés juridiquement, il doit être démontré que la victime a subi une contrainte, une violence, une menace ou une surprise (art. 222-22 et 222-23 du Code pénal). Il n’existe dans le Code pénal aucune atténuation à ce principe lorsque la victime est un enfant. Depuis 2005, la Cour de cassation considère cependant que la contrainte est présumée pour les enfants en « très bas âge ».

La loi du 8 février 2010 est seulement venue préciser que « la contrainte peut être physique ou morale. La contrainte morale peut désormais résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits ».

La plupart des législations occidentales ont pourtant adopté une « présomption irréfragable d’absence de consentement du mineur victime d’actes sexuels » : 14 ans en Allemagne, Belgique, Autriche ; 16 ans pour l’Angleterre et la Suisse, 12 ans en Espagne et aux États-Unis. À chaque fois, avant que cet âge soit atteint, il ne peut y avoir consentement.

Illustration 1
Campagne du HCE contre le viol

En se fondant sur ces comparaisons, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a préconisé dans son avis de novembre 2016 d’instaurer « un seuil d’âge de 13 ans en dessous duquel un.e enfant est présumé.e ne pas avoir consenti à une relation sexuelle avec un.e majeure ». Pour Ernestine Ronai, une des rapporteures de l’avis, et responsable de l’Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis, « l’âge de 13 ans paraît adapté car c’est un âge en dessous duquel les relations sexuelles ne nous paraissent pas souhaitables. C’est aussi un âge couperet, qu’on retrouve souvent dans le droit français ».

Emmanuelle Piet, présidente du collectif féministe contre le viol, préférerait que ce soit 15 ans. Quand on lui parle de la situation de « Sarah, une jeune fille de 11 ans » (le terme employé par les policiers dans leur rapport au procureur), elle explose : « 11 ans ! Mais ce n’est pas une jeune fille ! C’est une petite fille ! » Puis elle se désespère : « C’est honteux. On a dû batailler 20 ans pour que l’âge légal du mariage soit le même pour les filles que pour les garçons [18 ans et non plus 15]. Mais que voulez-vous ? Les vieux garçons aiment la chair fraîche. On en arrive à des situations inouïes. Une fille violée par son papa à 6 ans a été jugée consentante. Il n’a pris qu’un an avec sursis. Deux ans après, il l’a tuée. Mais pour l’instant, en France, après 4 ans et demi, on considère qu’un enfant est a priori consentant. » 

Me Diebolt a d’ailleurs plusieurs dossiers de ce type et cite le cas d’« une autre enfant de 11 ans, caressée dans le bus par un parent qui accompagnait une sortie scolaire. Des témoins attestent que l’enfant dormait pendant les attouchements », l’accompagnateur n’est cependant pas poursuivi pour agression sexuelle : l’enfant est considéré consentant.

L’avocate a aussi reçu le courrier d’une femme qui n’a plus rien à espérer de la justice, mais qui a voulu lui témoigner de son désespoir. Entre 1989 et 1991, alors qu’elle avait entre 10 et 12 ans, le gardien de l’immeuble, chez qui elle se rendait parfois, lui a imposé « un rapport sexuel complet et, une fois, un rapport anal » (termes du jugement du 22 mai 1992). Le tribunal avait cependant considéré que la petite fille « n’avait pas eu peur, ce qui exclut toute violence de la part du prévenu », et donc le viol. L’homme a été condamné à un an de prison dont six mois avec sursis. Vingt-cinq ans plus tard, cette femme, aujourd’hui âgée de 37 ans, explique qu’elle ne s’en est toujours pas remise.

Voir la Une du Journal