Un an de prison avec sursis et 20 000 euros d’amende. Telle est la peine infligée le mercredi 26 octobre à l’ancien ministre Kader Arif par la formation de jugement de la Cour de justice de la République (CJR), composée majoritairement de parlementaires.
L’ex-secrétaire d’État aux anciens combattants sous François Hollande avait fait accorder par son ministère un contrat de 60 000 euros TTC à une société qui était gérée par son frère. Il a été reconnu coupable des délits de « prise illégale d’intérêts », « favoritisme » et « détournement de fonds publics ».
« Huit ans d’attente, et au bout une injustice », a commenté l’un de ses avocats, François Cantier, après l’annonce de la décision. « Si M. Arif était vraiment coupable des faits qu’on lui reproche, la peine, elle, est très légère. Il y a eu très certainement de fortes hésitations sur la question centrale de la culpabilité », a-t-il déclaré.
Le 20 octobre, le procureur général François Molins avait requis une peine de deux ans de prison avec sursis ainsi que 15 000 euros d’amende et cinq ans d’interdiction d’exercer des fonctions publiques contre Kader Arif.
Mediapart republie ci-dessous l’article « À la Cour de justice, de la prison avec sursis est requise contre l’ex-ministre Kader Arif », mis en ligne le 20 octobre 2022.
*
Kader Arif, c’est vraiment l’homme qui n’a pas de chance. Un destin singulier, exemplaire, qui a été brisé net, non par sa faute, mais par celle des autres. C’est le message martelé par les avocats de l’ancien ministre de François Hollande devant la Cour de justice de la République (CJR), mercredi 19 et jeudi 20 octobre, au risque de dépeindre leur client en Droopy de la politique.
Le procès se déroule sous les ors de la chambre commerciale de la Cour de cassation, sur l’île de la Cité, sans autre public qu’une poignée de journalistes.
Kader Arif est jugé pour « prise illégale d’intérêts », « favoritisme » et « détournement de fonds publics ». Il lui est reproché d’avoir fait conclure par le ministère dont il avait la charge, début 2014, un marché de 60 000 euros TTC avec une société gérée par son frère, pour des séances de media training (formation à la prise de parole en public). Une demi-douzaine de sessions étaient prévues, mais une seule a eu lieu. Ce qui fait un peu cher la séance.

Ministre délégué puis secrétaire d’État aux anciens combattants de 2012 à 2014, dans les gouvernements Ayrault et Valls, Kader Arif avait dû démissionner en novembre 2014 après une perquisition dans ses bureaux au ministère. Son départ était intervenu après d’autres démissions de proches de François Hollande rattrapés par la justice ou le fisc, comme le ministre du budget Jérôme Cahuzac, la ministre déléguée à la francophonie Yamina Benguigui, les conseillers élyséens Aquilino Morelle et Faouzi Lamdaoui, ou encore le secrétaire d’État Thomas Thévenoud, abîmant la promesse d’une « République exemplaire ».
Enfant d’une famille pauvre de harkis, Kader Arif s’est fait tout seul. Repéré par Lionel Jospin lorsqu’il était un simple militant PS en Haute-Garonne, il a gravi les échelons pour devenir responsable fédéral du parti, puis député européen (2004-2012), ministre (2012-2014), et enfin député (2014-2017).
Aujourd’hui âgé de 63 ans, l’ancien ministre dit avoir tout perdu. « Je suis retraité, j’ai trois enfants, mon épouse est au chômage. J’ai créé une société de conseil depuis deux ans. Personne ne m’a proposé quoi que ce soit », déclare-t-il, en véritable paria.
Sur le fond de l’affaire, Kader Arif l’assure, il ignorait que son frère se cachait derrière la société bénéficiaire du contrat de media training conclu avec son ministère. Il précise d’ailleurs ne pas avoir eu le pouvoir d’imposer ou de signer une commande publique.
« Je tiens à rappeler avec force que je n’ai jamais été au courant du fonctionnement ou des actionnaires des sociétés de mon frère. J’ai veillé toute ma vie publique à ce qu’il y ait une séparation nette entre ce que faisait mon frère et ce que je faisais moi », clame-t-il. Bien qu’entièrement innocent, Kader Arif pousse l’honnêteté jusqu’à proposer de rembourser à l’État les 60 000 euros dépensés.
Une tendance au népotisme.
Le procureur général près la Cour de cassation, François Molins, se lève pour prononcer son réquisitoire. « Les faits peuvent paraître modestes, mais ils sont extrêmement graves » sur le plan des principes et de la probité, commence-t-il. « Un membre de gouvernement ne peut pas favoriser un membre de sa famille. » Pour François Molins, Kader Arif a bien choisi la société de son frère en connaissance de cause. « Il s’agissait d’un service rendu par le ministre à son frère », résume-t-il.
Les dénégations de Kader Arif et ses protestations de bonne foi n’ont pas convaincu le magistrat, loin de là. Il pourfend « la stratégie de l’anguille » de l’ancien ministre, qui se retranche à la fois derrière la légèreté de son cabinet, celle de son administration, et la débrouillardise de son frère, pour mieux s’exonérer de toute responsabilité.
François Molins rappelle les déclarations de Jean-Yves Le Drian, ancien ministre de la défense : Kader Arif lui aurait confié avoir « agi sous la pression familiale ». François Hollande ayant évoqué pour sa part une « imprudence ».
Malgré les faibles sommes en jeu et l’ancienneté des faits, le procureur général décèle « une tendance au népotisme » chez Kader Arif, avec « une volonté constante de venir en aide à sa famille par le biais de ses fonctions ministérielles ». François Molins se pose même la question d’une « opération totalement fictive », sans autre but que de procurer des revenus au frère du ministre et à sa famille.
Avant de réclamer une peine, François Molins s’adresse aux parlementaires (majoritaires) qui siègent à la CJR. « La gravité des faits doit se déterminer au regard des faits mais aussi de l’exigence de probité des ministres », leur dit le magistrat. Il évoque les « relations entre juges et politiques dégradées depuis trente ans », et le reproche souvent adressé par les seconds aux premiers de « faire de la morale et non du droit ».
« Les exigences morales et éthiques sont au cœur du droit pénal », rappelle François Molins, en citant les différents manquements au devoir de probité que le législateur a inscrits dans le Code pénal.
« C’est la première fois que la Cour de justice de la République doit juger des faits qui concernent un intérêt personnel », ajoute le magistrat. « On fait travailler sa famille, on se décharge sur son cabinet et sur son administration. Cette conception de l’État n’est pas acceptable », assène François Molins.
Il réclame, pour finir, une peine de deux ans de prison avec sursis, ainsi que 15 000 euros d’amende et cinq ans d’interdiction d’exercer des fonctions publiques contre Kader Arif.
Les avocats de l’ancien ministre plaident à tour de rôle. François Cantier dénonce « un procès qui n’est pas équitable », son client n’ayant pas eu accès au dossier d’instruction sur les marchés publics de l’ancienne région Midi-Pyrénées dans lequel son frère a été mis en examen, et dont certaines pièces ont nourri le dossier de la CJR.
« Les principaux protagonistes n’ont pas été entendus par la commission d’instruction de la CJR parce qu’ils sont mis en examen dans l’autre dossier. C’est une instruction croupion !, tonne Me Cantier. Ce procès est impossible. Il aurait fallu l’interrompre. »
Vincent Valade s’attache pour sa part à démontrer que Kader Arif n’a commis aucun délit. « Il n’est pas le responsable du marché, et il ne savait pas que son frère se cachait derrière, déclare l’avocat. Aucune pression n’a été faite pour la signature de ce contrat. »
En outre, le ministre n’avait pas la surveillance des fonds publics. Tout au plus aurait-il commis une petite boulette en laissant penser à son chef de cabinet que le « service » de media training avait bien été effectué. « On ne peut pas condamner Kader Arif sur la base d’un simple malentendu », plaide Me Valade.
Pris par l’émotion, son confrère Cantier demande pour finir « l’acquittement » de Kader Arif, comme s’il était jugé par une cour d’assises.
La Cour de justice de la République rendra sa décision mercredi 26 octobre.