Harcèlement : radiés de l’université, deux enseignants toulousains relaxés en appel 

Malgré dix-sept témoignages d’étudiants, deux enseignants de l’université de Toulouse, radiés en 2019 pour harcèlement moral et sexuel, ont été relaxés par l’instance disciplinaire du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche.

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Dix-sept témoignages ne suffisent pas. Le 6 juillet dernier, l’instance disciplinaire du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser) s’est réunie à Paris pour délibérer en appel sur le cas de deux enseignants du département d’arts plastiques de l’université Toulouse-Jean-Jaurès.

En 2019, ces deux hommes avaient été radiés et interdits d’enseigner par la section disciplinaire de l’université qui les avait « reconnus coupables de pratiques pédagogiques contraires à la déontologie de l’enseignant, ayant eu pour conséquence de placer les étudiantes et les étudiants dans une situation de harcèlement moral et sexuel ».

Cette décision – d’une rare sévérité – avait été prise sur la base d’un dossier un dossier constitué par des étudiantes puis relayé par la cellule de lutte, d’information et de prévention du harcèlement sexuel (Cliphas) de l’université, comportant treize puis dix-sept témoignages (dont neuf anonymisés) d’étudiant·es, majoritairement des jeunes femmes. Le 18 novembre 2019, le parquet de Toulouse, saisi de l’affaire, l’avait classée sans suite, déclenchant une polémique.

Entre-temps, les enseignants – exerçant sous le statut de professeurs agrégés, des personnels du second degré affectés dans le supérieur – avaient fait appel de la décision auprès du Cneser. Lequel aura donc attendu trois ans pour statuer. 

Lors de sa délibération du 6 juillet, le conseil a considéré qu’« il n’existe aucun élément probant permettant de prouver que monsieur XXX a tenu des propos intrusifs, insultants, humiliants, dégradants et discriminants, constituant une situation de harcèlement à caractère moral et sexuel ayant porté préjudice aux étudiantes et étudiants ».

Une formulation reprise à l’identique pour les deux hommes, qui sont donc relaxés, et pour qui « la décision rendue par la section disciplinaire de l’université Toulouse-Jean-Jaurès est annulée ». Le contenu intégral des délibérations a été publié dans le Bulletin officiel du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche no 35, daté du 22 septembre dernier.  

L’université dispose de deux mois pour faire un recours en cassation devant le Conseil d’État. Sollicitée par Mediapart, l’équipe de la présidente de l’université, Emmanuelle Garnier, confirme que « la direction étudie cette opportunité », mais refuse d’en dire davantage. Sa décision est attendue avant la mi-novembre.

La thèse d’un complot syndical

En 2020, sept des dix-sept étudiant·es témoignant dans le dossier constitué par la Cliphas avaient fait part à Mediapart des pratiques qu’ils et elles jugeaient très problématiques : questionnement sur leurs pratiques sexuelles devant toute la classe ; invitation à se rendre sur une plage naturiste ; suggestion de s’habiller « plus sexy » ; fréquentes références au cinéma pornographique, etc.

Le Cneser disciplinaire a entendu seulement trois d’entre elles dans le cadre de la commission de jugement précédant la délibération du 6 juillet où seules deux d’entre elles étaient présentes, la troisième étant « encore trop éprouvée » pour se rendre à cette audience, selon son avocate, la pénaliste Margaux Bendelac. 

« On a été surpris de cette décision de relaxe, confie cette dernière. Il y avait suffisamment de témoignages concordants dans le dossier permettant d’établir la matérialité et la gravité des faits, me semble-t-il. Le Cneser a choisi de n’en convoquer que trois sur dix-sept, c’est étonnant. La première instance avait été exemplaire, prenant bien conscience de l’ampleur des faits, mais là, les considérants sont à côté de la plaque. »

Les juges d’appel estiment que « rien ne permet de déterminer l’existence de pratiques pédagogiques [...] contraires aux exigences déontologiques qu’on attend d’un enseignant » et assurent en revanche que « les accusations portées à l’encontre du déféré se situent dans un contexte de conflit social au sein de l’université [dans lequel] le déféré a pris position ».

Le principe d’individualisation des peines

Cynthia Nevache était l’une des étudiantes présentes lors de l’audition du 6 juillet, où se trouvaient également les deux enseignants. « Les juges nous ont posé tout un tas de questions sur nos investissements au sein du mouvement étudiant, raconte-t-elle. Comme pour accréditer l’idée que la présidente de l’université avait offert cette radiation au syndicat de l’Union des étudiants de Toulouse pour acheter la paix sociale… Ils ont évoqué des possibles vengeances personnelles suite à des mauvaises notes. » 

Depuis le début de l’affaire, l’un des axes de défense des enseignants est d’assurer que certains témoignages émanent d’étudiantes syndiquées voulant leur faire payer leurs positions durant le mouvement de grève qui avait secoué la fac au printemps 2018. « Pour ma part, j’ignorais totalement leur convictions personnelles et leurs positions sur ce sujet », assure Cynthia. 

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Lors du mouvement de grève à l’université du Mirail, début 2018, à Toulouse. © Photo Emmanuel Riondé pour Mediapart

Par ailleurs, le Cneser a estimé que la « personnalité des preuves » – c’est-à-dire l’attribution de faits précis à chacun des deux enseignants – a été mal établie par l’université. En juillet 2019 pourtant, les décisions des sections disciplinaires faisaient la différence entre les deux cas… 

« En réalité, les témoignages ciblaient très bien ce qui s’était passé et avec qui, mais malgré ça, il est mis en avant qu’il n’y a pas d’individualisation des preuves », s’étonne Margaux Bendelac. 

Pour l’avocate, cette relaxe est une « décision très décevante de manière générale sur la reconnaissance des violences sexistes et sexuelles dans le milieu universitaire. Les choses sont présentées comme une cabale féministe et, au final, on a l’impression d’une certaine censure ».

Contacté par Mediapart, un des deux enseignants a renvoyé vers son avocate, Emmanuelle De La Morena. « La décision du Cneser sanctionne les excès du départ, notamment une instruction qui avait été menée à charge, et qui ne respectait pas le principe d’individualisation des peines », a-t-elle réagi. Elle attend toujours que l’université revienne vers son client. L’autre professeur n’a pas donné suite.

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