C’est sans doute l’une des plus grandes tragédies de l’histoire du foot : samedi soir à Malang, dans l’est de Java, en Indonésie, au moins 125 personnes sont mortes, prises au piège d’un mouvement de foules de supporteurs en colère et d’une riposte policière disproportionnée. Le chiffre de 174 décès, communiqués dans un premier temps par les autorités, a été revu à la baisse par un porte-parole de la police. Plusieurs centaines de blessé·es sont aussi à déplorer.
Le drame s’est noué quand l’Arema FC a perdu (3-2) contre son grand rival historique, le club de Persebaya Surabaya. Cette première défaite depuis vingt ans a mis en fureur les supporteurs de l’équipe perdante, rapporte l’AFP. Plusieurs milliers de personnes ont alors pénétré sur le terrain du stade Kanjuruhan. Un chaos meurtrier s’est ensuivi : de nombreuses personnes ont été piétinées, des spectateurs pris de panique ont été bloqués par la foule et ont été asphyxiés, deux policiers sont morts et les forces de l’ordre ont tiré des volumes considérables de gaz lacrymogène.
Parmi les victimes se trouve un enfant âgé de 5 ans, selon un directeur d’hôpital interrogé sur une chaîne de télé locale. Des vidéos diffusées sur des réseaux sociaux montrent des personnes trébuchant dans d’épais nuages de gaz chimique.

Le stade était rempli au-delà de ses capacités. Le ministre indonésien de la sécurité, Mahfud MD, a publié sur Instagram un post dimanche expliquant que 42 000 tickets avaient été vendus pour le match, alors que le stade ne peut accueillir que 38 000 personnes. Les supporteurs de Persebaya Surabaya n’avaient pas été autorisés à acheter des billets pour ce match, par crainte d’affrontements entre les fans de ces deux équipes rivales de longue date.
Les autorités avaient demandé aux organisateurs d’avancer le match dans l’après-midi plutôt qu’en soirée, recommandation qu’ils ont ignorée. « Ce sport provoque souvent des expressions soudaines d’émotions », a ajouté le ministre de la sécurité. Les violences entre supporteurs et à l’occasion de matchs de foot sont un problème récurrent en Indonésie. Jusqu’au match cauchemardesque du samedi 1er octobre, 78 personnes étaient mortes dans des incidents liés au foot depuis vingt-huit ans, selon des chiffres du gouvernement indonésien cités par Channel New Asia.
S’il n’y avait pas eu de gaz lacrymogène tiré sur les tribunes, il n’y aurait pas eu de victimes.
Le président de la République d’Indonésie, Joko Widodo, a ordonné dimanche une enquête sur la sécurité des matchs. Le ministre des sports et de la jeunesse, la police nationale et le chef de l’Association nationale du football indonésien sont sommés de mener « une évaluation complète des matchs de football et des procédures de sécurité », a déclaré le chef de l’État dans un discours télévisé. « Je regrette profondément cette tragédie liée au football et espère que ce sera la dernière dans notre pays », a-t-il ajouté
« S’il n’y avait pas eu de gaz lacrymogène tiré sur les tribunes, il n’y aurait pas eu de victimes, témoigne un spectateur, M. Joshua, cité par le New York Times, « les gens ont été pris de panique et leur seule intention était de s’éloigner des sorties et de se réfugier sur le terrain. Ils essayaient en fait de sauver leur peau ». Cet homme, un fan de l’Arema club, était venu voir le match avec son épouse et treize ami·es.
Ils ont pu sortir du stade vers minuit samedi soir, pour tomber sur la vision apocalyptique de bris de verre partout dans les rues et de carcasses de voitures calcinées. « Quand je ferme les yeux, j’entends encore des voix appeler à l’aide. Je ne veux plus jamais soutenir une équipe de foot. Je ne veux plus jamais regarder de match de foot indonésien. J’espère que le football sera aboli en Indonésie. »
Des juristes cités par le Guardian signalent que le guide de sécurité de la Fifa demande au service d’ordre et à la police de ne pas utiliser de gaz lacrymogène dans le périmètre entourant un terrain de jeu. Le directeur d’Amnesty International en Indonésie, Usman Hamid, demande aux autorités indonésiennes que « ceux qui ont commis des irrégularités soient jugés en procès public et ne reçoivent pas uniquement des sanctions internes ou administratives ». Il appelle également la police à revoir son utilisation des gaz lacrymogènes.
La fondation indonésienne pour l’aide juridique a de son côté déclaré que « l’utilisation excessive de la force par le recours au gaz lacrymogène et le contrôle inapproprié de la foule est la cause d’un grand nombre de ces décès ». Le chef de la police de Java oriental, M. Afinta, a justifié l’utilisation des gaz : « parce que c’était l’anarchie. Ils étaient sur le point d’attaquer des agents et avait dégradé des véhicules », précise le New York Times.
« Au-delà de l’imaginable »
L’Indonésie doit accueillir l’an prochain la compétition la Coupe du monde des moins de 20 ans – le stade de Malang ne fait pas partie des stades sélectionnés. « Nous sommes désolés pour cet incident. […] C’est un incident regrettable qui “blesse” notre football à un moment où les supporteurs peuvent assister à un match dans un stade », a déclaré de son côté le ministre indonésien des sports et de la jeunesse Zainudin Amali à la chaîne Kompas. « Nous examinerons de manière approfondie l’organisation du match et le nombre de supporteurs (dans le stade). Interdirons-nous de nouveau la présence de supporteurs lors des matchs ? Nous en discuterons », a-t-il ajouté.
Cette catastrophe est « une tragédie au-delà de l’imaginable », a déclaré le président de la Fédération internationale de football (Fifa), Gianni Infantino, dans un communiqué dimanche.
Le XXe siècle a connu de nombreuses tragédies pendant ou après des matchs de foot. En 1964, trois cents personnes ont perdu la vie et plus de cinq cents avaient été blessées à Lima, au Pérou, dans une émeute provoquée par l’annulation d’un but d’égalisation dans un match de qualification contre l’Argentine. Les victimes ont été piétinées et pour certaines d’entre elles tuées par des tirs policiers. En 1985, des affrontements entre supporteurs de Liverpool et de la Juventus de Turin au stade du Heysel, en Belgique, ont pris au piège les spectateurs et provoqué une bousculade mortelle : trente-neuf morts et plus de quatre cents blessés.
Le 15 avril 1989, 95 personnes ont perdu la vie dans le stade d’Hillsborough à Sheffield, dans le nord-ouest de l’Angleterre, alors que démarrait un match entre le Liverpool FC et Nottingham Forest – l’entrée en force de supporteurs dans une tribune déjà pleine provoque son effondrement, écrasant et étouffant de nombreux spectateurs. La tragédie de Hillsborough, véritable traumatisme dans la culture ouvrière et populaire de Liverpool, a été cruellement ravivée par le fiasco de la finale de la Ligue des champions entre Liverpool et le Real Madrid, au stade de France à Saint-Denis le 28 mai dernier.
Alors qu’ils attendaient pour s’installer dans les gradins, des supporteurs de Liverpool avaient été empêchés d’entrer dans le stade, inondés de gaz lacrymogènes par la police française, et pour certains frappés à coups de matraque. Ces incidents ont causé une indignation internationale et de nombreux observateurs avaient alors remarqué que le drame n’avait été évité que grâce au sang-froid des supporteurs de Liverpool. Ce qui n’avait pas empêché le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, d’accuser « des milliers de “supporteurs” britanniques, sans billet ou avec des faux billets », qui « ont forcé les entrées et, parfois, violenté les stadiers ».
Il faut croire que les fantômes du désastre de Hillsborough hantent encore les fans liverpuldiens. À la suite des incidents du Stade de France, deux supporteurs des Reds, témoins du drame en 1989 et présents lors de la finale de la Ligue des Champions, se sont suicidés. « Nous avons dû faire suivre des thérapies à des gens après le Stade de France, a témoigné Peter Scarfe du groupe de soutien aux survivants de Hillsborough, cité dans le Daily Star. Cette année seulement, nous avons eu trois suicides. C’est trois de trop. L’un d’entre eux s’est passé juste avant la date anniversaire, et deux d’entre eux avaient subi au Stade de France une réactivation de leur traumatisme. »
Plus de 1 800 supporteurs de Liverpool ont annoncé vouloir porter collectivement plainte contre l’UEFA, l’association des fédérations de foot qui organise la Ligue des champions, après les incidents du 28 mai.