International Reportage

Irlande: Declan Ganley, ce sulfureux milliardaire qui pourrait faire tomber l'Europe

"Voter oui, c'est comme une dinde qui voterait pour Noël": Declan Ganley dépense donc sans compter pour le "non" au référendum irlandais du 12 juin. Cet homme d'affaires, qui prospère aujourd'hui dans l'ombre du ministère américain de la défense, mélange les genres. Affaires, politique, intérêts et influence: portrait de celui qui fait cauchemarder l'Europe.

Maguy Day

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Rendez-vous est pris avec Declan Ganley, principal partisan du « non » au référendum irlandais sur le traité de Lisbonne, dans un hall d'hôtel dublinois. Pas de trace de Rolls Royce, Bentley ou limousine, censée l’accompagner dans son aventure. Je ne saurais pas non plus de quoi ont l’air les bureaux de Rivada Networks qui emploie une poignée d’Irlandais dans le comté de Gallway.

Declan Ganley, richissime Irlandais connu pour avoir récemment acquis la propriété du chanteur Donovan, à moins d’un kilomètre dans le comté de Galway, reste étonnamment discret sur ses revenus. Il ne souhaite pas dire si sa fortune se compte en million ou en milliard.

Fondée en 2006 mais apparue sur la scène politique irlandaise il y a à peine quelques mois, son organisation Libertas a déjà dépensé officiellement 300.000 euros et en aura investi trois fois plus d’ici le vote, jeudi 12 juin. Sur un total de 1,3 million dépensés par les opposants au traité européen, seul un quart provient d’organisations politiques comme le Sinn Fein, le parti des travailleurs ou l’association d’ultra-catholiques Còir. Les trois quarts restants sont le fait de l’organisation contrôlée en toute opacité par Declan Ganley et par les « contributions privées » qui lui sont parvenues.

« A titre personnel je n’ai pas pu contribuer pour plus de 6348 euros, comme me l’impose la loi », tient-il à préciser. Une goutte d’eau dans un océan de richesses. Declan Ganley détient 80% de Rivada Networks, estimé entre 180 et 250 millions d’euros. Pour en savoir plus sur la cinquantaine, ou plus, de généreux opposants au traité, il faudra donc attendre l’heure des comptes, une fois le scrutin clôturé.

"Comme une dinde qui voterait pour Noël"

Mais si cette aventure s’explique en partie par le caprice égocentrique d’un homme d’affaires de 39 ans qui engrange les millions, cela ne résume pas tout. L’animosité de Declan Ganley envers la Constitution européenne ne date pas d’hier.

Déjà en 2003, dans un article paru dans un think tank américain, il décrivait les règles européennes comme un exercice « socialiste et centriste ». Tout en s’affirmant pro-européen, ce néo-libéral considère aujourd’hui comme amorale la question du oui ou du non puisque « à 96 % , le traité de Lisbonne est identique à celui rejeté en 2005 par les Français ». Amorale voire suicidaire. « Voter oui pour la ratification du traité de Lisbonne, c’est comme une dinde qui voterait pour Noël », s’enflamme-t-il.


Pur produit des dix dernières années de faste économique en Irlande, l'homme d'affaires s’est entouré de ses cinq salariés irlandais pour militer à temps plein pour Libertas ces derniers mois. En effet, Rivada Networks, enregistrée dans l’Etat du Delaware, aux Etats-Unis, est la dernière aventure professionnelle de Declan Ganley et n’emploie que 5 personnes en Irlande et « entre 50 et 100 personnes, sans compter les sous-traitants aux Etats-Unis».


Fondée en 2004, Rivada Networks fournit la technologie de communication au commandement nord des forces de défense des Etats-Unis (en charge de la protection du territoire américain) ainsi qu’à la garde nationale dans seize Etats américains et trois antennes du FBI. « C'est une version glorifiée d'un Blackberry», explique-t-il, une technologie capable de prendre le relais des moyens de communication traditionnels en cas de catastrophe nationale.

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Sa société compte parmi ses directeurs le contre-amiral Robert Duncan, ancien responsable des garde-côtes américains (sur près de 2000 km) et accessoirement coordinateur du vote des soldats américains en Irak en 2005; l'amiral James Loy, ancien vice-secrétaire au service de Homeland Security; le lieutenant-général Dennis McCarthy, mais aussi John Tackett, dans l’armée de l’air pendant 20 ans, John Kelly « détenteur d’autorisations de sécurité à un haut-niveau », selon Rivada Networks, et Don de Marino, en mission pour la défense américaine en Irak.

Contre-amiral Robert Duncan

Dans l'URSS agonisante

Rivada Networks ne s’interdit aucun procédé pour s’attirer les bonnes grâces du département américain de la défense. Il y a quatre ans, lors d’une conférence sponsorisée par Rivada sur le risque sécuritaire en Europe, les notes de frais de quelque 4.200 dollars des deux représentants du Pentagone ont été prises en charge par Rivada.


Declan Ganley doit beaucoup à son goût précoce pour les opérations commerciales juteuses ainsi qu'à l’histoire récente. L’implosion de l'Union soviétique ravagée par le capitalisme sauvage et l’accession à l'indépendance d'anciennes républiques soviétiques comme l'émergence de gouvernements novices en Europe de l’Est lui ont permis de mettre ses projets à exécution.


Fils d’un émigré irlandais ouvrier dans le bâtiment, sa famille abandonne Londres pour revenir à Glenamaddy, Co Galway, village natal de son père dans l’ouest de l'Irlande quand il a 13 ans. Le jeune adolescent abandonne assez vite ses études pour se lancer dans la spéculation boursière.

De retour à Londres, Declan Ganley décroche un petit boulot (« tea boy ») dans une société chargée d’assurer la marine britannique. Il s’y fait connaître en proposant d’assurer les satellites occidentaux lancés par des fusées soviétiques. Le projet avorte mais cela lui permet de mettre à profit ses contacts dans un empire en pleine implosion, en 1988, un an avant la chute du mur de Berlin. Il se lance dans le transfert de matières premières d’Union soviétique à Rotterdam, via la Lettonie, achetant la tonne d’aluminium à 30 dollars pour la revendre dix fois plus cher sur le port européen.

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Nommé conseiller économique du nouvel Etat letton à son indépendance en 1992, il y acquiert des terres forestières qu’il revendra au fonds d’investissement Renaissance Capital, pour un montant gardé secret. Par la suite, il fonde avec succès la société européenne de télecom Broadnet, qu’il revend à Comcast pour 50 millions d’euros. En 1998, il crée une compagnie de télécommunication par câble en Bulgarie qu’il vend, quatre ans plus tard pour 18 millions d’euros.

Cables d'Aluminium en balle

Des parlementaires accusent

Au lendemain des attaques terroristes du 11 septembre 2001, il fonde Rivada Networks qui propose un système de communication d’urgence en cas de cataclysme naturel ou « provoqué par l’homme », comme l’indique le site Rivada.com.


Des voix s’élèvent parmi les députés irlandais pour dénoncer la fausse innocence de Declan Ganley qui, s’il se pose en héraut de la souveraineté irlandaise, défend en réalité ses intérêts personnels. « Les intérêts économiques et militaires aux Etats-Unis de Monsieur Ganley dictent son opposition au Traité de Lisbonne. (…) L’idée d’une Union européenne, capable de vérifier et de contrebalancer le pouvoir à Washington, ne sied pas à nos amis transatlantiques. Et maintenant, alors que se profile une Europe politique plus forte, ce personnage qui a établi des liens étroits avec l’état-major américain essaie de faire dérailler le processus », affirme la députée irlandaise Lucinda Creighton.

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