Quatrième et dernier volet de notre série au cœur des colonies: rencontre avec Asher Benkemoun, né à Marseille en 1966, de parents rapatriés d'Algérie, et qui habite aujourd'hui à Eli, au nord de la Cisjordanie. Asher Benkemoun a fait toute sa carrière dans les services de renseignements et de sécurité du ministère israélien de la défense, ce qui lui a ouvert de nombreuses portes, en Israël comme en France. C'est à lui notamment que l'on fait appel pour faire visiter la «Judée Samarie» aux parlementaires français, pour «rétablir la vérité», comme il dit.
Aujourd'hui à la tête d'une société d'audit et de conseil en lutte anti-terroriste, celui qui est aussi le conseiller spécial du président de la Côte d'Ivoire en matière de sécurité a accepté, après maintes tractations, de livrer à Mediapart son regard sur l'Etat d'Israël, mais aussi sur l'islam, la France et le futur de la région, dans un entretien sans tabou.
Pourquoi êtes-vous si certain qu'Israël ne se retirera jamais des territoires ?
(Durée du son : 45 sec.)
Ce qu'il est important de savoir aujourd'hui, c'est que 40% des officiers d'élite de l'armée israélienne sont issus des implantations. C'est-à-dire des gens qui sont amoureux de leur terre. Leur ambition : combattre pour le grand Israël. Ça, Olmert le savait, mais il a cherché à le nier. Lorsqu'il était premier ministre, il est allé activer les partis de gauche et les kibboutz pour dire : «Bougez vos enfants pour qu'ils prennent le contrôle de l'état-major, parce que sinon ce sont ceux qui habitent les implantations qui vont le prendre.» Mais les gens de gauche ne font même plus l'armée. La véritable flamme idéaliste, elle est aujourd'hui dans les implantations. Parce que ce sont des jeunes amoureux de leur terre, amoureux de leur histoire, très religieux.
En somme, ce sont des nationalistes religieux prêts à tout pour garder leur terre. Les jeunes des implantations ne seront jamais prêts à en partir. Et si un gouvernement veut les déloger, ça se passera très mal... Tout gouvernement qui voudrait évacuer les implantations plongerait le pays dans la guerre civile.
Tout ça, Nétanyahou le sait. Et un Gush Katif, avec un démantèlement de 8.000 personnes, on ne pourra le refaire grandeur nature en Judée-Samarie. Aujourd'hui, nous sommes à l'approche de l'ère messianique, car ce pays est à un tournant : on a un homme comme Nétanyahou qui a pris le pouvoir, mais lui-même ne nous intéresse pas. Ce sont surtout ceux qu'il a autour de lui, comme le fils de Menahem Begin. Eux sont de véritables partisans de l'Etat d'Israël, et ne veulent pas le marchander.
En face, nous n'avons personne avec qui négocier. Se brader comme a pu le faire Sharon à Gaza, on a vu ce que ça a donné. D'ailleurs, tous les premiers ministres qui ont bradé Israël ne sont plus de ce monde : Ariel Sharon est dans le coma, Itzhak Rabin a été tué. Au final, tant qu'on voudra être la cinquante et unième étoile du drapeau américain, et être une base américaine, Israël ne fonctionnera pas comme il faut. Le jour où Israël sera indépendant des Etats-Unis – peut-être du lobby juif à Washington, mais plus des Etats-Unis –, on retrouvera notre place.
Vous décrivez une division très forte au sein de la société israélienne.
C'est très clair : vous avez d'un côté Tel-Aviv, Jérusalem, les villes en général, où les gens sont de moins en moins motivés par l'Etat, partent à l'étranger, ne veulent plus faire l'armée. Et de l'autre, ceux qui habitent dans les implantations, qui entrent dans les meilleures unités, et tiennent le pays. Moi, j'ai un garçon qui a 17 ans, qui s'est déjà engagé pour les sept années qui viennent. Il rentre dans une unité qui s'appelle la Sayeret Matkal, une unité des forces spéciales qui dépend du chef d'état-major. Pour pouvoir intégrer ces unités, il faut être bien bâti physiquement, mais aussi au niveau de la tête, c'est-à-dire savoir pourquoi vous vous battez, pourquoi vous défendez ce pays. Parce qu'il appartient à Dieu, il nous a été donné par Dieu, parce que nous sommes le peuple élu.
C'est pour cela que tant que l'on essaiera de faire de ce pays un Etat comme les autres, ça ne fonctionnera pas. Vouloir ressembler aux Européens, faire venir du porc à Jérusalem, faire voler les avions le samedi..., tout ça nous éloigne des bénédictions. Et les gens le savent. Les dirigeants aussi. C'est pour ça que doucement, on est en train de se rapprocher de notre idéal.
C'est mathématique : les jeunes issus des implantations sont ceux qui prendront le pouvoir demain, pour faire de ce pays un Etat gouverné avec des lois juives. Écoutez, si nous en sommes là aujourd'hui, avec une des meilleures technologies, une des meilleures armées au monde, alors que nous sommes seulement 6 millions, c'est bien qu'il y a une main puissante qui veille sur nous.
«Combattre jusqu'à ce qu'il ne reste qu'un seul peuple»
Vous dites : «L'Etat d'Israël, ce n'est pas seulement ce que vous voyez aujourd'hui»...
(Il coupe.) Non, le Grand Israël va jusqu'au Liban, jusqu'en Irak. Aujourd'hui, ce serait présomptueux de dire qu'on va reconquérir le Liban. Mais on y viendra. On reprendra ce qui nous appartient. La Judée-Samarie, ça fait partie de notre histoire : Josué, quand il est rentré en Israël, il est passé par la Judée Samarie. Dire qu'on est en territoires occupés : oui ! Mais occupés par les Palestiniens. Le premier peuple qui était là, c'est quand même nous.
Votre discours ne laisse pas beaucoup de place au processus de paix avec les Palestiniens...
Je vous le dis franchement : on ne fera jamais la paix avec eux. Beaucoup de Palestiniens sont déjà partis, et nous sommes voués à combattre jusqu'à la fin, jusqu'à ce qu'un seul peuple reste ici. On ne pourra jamais habiter ensemble, ce n'est pas possible.
Pour quelles raisons ?
Parce qu'on n'a pas la personne en face pour négocier. Le peuple palestinien est à plaindre, parce que lui-même est manipulé par une proportion très infime de gens qui reçoivent de l'argent des Nations unies, de l'Union européenne. Et cet argent ne va pas au peuple. Et les dirigeants font de ce peuple des terroristes, qui se suicident. La question que je me pose c'est : jusqu'à quand le peuple peut souffrir sans se révolter? On s'attend nous à une révolte, comme ça s'est passé à Gaza avec le Hamas.
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Vous me disiez aussi qu'entre autres activités, vous accompagniez certaines personnalités politiques françaises qui souhaitent visiter la Cisjordanie.
Oui, j'ai notamment guidé l'an passé Lynda Asmani [conseiller UMP de Paris], en avril 2008 (voir la boîte noire de cet article). Je l'ai emmenée dans les implantations, autour de Ramallah, elle a rencontré le conseiller régional de Judée Samarie.
Nous faisons la même chose avec les personnalités de la communauté juive de France, et les députés qui les accompagnent. De manière générale, on essaie de plus en plus de rencontrer les hommes politiques qui viennent ici, pour transmettre notre message, qui est simple : nous ne sommes pas des colons, mais des gens qui occupent leur propre terre. Ce n'est pas du tout comme les Français qui ont colonisé l'Afrique : ça, cela s'appelle de la colonisation. Nous, on est chez nous. Et l'on a, grâce à Dieu, des jeunes qui essayent de rentrer avec leurs caravanes, et continuent à occuper la terre.
Qu'on le dise ou pas, c'est assez clair : le gouvernement nous soutient, parce qu'il considère qu'occuper la Judée Samarie, c'est indispensable pour la sécurité d'Israël. C'est la paroi de protection pour les gens qui habitent en ville comme Tel-Aviv. C'est le même principe que celui d'«Arik» Sharon, quand il a eu l'idée des implantations dans les années 1960. Parce qu'il ne faut pas oublier que cela vient de lui. Sa politique, c'était quoi ? « Je mets des civils sur une montagne, les Arabes sont dans la vallée, et pour protéger les civils, il faut l'armée, qui vient dans un deuxième temps.» S'il avait amené l'armée directement, il aurait eu le monde contre lui. Et au final, c'est gagné. Vos lecteurs l'ont bien vu, si vous avez été à Psagot : Tsahal y a installé un centre d'observation, sur la colline, et surveille les Arabes de Ramallah.
Je pense que les gens de gauche se rendent de plus en plus compte de cela, de notre rôle, à l'image d'Ehoud Barak [Parti travailliste, actuel ministre de la défense, NDR], qui n'a pas hésité à rejoindre le gouvernement de Nétanyahou.
«Lutter contre les orthodoxes et le cancer de l'islam»
Politiquement, où vous situez-vous, notamment par rapport à vos convictions religieuses ?
Je ne suis pas un extrémiste, j'ai horreur de tout ce qui extrême. Tout ce qui est orthodoxe est mauvais, néfaste. Nous sommes des Juifs qui respectent leur religion et leur histoire. Je vis ici parce que c'est le pays qui nous a été donné. Moi, j'habite à Eli, où nos patriarches sont passés. Ce sont des endroits plongés au cœur de l'histoire, qui sont sanctifiés. Ce n'est pas pour rien que les jeunes qui naissent là-bas sont plus forts, plus courageux.
À Eli, nous avons une école préparatoire de l'armée, «l'école des enfants de David», créée en 1988, pour laquelle il y a une très longue liste d'attente, car il n'y en a que deux de ce niveau. De ces deux écoles sortent maintenant presque tous les jeunes cadres d'élite de l'armée d'Israël. Les gens y viennent après le bac, un an ou deux, pour se renforcer en histoire juive, en Torah, et en entraînement militaire. Quand ils ressortent de cette école, les jeunes signent en général avec l'armée pour six à sept ans. Et ce sont tous des officiers, des commandants des unités d'élite. Aujourd'hui, Tsahal ne peut pas se passer de cette école. Toutes les semaines, un commandant y vient pour vendre son unité. Le chef d'état-major, le général Ashkénazi, vient souvent, et nous soutient, car il a conscience de notre importance pour l'avenir d'Israël.
Au final, tout le ministère de la défense, qui est de gauche à la base, et même très à gauche, est en train de passer entre nos mains. Nous ne sommes donc pas des extrémistes, nous voulons simplement protéger notre pays. On est en train de créer une école, un peu comme l'ENA, pour éviter que ces jeunes, une fois l'armée finie, se perdent dans des boulots par-ci par-là. Nous voulons les former à l'administration et les faire entrer dans tous les ministères.
Comment envisagez-vous l'avenir de l'Etat d'Israël ?

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En accord avec nos idées, notre foi, dans la loi juive, en éliminant la corruption, avec ces jeunes qui sortent humbles, renforcés, de leurs sept années d'armée. Et certainement pas comme le veulent les orthodoxes, qui ont la barbe et le chapeau et veulent nous faire un Etat iranien. C'est ce qui risque d'arriver, c'est ce aussi qu'il faut combattre.
Mais on a les moyens de gagner notre indépendance, vis-à-vis d'eux et du monde. Vous savez le lobby juif international est très puissant, à l'image de l'Aipac aux Etats-Unis, et Israël pourrait ne dépendre que des Juifs dans le monde.
Je suis d'autant plus confiant qu'Israël commence à exporter son modèle, parce que le monde est en train de vivre ce que nous vivons depuis longtemps. L'islam est en train de se mondialiser. Les Etats sont en train de s'islamiser, le cancer est en train de pénétrer. Non pas que je sois anti-musulman, j'ai de très bons amis palestiniens. Mais dans ces Etats, les mauvais musulmans ont déjà commencé à pénétrer la police et l'administration. Ce sont les enfants des immigrés d'hier, qui sont bien infiltrés aujourd'hui, et qui représentent le danger.
Et contrairement à nous, ces Etats ne sont pas assez préparés à cela. En parlant d'Etat, je parle de la France. La police française n'est pas formée. Je l'avais dit à Claude Guéant, quand Nicolas Sarkozy était ministre de l'intérieur, et à Emile Perez, de la police française. Vos gardiens de la paix ne sont pas bâtis pour entrer dans des cités violentes... Vos CRS, vous en faites des élèves avocats, ils ne font que du blabla. Bref, ce principe de vigilance que je préconise pour l'Etat d'Israël, je pense qu'il serait temps aussi que vous l'adoptiez en Europe.