Série Épisode 3 L'Islande «indignée»

A Reykjavik, la bataille d'un Internet libre contre «les vieux Etats-nations»

Les députés islandais ont adopté l'an dernier une résolution faisant de leur île un «paradis de l'information». Dans un entretien à Mediapart, Smari McCarthy, l'un des concepteurs du texte, fait le point sur les avancées du projet.

Ludovic Lamant

Le Parlement islandais a engagé, en juin 2010, un vaste chantier légal et technique, visant à faire de l'île un refuge pour le journalisme d'investigation et les libertés sur Internet. Face aux menaces pesant sur les libertés publiques dans bon nombre de pays, cette résolution des députés, baptisée «IMMI» (Icelandic Modern Media Initiative, du nom de l'association qui la porte), fut un événement. Où en est ce projet d'«anti-paradis fiscal», qui pourrait héberger à terme les serveurs internet de journaux du monde entier? Entretien, à Reykjavik, avec Smári McCarthy, l'un des co-fondateurs et porte-parole d'IMMI, qui s'apprête par ailleurs à lancer un site d'enquêtes payant en islandais.
Quand la loi sur la liberté des médias sera-t-elle définitivement adoptée en Islande?
Nous n'aboutirons pas avant 2012. Depuis juin 2010, nous avons ouvert un vaste chantier. A commencer par dresser un inventaire de ce qui existe déjà, à l'étranger, en matière de législation intelligente des médias. Le projet avance bien, mais les ministères qui nous soutiennent ont du mal à trouver l'argent qu'il nous faudrait pour fonctionner de manière optimale. L'IMMI compte seulement neuf personnes, dont trois salariés à plein temps.
Vous avez imaginé ce projet en réaction à la crise de l'Islande, et à la faillite des trois grandes banques de l'île, en octobre 2008.
Nous nous sommes tous demandés, à l'époque, pourquoi nous nous effondrions. La réponse la plus fréquemment avancée consistait à dire que notre secteur bancaire était hypertrophié, que notre dette était devenue trop lourde. Mais cela revient à répondre en reprenant les mêmes manières de penser dominantes qui ont conduit à la crise.
En fait, il y a eu, avant tout, d'immenses manques d'information, entre les banques, les autorités de surveillance, le gouvernement et le grand public. Si nous avions été mieux informés, chacun d'entre nous, à chaque poste, aurait pris de meilleures décisions. C'est le projet de l'IMMI: rendre possible, à la fois d'un point de vue légal, mais aussi économique, l'existence d'une société responsable (accountable), plus transparente, moins corrompue.
Ce que vous décrivez est aussi très lié à la situation des grands journaux sur l'île.
Bien sûr. Les recettes de nos deux grands journaux viennent avant tout de la publicité, pour une proportion comprise entre 50 et 75%. Il est difficile dans ce contexte de favoriser le journalisme d'investigation... Mais l'IMMI dépasse les frontières islandaises. Certains gouvernements ont manifesté ces derniers temps une vraie volonté de restreindre la liberté d'expression sur internet, en mettant en avant, par exemple, la nécessité de protéger la «sécurité nationale». Certains sont si inquiets qu'ils réfléchissent à des polices de l'internet. Les vieux Etats-nations ont peur... Ce sera la bataille des vingt prochaines années.

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