À l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet sanctionne mal à propos

Une députée Renaissance qui avait taxé le Rassemblement national de « xénophobe », deux députés RN qui avaient traité Bruno Le Maire de « lâche » et Pap Ndiaye de « communautariste »... Tout à sa volonté de débats apaisés, la présidente de l’Assemblée fait du zèle.

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«Xénophobie : hostilité de principe envers les étrangers, ce qui vient de l’étranger. » En prônant la priorité nationale, en liant sans cesse immigration et insécurité, en affirmant ad nauseam la nécessité de stopper l’immigration et de faciliter les expulsions, le Rassemblement national (RN) est xénophobe. 

Dire cette réalité a pourtant valu, mardi 11 octobre, à la députée Renaissance Astrid Panosyan-Bouvet, un rappel à l’ordre dans l’enceinte de l’Assemblée nationale. Cette sanction a été brandie par la présidente du Palais-Bourbon, Yaël Braun-Pivet, qui en a paru elle-même désolée. « Je me vois contrainte de prononcer un rappel à l’ordre parce que vous avez utilisé le terme xénophobe à l’égard d’un parti politique. Je venais de rappeler qu’il fallait avoir une attitude respectueuse les uns envers les autres. » Devant la bronca à gauche, Yaël Braun-Pivet ajoute, quasiment hors micro : « Eh ouais mais on va pas s’en sortir. »

Cette expression, « attitude respectueuse les uns envers les autres », peut surprendre à plus d’un titre. Sur un simple aspect réglementaire, d’abord. Sur la page consacrée à l’immunité parlementaire, l’Assemblée précise que « la loi protège la liberté d’action et d’expression d’un député. Il s’agit de garantir qu’un député ne saurait être inquiété pour les opinions exprimées dans le cadre de son mandat. Loin d’être un privilège, c’est une mesure d’ordre public instituée dans l’intérêt du fonctionnement de la démocratie ».

Avec tout de même un garde-fou : les propos protégés ne concernent que l’activité parlementaire – et donc pas des propos tenus dans les médias ou lors de réunions publiques. Par ailleurs, le texte précise que « des propos diffamatoires ou injurieux tenus dans l’hémicycle pourront valoir à son auteur le prononcé d’une sanction par le président de l’Assemblée ou le Bureau ».

En rappelant à l’ordre Astrid Panosyan-Bouvet au nom de sa volonté de voir les député·es avoir une « attitude respectueuse les uns envers les autres », Yaël Braun-Pivet fait une lecture très personnelle, et très extensible, du règlement.

Excès de zèle

En outre, Astrid Panosyan-Bouvet semble faire les frais, lors de cette séquence, d’un zèle d’impartialité de la part de la présidente de l’Assemblée. Car si la sanction est tombée au début des explications de vote du projet de loi sur les « mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi », elle intervient surtout après deux heures de séance de questions au gouvernement lors desquelles, par deux fois, Yaël Braun-Pivet a prononcé des sanctions contre deux députés RN.

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Yaël Braun-Pivet à l’Assemblée en nationale le 11 octobre 2022. © Photo Eric Tschaen / REA

D’abord un rappel au règlement inscrit au procès-verbal de la séance – ce qui signifie la privation d’un quart d’indemnité parlementaire pour un mois – à l’égard d’Alexandre Loubet, après que ce dernier a traité le ministre de l’économie Bruno Le Maire de « lâche » pendant sa question. Très en colère, le ministre a demandé des excuses au groupe RN. La présidente a jugé l’injure suffisamment avérée pour la sanctionner. 

Quelques minutes plus tard, un autre député RN, Frédéric Boccaletti, s’en prenait dans sa question au ministre de l’éducation Pap Ndiaye, qualifié de « communautariste ». Nouveau rappel à l’ordre, mais cette fois-ci sans inscription au procès-verbal. 

Ces sanctions ne sont pas rares à l’Assemblée nationale. La semaine passée, la députée insoumise Danièle Obono avait écopé d’un rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal, car elle avait été accusée « d’invectiver l’Assemblée et la présidente » depuis son banc. 

Mais hier, le contexte était différent. Dans les trois cas, les députés en cause avaient la parole. Par ailleurs si les propos étaient vifs, l’injure reste difficile à caractériser – à part éventuellement pour le terme « lâche », même si cela semble tout de même relever de la libre appréciation d’une politique. Enfin, les trois sanctions font le jeu y compris de l’extrême droite.

Mercredi matin sur BFMTV, le président par intérim du RN a eu beau jeu de rappeler que « des critiques, dans l’enceinte de la démocratie française, ont le droit d’être prononcées ». « Que Braun-Pivet sanctionne des députés de la majorité comme des députés d’opposition, c’est une remise en cause de la liberté d’expression », a ajouté Jordan Bardella. La dédiabolisation du parti lepéniste, déjà bien avancée dans l’enceinte du Palais-Bourbon où le parti dispose de deux vice-présidences ou encore d’une place à la CJR, a encore franchi un cap.

Se voir donner des leçons de démocratie par le Rassemblement national, voilà sans doute un effet pervers dont la présidence de l’Assemblée nationale aurait pu se passer.

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