Jeudi soir, sur le plateau d’«A vous de juger», sur France 2, la photo de famille de l’UMP était parfaite. Derrière François Fillon, invité d’Arlette Chabot, ministres, parlementaires et dirigeants de l’UMP s'entassaient dans les gradins de l’émission. Le but était clair: donner l’image d’une majorité soudée derrière son premier ministre, suite à l’avalanche de couacs des dernières semaines.
Car après la grogne des députés, les sorties remarquées de certains ministres, c’est au tour des chefs de file des différentes sensibilités et formations associées de l'UMP de taper du poing sur la table. Pour eux, la diversité tant vantée par Patrick Devedjian n’est qu’une illusion : le mouvement se replie sur lui-même et ne prend pas assez en compte les différents courants d’idées du parti.
Dernière sortie en date, celle de la ministre du logement, Christine Boutin, samedi 7 juin, à l’occasion du conseil national du "Forum des Républicains sociaux" (FRS), qu’elle préside depuis 2002. «L'UMP est en train de retrouver les traits de l'ancien RPR. Un parti très hiérarchisé et qui n'a plus d'expression propre par rapport à l'action du chef de l'État», a déclaré l’ancienne candidate à la présidentielle de 2002 à la tribune du conseil national.
Cette évolution «ruine, selon elle, l'espoir qu'avait eu Alain Juppé lorsqu'il a créé l'UMP en 2002 : réunir toutes les sensibilités de la droite et du centre et garantir leur liberté d'expression grâce à l'organisation de courants». La ministre du logement a salué l’existence de «petites boutiques» comme le FRS, associé à l'UMP (trois députés, 160 élus locaux et 8.000 adhérents revendiqués), pour faire vivre le débat dans la majorité.
Ils sont nombreux à rejoindre la critique de Christine Boutin. A commencer par le député du Maine-et-Loire, Hervé de Charrette, à la tête du club de réflexion "Convention démocrate". Acte 1 : le 14 mai, dans un entretien accordé à Libération, il évoque «un moment de crise d’identité pour l’UMP», qu’il a rejoint en 2007, et «la présidence brejnévienne de Patrick Devedjian». Il réclame «une réforme des structures et du mode de vie interne de l’UMP» et se prononce «pour l’existence de courants au sein du parti. Je suis un centriste de toujours et je suis mal à l’aise dans la situation actuelle».
Acte 2: le lendemain, le secrétaire général tacle le député dans la presse en affirmant qu'il «connaît le prix des états d'âme de Charette, il est de 600.000 euros!». Une allusion au montant de la subvention refusée par l'UMP à la "Convention démocrate". Acte 3: dans un entretien au Parisien, le député se dit «scandalisé» par les «attaques de Patrick Devedjian» et «exige des excuses publiques». «Les militants UMP désertent nos permanences. Il y a un vrai malaise dans ce parti», souligne-t-il.
Son bras droit, le vice-président du groupe UMP au conseil de Paris, Eric Hélard, dénonce l'attitude du secrétaire général: «Nicolas Sarkozy s'était engagé à poursuivre notre club. Quand Devedjian a récupéré le bébé, on a été traités comme des valets. Notre subvention a été ramenée à 100.000 euros. Il a dit: "Les clubs centristes, je m'en fiche, (...) à l'intérieur du parti." Les soi-disant difficultés financières de l'UMP n'ont été qu'un prétexte, il n'aime pas les anciens UDF. Mais notre sensibilité ne s'éteindra pas, elle va se manifester dans des courants, ce qui doit être discuté au sein des instances.»
Egalement partisan de l'organisation de courants, son collègue, le député libéral Claude Goasguen, évoquait lui aussi, le 20 mai, «une vraie crise d’identité à l’UMP. L’ouverture a été faite à l’extérieur de l’UMP et il serait temps de la faire à l’intérieur. L’UMP a encore peur de la diversité. Un parti de la majorité doit accepter les courants, la discussion, sans risquer l’opprobre de la division».
"L'UMP nous a méprisés"
Chez les "Réformateurs", le club créé en 2002 par l’actuel secrétaire d’Etat chargé des Entreprises et du Commerce extérieur, Hervé Novelli, on entend bien passer du rôle «d’aiguillon de la majorité» à celui de «pivot du mouvement», comme le résumait son fondateur lors d’une réunion organisée le 9 avril à l’assemblée.
Fort de 106 parlementaires, 4.500 adhérents (revendiqués) et 40 cercles locaux, le club estime «avoir toute [sa] place dans la direction de l’UMP», comme l’explique son porte-parole à l’Assemblée nationale, le député du Val-d’Oise, Yanick Paternotte.
«Notre sensibilité est parfois minorée dans son influence. (…) Le débat s’est étiolé à l’UMP, avait déploré Hervé Novelli, lors de la réunion du 9 avril. Elle avait vocation, à sa création, à couvrir l’ensemble de la droite et du centre. Elle doit retrouver l’expression des sensibilités qui sont indispensables pour que la dynamique [des réformes] puisse se développer. C’était le cas quand Nicolas Sarkozy assurait la présidence. C’est cela qu’il faut retrouver. Le paradoxe serait qu’on exprime notre sensibilité à l’extérieur de l’UMP. »
Patrick Devedjian avait alors réaffirmé la nécessité de «rassembler l’UMP dans toutes ses sensibilités, y compris ceux qui n’ont pas été des soutiens enthousiastes de Nicolas Sarkozy, et que tout le monde se sente représenté», tout en répétant son «hostilité aux courants». Ils regroupent, selon lui, «tous les inconvénients des partis, sans les avantages. L’exemple du PS a été très pédagogique pour nous. Il vaut mieux construire une cathédrale plutôt que des chapelles».
«Ça a été tranché au début de l’UMP car il y avait en face de nous le PS qui se délitait, explique Dominique Paillé, l'un des porte-parole du mouvement, à Mediapart. Qu’il y ait des sensibilités, un débat d’idées, oui, des divisions, non. Et le problème des courants, c’est qu’ils ne peuvent se déterminer que contre quelqu’un, ils sont une arène de divisions.»
Député de la Meuse et membre des "Réformateurs", Bertrand Pancher plaide lui en faveur des courants afin d'instaurer «la diversité à la tête de l’UMP. Moi je suis centriste euro-libéral, je ne me retrouve pas dans les prises de position de l’UMP. Ce n’est pas un hasard si le courant radical s’est beaucoup auto-développé».
Son collègue Yanick Paternotte avoue être «plus partagé» et «[privilégie] l'unité. Si ça enrichit le débat interne, oui. Mais animer le débat lorsqu’on appartient au parti au pouvoir est un exercice délicat, il y a le risque de paraître à contre-courant». D'autant qu'il estime que, même si les réformateurs sont «sous-estimés et pas suffisamment reconnus, [leurs] idées commencent à être épousées par d’autres parlementaires, par exemple sur la loi LME sur les grandes surfaces, où [ils ont] pas mal fait bouger les lignes. Et notre but, c’est justement de faire progresser nos valeurs, de faire avancer les réformes».
Présidé par Jean-Louis Borloo, le parti radical (24 députés et sénateurs, 10.000 adhérents revendiqués) assure quant à lui ne pas avoir «ce problème existentiel» étant donné «sa série de particularismes», selon son président d'honneur, le maire de Nancy, André Rossinot. «Je souhaite aussi qu'on joue de toutes les sensibilités de l'UMP, parti de la droite républicaine et du centre, dans sa complexité», souligne-t-il.
Qu'il y ait des courants ou non, ce sera sans le CNI. Parti associé, le "Centre national des indépendants et paysans" (4.000 adhérents revendiqués) a claqué la porte en mars pour reprendre son indépendance totale. Marre «de ne pas être entendu». Marre aussi de voir que «plus on est éloigné de la droite, mieux on est écouté [à l’UMP]», explique sa présidente, Annick du Roscoat. «L’ouverture à gauche nous avait fait beaucoup tousser. Aujourd’hui, le grand écart de l’UMP se casse la figure, il n’y a qu’à voir les adhésions… Nicolas Sarkozy est en train de céder sur des points qui sont essentiels pour nous, comme le droit de vote aux étrangers, les frontières de l’Europe, l’ISF, l’homoparentalité.»
Le CNI a notamment perçu la nomination de Nadine Morano – favorable à l’adoption par les couples homosexuels – au secrétariat d’Etat à la famille comme une provocation. Annick du Roscoat reproche «l’impossibilité de discuter avec la direction, l’absence de réponse à [ses] sollicitations. C’est du mépris pour nos électeurs!».
Et la présidente du CNI de raconter l’une de ses rares entrevues avec Patrick Devedjian, le 5 septembre dernier. «Il a été prétentieux, imbuvable. Il m’a dit "qu’est-ce que vous nous apportez, vous, le CNI ? On n’a pas besoin de vous". Ils veulent la disparition des petits partis ! Quand Juppé présidait le parti, il nous écoutait et Chirac nous recevait deux fois par an à l’Elysée.»
Mais un autre facteur a précipité le départ du CNI. «Aux municipales, l’UMP a placé des candidats contre nos sortants, y compris face aux socialistes», soutient Annick du Roscoat. A l'UMP, on explique que ce n’est pas le CNI qui a décidé de reprendre ses billes, mais bien le parti majoritaire qui, «le 31 mars, a rompu ses liens avec le CNI, qui n’a pas respecté l’accord passé pour les municipales en présentant des candidats contre nous», explique Dominique Paillé.
Qu'est devenue la machine de guerre créée par Nicolas Sarkozy?
Autant de critiques qui étonnent aujourd’hui, lorsqu’on jette un coup d’œil dans le rétroviseur. Ces formations associées, qui aujourd’hui s’élèvent contre l’UMP, étaient hier chargées de plancher sur les questions sociales, économiques, internationales.
Entre 2004 et 2007, et notamment à partir du début de l’année 2006, c’est une véritable machine de guerre que met sur pied le candidat Sarkozy pour bâtir son « projet pour la France d'après ». Ainsi, François Fillon charge ses anciens collaborateurs ministériels et les adhérents de son club "France.9" de réfléchir aux thématiques sociales. Pierre Méhaignerie monte, en 2006, son courant "Démocrates et populaires" pour travailler sur les problématiques de budget, de compétitivité ou de fiscalité. Roselyne Bachelot l’imite avec ses "Rameaux" sur les questions sociétales, Patrick Devedjian avec son "collectif de la rupture", composé d'une quarantaine de personnalités extérieures à l'UMP et désireuses d’un changement radical de système.
Pour la seule thématique de l'économie, Nicolas Sarkozy met en concurrence plusieurs groupes de travail afin de fournir dix mesures phares. Des groupes où se mêlent patrons, hauts fonctionnaires et experts et qui travaillent indépendamment de la direction des études de l'UMP, qu’anime la conseillère d’Etat Emmanuelle Mignon.
Responsable de la réflexion officielle du parti, elle organise les fameuses «conventions de la France d'après», véritable socle idéologique du projet présidentiel, que regrettent aujourd’hui les militants et cadres du parti (lire notre enquête sur le malaise des militants UMP). Le concept ? A chaque convention, un thème, sur lequel experts, militants et acteurs de la société civile débattent. L’occasion pour elle de faire rencontrer certains intervenants jugés intéressants à son patron.
Au sommet de la pyramide, une quinzaine de proches de Sarkozy sont chargés d’analyser les propositions des différents groupes de travail afin d’établir les dix mesures phares du projet. Des conseillers politiques (Patrick Devedjian, Gérard Longuet, François Fillon et Hervé Novelli), des membres de son bureau (Jean-Claude Gaudin, Pierre Méhaignerie, Roselyne Bachelot, Brice Hortefeux et Eric Woerth), des porte-parole du mouvement (Valérie Pécresse et Luc Chatel), quelques personnalités (le ministre François Baroin ou le député Dominique Paillé) et sa garde rapprochée (Claude Guéant, Franck Louvrier, Laurent Solly, Frédéric Lefebvre…). Le tout sous la houlette de François Fillon, futur locataire de Matignon, qui organise et anime les réunions.
S’ajoute à cela l’influence des réseaux personnels de Nicolas Sarkozy, qu’on ne présente plus aujourd’hui : des grands patrons (Martin Bouygues, Arnaud Lagardère, Vincent Bolloré, etc.) des économistes de renom (Nicolas Baverez, Jean-Hervé Lorenzi, Christian Saint-Etienne, Francis Kramarz), des intellectuels qui l’ont rejoint durant la campagne (André Glucksmann, Pascal Bruckner, Max Gallo, etc.), et bien sûr des ministres recalés de Jean-Pierre Raffarin (Eric Woerth, Roselyne Bachelot, Michel Barnier) puis des personnalités débauchées à gauche (Eric Besson, Bernard Kouchner).
Telle était la mécanique de la fabrique à idées de la pensée sarkozyenne. A l’époque, on vante la force du président de l'UMP, celle d’avoir réussi le grand écart en faisant travailler ensemble des personnalités différentes comme le social-démocrate Pierre Méhaignerie, le gaulliste libéral Patrick Devedjian ou encore l’ancien membre de Démocratie libérale, Gérard Longuet. Des personnalités qui représentent autant de courants de pensée entendant bien peser dans le projet présidentiel.
Cette diversité, la direction de l’UMP la revendique encore aujourd’hui. «Parmi les secrétaires généraux du mouvement, Patrick Devedjian est issu du RPR, Nathalie Kosciusko-Morizet était chiraquienne, Xavier Bertrand était juppéiste, explique Dominique Paillé, l’un des porte-parole du mouvement. Même chose avec nos vice-présidents, Jean-Pierre Raffarin vient de Démocratie libérale, Jean-Claude Gaudin est un fondateur de l’UDF, Jean-Pierre Méhaignerie est un centriste démocrate, et parmi les trois porte-parole, Frédéric Lefèbvre a toujours été sarkozyste, moi j’étais membre du parti radical et Chantal Brunel vient du RPR.»
Une diversité qui s’exprime largement, selon Dominique Paillé. «Nous souhaitons que le débat reste la ligne de conduite, et nous multiplions les espaces de discussion : les conseils nationaux décentralisés animés par Jean-Pierre Raffarin, l’émission «Réforme Hebdo» qui continue [chaque semaine, Jérôme Chartier reçoit un ministre sur la webTV du site], «Controverses» [un débat pour redonner la parole aux militants sur les grands thèmes] que nous venons de créer, et les conventions, que nous réactivons [une convention sociale a eu lieu le 12 juin].»
Eric Hélard fustige lui ces conventions «qui coûtent une fortune et dont les conclusions sont faites à l'avance, les rapports pré-imprimés. Ce n'est pas avec ça qu'on va faire fonctionner la démocratie!». Et le lieutenant d'Hervé de Charette de raconter le vote du nouvel organigramme de l'UMP, en mars. «On a voté et on nous a distribué dans la foulée le nouvel organigramme, déjà imprimé sur papier glacé!»
Course aux postes et aux investitures
«Chacun a aussi des ambitions personnelles», estime Dominique Paillé, évoquant la multiplication des revendications au sein du parti. Des revendications qui ne sont effectivement pas anodines. Elles interviennent dans un contexte de course aux postes et aux investitures. «C'est la période pour que toutes ces sensibilités s'expriment, c'est le moment de poser les critères de notre représentation», explique le député Louis Giscard d'Estaing.
Première échéance, les élections internes à l'Assemblée nationale, qui ont lieu chaque année. Le 25 juin, ce seront d'abord les six vice-présidents du Palais-Bourbon qui seront renouvelés, et parmi eux les trois UMP (postes actuellement détenus par les députés Marc Lafineur, Marc-Philippe Daubresse et Marc Le Fur).
Les heureux élus bénéficieront, outre le prestige lié à la fonction, d’un bureau supplémentaire dans l’une des ailes du Palais-Bourbon, un secrétariat et une voiture avec chauffeur. Les deux questeurs et les postes au bureau de l'Assemblée seront également renouvelés, de même que les six vice-présidents à l'intérieur du groupe UMP (le président et les deux premiers vice-présidents étant eux élus pour la totalité de la législature). Le 1er juillet, les députés éliront également leurs nouveaux présidents de commission.
Autre échéance : la désignation des têtes de listes pour les élections européennes de 2009 et les régionales de 2010. Si l'UMP a décidé de consulter ses militants pour désigner les têtes de liste aux régionales, elle se réserve le soin de choisir ses candidats pour les européennes, par l'intermédiaire de la commission nationale d'investiture.
Enfin, en novembre, ce sera au tour des instances locales du parti d’être renouvelées. A la clé: une centaine de postes de secrétaires départementaux pour gérer les fédérations de l'UMP. Des secrétaires nommés (et désormais évalués – lire la note de cadrage 2008 de Patrick Devedjian
ici) par Paris. «Ces nominations seront clairement l'occasion de vérifier que la sensibilité réformatrice est représentée», prévient Louis Giscard d'Estaing.
Prévu par les statuts en 2009, ce renouvellement a été avancé à la fin octobre «pour créer de la compétition, affirmait Patrick Devedjian devant les secrétaires départementaux, le 17 mai. Les gens veulent des postes. (…) Ceux qui sont candidats vont se sentir stimulés pour faire des adhésions afin d'être soutenus. Ça fait des campagnes d'adhésion et ça fait repartir la machine». Mais en voulant susciter la compétition, le secrétaire général n'est-il pas en train d'attiser les divisions?