François Fillon convoque ce mercredi 14 mai une commission mixte paritaire (CMP, lire encadré) chargée de sortir le projet de loi OGM de l'ornière dans laquelle l'a fait tomber le coup de théâtre parlementaire d'hier. Contre toute attente, l'examen du projet de loi sur les organismes génétiquement modifiés a été ajourné sine die, mardi, après l'adoption d'une motion de procédure déposée par le député communiste André Chassaigne (Puy-de-Dôme).
Ce rejet temporaire du texte constitue un revers politique majeur pour le gouvernement. C'est en effet le nombre insuffisant de députés de la majorité présents dans l'hémicycle qui a permis le vote de la «question préalable» de l'élu de l'opposition, demandant le rejet d'un texte « pas abouti » à ses yeux.
Cette proposition a été adoptée par 136 voix contre 135. Une seule voix de différence : le décompte est d'autant plus cruel pour le groupe UMP que son président, Jean-François Copé, n'a pas pris part au vote. Absent de l'Assemblée, le député-maire de Meaux se trouvait alors en réunion avec Roselyne Bachelot, au ministère de la santé...
Ce rendez-vous «prévu de longue date», selon son entourage, tombe au plus mal, après la série d'incidents qui ont rythmé l'examen du texte en première lecture : vote du texte à la plus courte majorité de la législature en avril dernier avec seulement 20 voix d'avance, règlements de compte en public avec la secrétaire d'Etat à l'écologie Nathalie Kosciusko-Morizet, adoption imprévue d'amendements de l'opposition.
La question préalable est une procédure parlementaire qui consiste à démontrer qu'un texte n'est pas prêt et qu'il ne faut donc pas procéder à sa discussion. Rejeter une loi sur une motion de procédure est un cas rarissime. Il faut remonter au vote du Pacs, il y a dix ans, pour trouver le dernier précédent. Et encore la situation était-elle alors différente car la loi refusée en 1998 était d'initiative parlementaire et non gouvernementale comme c'est le cas du texte sur les OGM. Auparavant, il faut remonter à 1978 pour retrouver une situation équivalente. Il s'agissait alors d'une loi sur la TVA.
Permanences loupées
C'est donc bien un revers sérieux pour le gouvernement. Il a peut-être été en partie causé par une erreur d'appréciation de la présidence du groupe UMP. Avant le vote fatidique de la question préalable d'André Chassaigne, une première alerte avait en effet sonné : l'exception d'irrecevabilité - autre procédure parlementaire - défendue par Germinal Peiro avait été rejetée par seulement 114 voix contre 85 (sur 200 votants).
Au moment de ce premier vote, Lionel Tardy, député UMP de Haute-Savoie, se trouve en compagnie d'autres élus de la majorité auprès de Valérie Pécresse : «Nous n'avons reçu aucun message nous demandant de venir siéger, s'étonne-t-il rétrospectivement, Tout le monde était là au bord de l'hémicycle mais personne ne nous a dit de venir.» Tous les députés de permanence ont-ils assuré leur astreinte ? L'élu savoyard en doute, d'autant plus que le matin, même lors de la réunion de groupe, «la loi OGM a à peine été évoquée : on en a parlé trente secondes. Personne n'a dit : "mobilisez-vous"». Les parlementaires de la majorité sont convoqués en réunion mercredi 14 mai à partir de 9h30.
André Chassaigne aura décidément été un homme clef du parcours législatif du texte sur les OGM. C'est déjà lui qui avait déposé l'amendement 252, adopté en première lecture à l'Assemblée, qui limitait les possibilités de culture et de commercialisation des OGM au nom de la protection des structures agricoles, des écosystèmes locaux et des filières sans OGM.
Dans sa question préalable, il reproche au texte ses imprécisions et son déséquilibre : «Le gouvernement prétend que ce texte encadre le recours aux OGM. Il n'en est rien. Il libéralise au contraire la mise en culture d'OGM dans notre pays et livre l'agriculture à la mainmise des firmes agro-industrielles et semencières qui pourront se construire une véritable machine de guerre.»
Pour François Grosdidier, l'un des très rares députés UMP ouvertement opposés à la loi, ce vote est une réaction de la majorité contre les « ultras » :
Malaise et protestations dans les rangs de la majorité
Dès l'annonce du résultat du vote, la présidente de la séance, Catherine Génisson, députée socialiste, a déclaré le projet de loi «rejeté». L'opposition a aussitôt crié victoire, et célébré son inattendu fait d'arme dans la rue, aux côtés de José Bové, des Faucheurs volontaires et des militants anti-OGM.
La victoire est en fait paradoxale puisque la motion de procédure bloque le texte en coupant court aux débats. Le gouvernement a très vite réagi. Peu après le vote, un communiqué de François Fillon annonçait la constitution d'une commission mixte paritaire pour préparer l'adoption finale de la loi. Ce nouvel examen pourrait avoir lieu «si possible avant la fin du mois de mai», a précisé Roger Karoutchi, secrétaire d'Etat chargé des relations avec le Parlement.
S'agira-t-il du même texte, ou d'un projet remanié pour satisfaire les députés mécontents ? Mardi soir, les élus de l'opposition réclamaient l'élaboration d'un nouveau texte. Les députés socialistes ont demandé un rendez-vous d'urgence à l'Elysée pour plaider auprès de Nicolas Sarkozy contre le gel du texte, qui constituerait selon eux un véritable «coup de force».
Une fois la catastrophe produite, Jean-François Copé s'est efforcé de minimiser la portée du vote, expliquant que «pas un député UMP n'a voté contre le texte» et que les élus de son groupe étaient suffisamment nombreux en séance : «Nous étions 25 de plus que les socialistes en séance. Mais il y a aussi un système de délégation de vote. Normalement, c'est une délégation de vote par députés. Mais il nous a semblé qu'il y avait eu plus de votes à gauche que de députés présents en séance multiplié par deux.»
Propos tenus non sans une certaine nervosité :
Même son de cloche chez Patrick Ollier : «C'est une péripétie qui ne remet pas en cause la finalité de nos travaux, et je ne pense pas qu'il faille en tirer quelque conclusion que ce soit sur le plan politique. Je vous mets en garde contre les conclusions hâtives. C'est une perte de temps. Point final.»
Jean-Louis Borloo en pompier volant
Ce n'est pourtant pas l'avis de Lionel Tardy, élu de Haute-Savoie. Député de base, le parlementaire n'a pas pris part au vote «en signe de protestation». Opposé au texte, il devait prendre la parole lors de la séance de nuit, pour expliquer son refus de la loi.
Sur les trois interventions qui étaient prévues d'élus de l'UMP à ce stade des débats, deux devaient s'opposer à la loi : la sienne (retrouver ici le texte de l'intervention qui n'a pas eu lieu), et celle de François Grosdidier. Pour lui, «beaucoup d'élus UMP ont préféré ne pas être là car il n'avaient pas le courage de voter contre».
Pour lui, le vote est avant tout le signe d'une démobilisation des parlementaires provoquée par le manque de communication du gouvernement, qui n'a pas assez soutenu le texte et commis une erreur "pire que pour la loi Tepa» :
Lionel Tardy aurait dû prendre la parole pour expliquer son opposition au texte. Pour lui, la loi est trop encombrante pour les députés, exposés aux reproches prévisibles de leurs électeurs dans quatre ans :
Jean-Louis Borloo contre-attaquait le soir même depuis le plateau du 20h de TF1, défendant sa loi «la plus stricte et la plus précautionneuse au monde».
Mais à la veille de l'examen au parlement du premier projet de loi Grenelle, cet épisode n'est pas une bonne nouvelle pour le gouvernement. Il est révélateur des tensions qui continuent de traverser la majorité UMP sur le sujet de l'écologie. Pour Lionel Tardy, les OGM, mais plus généralement le principe de précaution et les questions environnementales, posent des questions de société trop graves pour supporter des textes de loi imprécis :