Comment un photoreporter de guerre en vient-il à bouleverser ses formats, modifier ses images par ordinateur et faire son entrée au musée ? Comment un alliage de coton, de résine, de jute ou de chiffon peut-il susciter aussi bien des spectres que des figures dansantes ? Et que comprend-on des mangas contemporains en contemplant des emaki, ces longs rouleaux japonais, à la fois écrits et peints, datant des siècles précédant leur apparition ?
On parle aujourd’hui de la rétrospective du photographe Luc Delahaye, intitulée « Le Bruit du monde », et présentée au musée du Jeu de Paume, de celle que consacre le musée Bourdelle à la plasticienne polonaise Magdalena Abakanowicz connue pour ses sculptures textiles, et enfin de la plongée que propose le musée Guimet dans le monde du manga et dans celui d’avant les mangas.
« Luc Delahaye. Le bruit du monde »
Le musée du Jeu de Paume à Paris propose une rétrospective grand format à Luc Delahaye, l’un des noms importants de la photographie de guerre dans les années 1990, membre de l’agence Magnum, avant de délaisser le terrain de la photographie de presse pour intégrer avec un succès certain les murs des galeries et le marché de l’art, grâce à des photos toujours ancrées dans l’actualité mais présentées comme de larges tableaux et composées, mais aussi recomposées, grâce à des techniques particulières de post-production.
Autant dire que la rétrospective du photographe nous intéresse bien sûr parce que l’objectif de Luc Delahaye a capté certains grands moments de l’histoire mondiale, de la guerre d’Irak à la violence en Haïti, de l’explosion de la Syrie à la chute de Kadhafi en Libye, de la guerre d’Ukraine à certaines conférences de l’Opep ou de la COP.
Mais aussi parce que Luc Delahaye a poussé loin la réarticulation entre pratiques documentaires et artistiques, en utilisant des techniques spécifiques, qui ont d’ailleurs pu faire débat dans le monde du photoreportage.
Le commissaire de cette exposition, qui a ouvert en octobre dernier et sera visible jusqu’au début du mois de janvier 2026, est Quentin Bajac.
« Magdalena Abakanowicz. La trame de l’existence »
Coton, résine, bois, acier, fer, jute, laine, chiffon… Le musée Bourdelle, dans le XVe arrondissement de Paris, consacre une rétrospective aux multiples matières de l’artiste polonaise Magdalena Abakanowicz, née en 1930 et morte en 2017. Cette dernière fut une représentante du renouveau de l’art textile, aux côtés de noms comme Olga de Amaral que nous avions évoquée dans ce podcast.
Mais le parcours proposé ici nous révèle la dimension protéiforme d’une œuvre qui nous mène de gigantesques sculptures textiles rouges ou grenat qu’elle nomme « abakans », comme pour souligner qu’elles demeurent reliées à elle, jusqu’à des ensembles de silhouettes soit dansantes, soit sans tête, soit à genoux et de dos, soit comme enfermées et à moitié effacées dans ce qui peut ressembler autant à un sarcophage qu’à un bas-relief… Tout cela en passant aussi par des dessins au fusain de mouches agrandies ou d’arbres enserrés dans du métal.
L’exposition a ouvert le 20 novembre dernier et sera visible jusqu’au 12 avril prochain. Son commissariat est assuré par Ophélie Ferlier Bouat.
« Manga, tout un art ! »
Manga, tout un art ! est le titre d’une exposition (qui attire tout un public de jeunes gens qui n’auraient pas forcément poussé autrement les portes du musée) en trois temps proposée par le musée Guimet, musée national des arts asiatiques situé à Paris, dont la présidente, Yannick Lintz, vient de voir son mandat renouvelé à la tête de cette institution.
Le principe de cette exposition est de s’intéresser aux origines des fameuses BD japonaises qui concentrent l’essentiel des achats effectués avec le Pass Culture.
D’abord avec une section qui expose l’histoire du manga et où des planches et des revues originales sont mises en regard avec des objets et des œuvres graphiques des collections du musée Guimet.
Ensuite en montrant comment, dès avant la fin du XIXe siècle, la société japonaise a donné naissance à des œuvres graphiques dont certaines caractéristiques pourraient être qualifiées de « mangaeques » : intrication des mots et des images, représentation du mouvement, goût pour le fantastique et les créatures étranges…
Et comment aussi, à côté de cette tradition visuelle, les modes de production et de diffusion des livres illustrés présentent des parentés avec ceux des mangas : fidélisation par la feuilletonnisation, recours à des formes dérivées…
Enfin, en présentant une dernière section intitulée « Sous la Grande Vague » qui s’intéresse à la postérité graphique du fameux tableau du peintre japonais Hokusai datant de 1831.
Le commissariat de ces expositions qui ont ouvert à la mi-novembre et durent jusqu’au mois de mars 2026 a été assuré par Estelle Bauer, conservatrice des collections Japon au musée Guimet, et Didier Pasamonik, éditeur, journaliste et directeur de la rédaction d’ActuaBD.
Avec :
- Guslagie Malanda, actrice et curatrice d’exposition indépendante
- Magali Lesauvage, rédactrice en cheffe de L’Hebdo du Quotidien de l’Art, le numéro hebdomadaire spécial enquêtes du Quotidien de l’Art
- Margot Nguyen, travailleuse de l’art indépendante.
« L’esprit critique » est un podcast enregistré et réalisé par Karen Beun, qui reprendra du service à la mi-janvier 2026.