Travail

Le piège des 35 heures s’est refermé sur les syndicats

Le gouvernement a abattu ses cartes. D'ici quelques semaines, les 35 heures seront bien remises en cause. La loi sur la représentativité syndicale, qui sera présentée en conseil des ministres à la mi-juin, comprendra bien un volet temps de travail. La durée hebdomadaire légale demeure, mais l'organisation des RTT, des heures sup' et des repos sera négociée dans chaque entreprise. CGT et CFDT appellent à manifester le 17 juin. Mais les deux plus grands syndicats n'ont-ils pas été pris à leur propre jeu? Explications. Lire aussi l'article de Sophie Dufau sur ce que ces dispositions vont changer.

Mathieu Magnaudeix

Cet article est en accès libre.

Pour soutenir Mediapart je m’abonne

La droite voulait leur mort depuis dix ans. Depuis dix ans, elle ne cessait de crier haro sur les 35 heures, symbole d’un malthusianisme d’Etat bridant inéluctablement l’économie, à contre-courant du grand vent européen et mondial de flexibilité. Cette fois, le «carcan» des 35 heures devrait être brisé.

Mediapart vous l’avait signalé dès la semaine dernière. En se faisant détailler par des collaborateurs du ministre du travail, Xavier Bertrand, le projet de loi sur la représentativité et le financement des syndicats, qui doit être discuté au Parlement dès le mois de juillet, la CGT et la CFDT ont eu la surprise de découvrir un deuxième volet qui n’était pas prévu.

Cette «seconde partie», consacrée au temps de travail, si elle est adoptée en l’état, généralisera le principe de la négociation entreprise par entreprise du temps de travail (téléchargeable ici, et aussi sous l’onglet Prolonger). Ouvrant, selon les syndicats, la boîte de Pandore du chantage aux employés et de la surenchère à la flexibilité entre les entreprises.

Pour François Chérèque, le leader de la CFDT, il s’agit ni plus ni moins d’une «provocation». Bernard Thibault, de la CGT, parle quant à lui d’une «méthode malhonnête». Jeudi 29 mai, dans un communiqué, la CGT prônait d’ailleurs la mobilisation pour «empêcher ce mauvais coup». En fin de journée, la CGT et la CFDT ont appelé à une journée d'action pour défendre les retraites et les 35 heures. Les autres syndicats se prononceront la semaine prochaine.


L’affaire a commencé par un couac. En début de semaine dernière, Patrick Devedjian, secrétaire général adjoint de l’UMP, demandait le «démantèlement définitif» des 35 heures… Le jour même, il était séchement remis à sa place par Xavier Bertrand puis par Nicolas Sarkozy. Pas question, disaient le Président et son ancien porte-parole de campagne, de toucher à la durée légale du travail.

Et pour cause : le «travailler plus pour gagner plus» de Nicolas Sarkozy passe par la défiscalisation des heures supplémentaires dont le gouvernement vante régulièrement les mérites – malgré une efficacité très discutable, comme nous l'avions dit en avril. Le dispositif est construit sur une durée légale du travail à 35 heures, au-delà de laquelle se déclenchent les fameuses exonérations de charges salariales, patronales et d'impôt sur les revenus pour les salariés.

Voilà pourquoi, le mardi 27 mai, sur RTL, Nicolas Sarkozy répétait : «Je suis partisan de maintenir une durée hebdomadaire du travail. Il y aura toujours une durée du travail en France et elle sera de 35 heures. Je souhaite que l’on supprime tous les verrous qui empêchent de travailler.»

Couac ou pas, la durée légale du travail est vidée de sens

S’agissait-il vraiment d’un couac entre l'UMP et l'Elysée? Sur l’antenne de France Inter, Jean-Claude Mailly, de Force ouvrière, avait plutôt parlé d'une habile stratégie de communication mise en œuvre par le pouvoir.

Patrick Devedjian dans le rôle du franc-tireur grognon exprimant les ressentiments anti-35 heures de l’électorat UMP et Nicolas Sarkozy passant à sa suite pour guérir la plaie? Ce jeudi, devant des journalistes de l’Association des journalistes de l’information sociale (AJIS), Xavier Bertrand a levé toute ambiguïté. «Ce choix n’arrive pas par surprise. Je suis ministre et secrétaire général adjoint de l’UMP. Je n’ai aucun problème de dédoublement de personnalité.»

«Notre message est clair. Quand les 35 heures conviennent, vous pouvez y rester. Quand elles bloquent, vous pouvez les dépasser», a poursuivi le ministre du travail.

Tout est là. Dans ce «vous», dont on ne sait pas très bien à qui il s’adresse. Aux salariés ? Aux entreprises ? Pour répondre à cette question, il faut reprendre l’ébauche de projet de loi présenté par ses services aux représentants des syndicats et du Medef. Il va plus loin, beaucoup plus loin, que ce qui était prévu jusque-là à l'article 17 de la position commune (le texte de la position commune, c'est par ici), lequel n'envisageait qu'une possibilité de dépasser, à titre expérimental, les contingents d'heures supplémentaires.

Que dit le texte ?
D’abord, que la durée légale hebdomadaire du temps de travail reste bien à 35 heures, soit 1607 heures par an. Mais cette durée légale théorique du temps de travail ne correspond plus à grand-chose. Le temps de travail sera en effet désormais négocié dans les entreprises, alors qu’il était jusqu’ici négocié au niveau des branches professionnelles.

Cet aspect n’est pas anodin : jusqu’ici, comme l’explique notre consœur Sophie Dufau dans un article de Mediapart, «les lois sur la réduction du temps de travail ont évité que dans un même secteur d’activité les entreprises aient des régimes différents». Pour autant, «les différents accords de branche ont dessiné une France où les 35 heures n’avaient pas partout le même visage» : des temps de pause à l’organisation de leur travail, le sort des salariés est déjà très fluctuant depuis les 35 heures. Dans ce contexte, la fin des accords de branche peut donc inciter les entreprises d’un même secteur à se livrer à une véritable surenchère à la flexibilité. C'est en tout cas la crainte des syndicats.


Par ailleurs, le texte précise que cette négociation entre syndicats (quand il y en a, ce qui n'est pas le cas dans les plus petites entreprises ) et direction décidera de l’organisation du travail dans l’entreprise, ou bien de savoir si les salariés dépassent le nombre d’heures supplémentaires qu’ils ont le droit de faire (selon les branches, cela peut varier du simple au double).

Cette négociation fixera aussi les conditions dans lesquelles des heures sup’ pourront éventuellement (en cas de baisse d’activité, par exemple) être remplacées par des repos. C’est donc le carnet de commandes qui fixera, pour l’essentiel, l’organisation du travail, a reconnu ce jeudi la ministre de l’économie, Christine Lagarde, au micro de France Inter.

Plus de confiance entre les syndicats et le gouvernement

Et maintenant ? Tout va aller très vite. Le texte sur la représentativité sera présenté en conseil des ministres le 11 ou le 18 juin, et l’examen au Parlement débutera dans la foulée. Le rapporteur du texte est déjà connu. Selon nos informations, il s’agit du député Jean-Frédéric Poisson, un proche de la ministre du logement, Christine Boutin.

Les syndicats pouront-ils amender le texte, faire valoir leurs arguments? Rien n’est moins sûr. De nombreux députés UMP, très remontés sur le sujet, veulent en finir avec les lois Aubry. Du reste, Xavier Bertrand et le gouvernement semblent en position de force.

Certes, la présidente du Medef, Laurence Parisot, s’est déclarée hostile à la disposition du gouvernement. Pourtant, comme elle l’a expliqué ce mercredi sur l’antenne de LCI, la patronne des patrons est d’accord pour liquider les 35 heures en négociant entreprise par entreprise. Mais il faut, selon elle, respecter l’accord sur la représentativité trouvé entre partenaires sociaux. Cette négociation doit donc être remise à plus tard.


La CGT et la CFDT, les syndicats signataires de cette fameuse «position commune» sur la représentativité, eux, sont en position de faiblesse. En signant avec le Medef un texte qui leur promettait de se partager, demain, le paysage syndical, la CGT et la CFDT croyaient avoir manœuvré habilement. Ce texte, les plus petits syndicats (FO, la CGC, la CFTC), menacés à l’avenir par l’instauration de critères d’audience pour juger de leur représentativité, l’avaient rejeté.

Longtemps, Bernard Thibault et François Chérèque ont cru aux bonnes intentions du gouvernement. Le 16 mai, Xavier Bertrand jurait encore que le texte de la loi sur la représentativité reproduirait «l’esprit et la lettre» de la position commune.

Moins d’une semaine après, c'est la douche froide. Les deux plus grands syndicats français ont besoin de nouvelles règles de représentativité pour écarter et, à terme, dévorer des organisations plus petites, mais aussi pour attirer plus d’adhérents. Avec le gouvernement, ils avaient signé ce pacte. En échange de quelques renoncements sur les 35 heures, de modestes concessions pensaient-ils, ils sécurisaient l'avenir de leurs organisations, et pouvaient même rêver d'incarner deux pôles bien identifiés, l'un réformiste (la CFDT), l'autre contestataire (la CGT).

Avez-vous passé un accord avec le président de la République ?, demandait-on récemment en substance à un haut dirigeant de la CGT. Non, répondait-il. «Sarkozy est comme ça, il aime la négociation, il essaie toujours de déceler chez son adversaire ce qui pourrait le persuader de signer. Et puis le PS est tellement faible, Sarko veut faire de nous son opposition..., nous devons d'ailleurs faire très attention à ne pas lui faire ce plaisir.»

C'était un peu avant la manifestation pour la défense des retraites du 22 mai, et ce responsable de la CGT était heureux. Heureux que les instances dirigeantes de la CGT aient accepté de ratifier la position commune, heureux que cela conforte enfin Bernard Thibault et sa ligne réformiste.

Désormais, il n'y a plus de confiance. La CGT se sent flouée. La CFDT estime qu'en s'attaquant aux 35 heures, on touche à son identité même. Mais les syndicats, qui ont déjà assez peu mobilisé sur les retraites le 22 mai, sont-ils assez forts pour mener cette bataille ? Jeudi, les autres organisations, FO et CFTC en tête, demandaient que les deux grands retirent leur signature de la position commune sur la représentativité.

Voir les annexes de cet article