Trois semaines après la dramatisation orchestrée par la ministre de l'intérieur, l'affaire des «anarcho-autonomes» soupçonnés de «sabotages» de lignes SNCF continue de faire débat. Cette fois, la dédramatisation provient des institutions policières et judiciaires elles-mêmes. Avec trois phénomènes marquants: une remise en liberté de la majorité des membres du «noyau dur» des suspects; une analyse du «patron» de la lutte antiterroriste qui minimise la dangerosité terroriste de ces jeunes gens; des extraits d'un rapport de la police de renseignement sur cette «mouvance». Autant de données qui vont dans le même sens, celui de la relativité.
Du côté de la justice, pour commencer. Mardi 2 décembre, la cour d'appel de Paris a remis en liberté trois des cinq membres initialement considérés comme les plus redoutables du groupe – son «noyau dur», selon l'expression du parquet de Paris. Autrement dit, la juridiction d'appel chargée d'examiner la gravité des charges pesant contre les intéressés a considéré que seuls deux d'entre eux méritaient de rester en prison. Seuls Julien Coupat, présenté comme le chef du groupe par l'accusation, et sa compagne demeurent en détention.
Un petit retour en arrière permet de mesurer le chemin parcouru. A grand renfort de trompettes médiatiques, neuf jeunes gens avaient d'abord été mis en examen dans ce dossier antiterroriste, le 15 novembre. D'emblée, le juge d'instruction chargé du dossier avait laissé quatre d'entre eux en liberté, sous contrôle judiciaire. Julien Coupat, lui, avait été mis en examen pour «direction d'une entreprise terroriste». Les huit autres personnes mises en examen l'avaient été pour «association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste». Au sein de cette «cellule invisible», l'infraction de «destructions en réunion en relation avec une entreprise terroriste», donc directement liée aux sabotages de lignes SNCF, n'avait été retenue qu'à l'encontre de Julien Coupat, de sa compagne, et d'une autre jeune femme. Cette dernière, jeune mère de famille, a fait partie des trois personnes libérées le 2 décembre.
Avocate des jeunes gens libérés mardi, ainsi que de Julien Coupat, Me Irène Terrel a vu dans la décision de la cour d'appel une «victoire relative» et le signe d'un «désaveu assez radical de toute cette procédure». Devant la chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris (chargée de juger les demandes de remise en liberté), Me Terrel avait dénoncé «une affaire instrumentalisée de façon politique et médiatique». A l'audience, le ministère public avait requis, lui, le maintien en détention des cinq du «noyau dur». Tout cela confirme que le dossier judiciaire de l'enquête, révélé par Mediapart, contient un large faisceau de présomptions, mais pas de preuve matérielle.
Du côté policier, maintenant. Ici, l'analyse la plus décapante provient du chef de l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat), Christophe Chaboud, interrogé par Libération. Certes, le «groupe Coupat» est accusé d'avoir «organisé des sabotages concertés dans le but de perturber tout un réseau de communication». Aux yeux du responsable policier, «l'intention de paralyser le pays en s'attaquant à son réseau de voies ferrées ne faisait pas de doute». La décision d'interpeller le groupe s'imposait, ajoute le chef de la lutte antiterroriste, puisque « cette action s'inscrivait dans une logique dangereuse ». Certes, mais... «Nous ne sommes pas confrontés dans ce cas à une gravité des faits comme on en rencontre souvent dans la lutte antiterroriste», admet le responsable de l'Uclat. Bref, on se trouve bien en deçà des standards de la lutte antiterroriste.
Du côté policier, toujours. De larges extraits d'un rapport confidentiel, consacré en juin à «l'ultragauche» par les anciens Renseignements généraux, viennent d'être publiés par Le Figaro (certains éléments avaient déjà été livrés dans la presse). D'une quarantaine de pages, ce rapport est intitulé: «Du conflit anti-CPE à la constitution d'un réseau préterroriste international: regards sur l'ultragauche française et européenne.» Un titre dans lequel la notion de «préterrorisme» mérite d'être relevée.
France — Note de veille
Sabotages SNCF: entre «préterrorisme» et «terrorisme», la police et la justice hésitent
Loin de la dramatisation orchestrée par la ministre de l'intérieur lors de l'interpellation des «anarcho-autonomes», la dangerosité de la «cellule invisible» arrêtée à la mi-novembre fait toujours débat. Dans la journée écoulée, la justice et la police ont tendu à relativiser la portée de cette menace incarnée par des «sabotages» de lignes SNCF. Non seulement la plupart des suspects sont désormais en liberté mais le patron de l'antiterrorisme minimise les risques liés au groupe demantelé tandis qu'un rapport récent des RG évoque un «préterrorisme» sans commune mesure avec les mouvements de la fin des années 1970.