Au 1er octobre 2022, le chiffre est presque rond : avec un taux d’occupation de 200,3 %, la maison d’arrêt de Bordeaux-Gradignan compte deux détenus pour une place. La prison girondine est dans le « top 5 » des plus surpeuplées de France.
C’est dans ce contexte que l’Ordre des avocats du barreau de Bordeaux, la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP) et l’Association pour la défense des droits des détenus (A3D) ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, le 30 septembre, pour qu’il ordonne à l’État de remédier aux conditions de détention indignes dans cet établissement. Le Syndicat des avocats de France s’est associé à leur démarche.

Leur recours se fonde notamment sur des recommandations en urgence formulées le 13 juillet 2022 par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). L’autorité indépendante estime que les conditions de détention à Gradignan constituent « une atteinte grave et manifestement illégale » aux droits et à la dignité de ceux qui y sont incarcérés. Pour Dominique Simonnot, « l’hébergement d’êtres humains devrait y être proscrit ».
À titre principal, les requérants réclamaient la fermeture de la maison d’arrêt. Mais sans illusions sur ce point, ils avaient aussi listé 60 mesures à prendre de toute urgence, aussi basiques qu’entreprendre des travaux de mise aux normes et lancer un nettoyage en profondeur, agir contre les nuisibles, en finir avec les matelas au sol ou « répondre au climat d’insécurité et de violence » qui règne entre ces murs.
L’administration doit « mettre fin à son interférence »
Dans une ordonnance rendue mardi 11 octobre, le juge des référés écarte la plupart de ces demandes, estimant qu’elles « portent sur des mesures d’ordre structurel », qui ne relèvent pas de son domaine mais constituent « des choix de politique publique ». Après avoir entendu les arguments du ministère de la justice, il considère aussi que certains problèmes sont déjà résolus ou en voie de l’être.
Le tribunal administratif donne toutefois raison aux requérants sur neuf points, à commencer par la question sensible de l’accès aux soins.
Dans ses recommandations, Dominique Simonnot dénonçait « une forme d’ingérence de l’administration pénitentiaire dans l’élaboration des diagnostics et des protocoles arrêtés par les soignants », ainsi que des difficultés sur les extractions médicales. Sur 817 extractions programmées sur les cinq premiers mois de l’année 2022, 440 ont finalement été annulées, soit un ratio de 54 %.
Le juge ordonne donc à l’administration pénitentiaire « de mettre fin à son interférence » dans les décisions médicales et, s’agissant des extractions, de cesser « tout retard ou annulation non justifiée par des motifs de sécurité ».
En parallèle, le juge enjoint aux autorités de « procéder au renforcement des moyens matériels et humains de l’équipe médicale, notamment en prenant toute mesure aux fins de garantir la présence à tout moment d’une personne compétente pour assurer les premiers soins, y compris la nuit et le week-end, ainsi qu’une présence d’un médecin psychiatre plus effective ».
Le CGLPL constatait en effet que l’équipe médicale, « dimensionnée pour dispenser des soins à une population carcérale théorique de 430 personnes détenues, doit en réalité prendre en charge plus du double ». À titre d’exemple, le sous-effectif permanent de médecins généralistes entraîne des délais de huit semaines pour les consultations non urgentes.
« Une répartition équitable de la nourriture »
Le juge des référés ordonne également à l’État « d’améliorer la luminosité des cellules », de remplacer les « fenêtres défectueuses » et de réparer les lits à étage auxquels il manque des boulons ou des échelles. Il devra aussi « garantir une répartition équitable de la nourriture entre les détenus », ceux qui occupent les fins de coursive étant les plus mal servis.
Sur le plan de l’hygiène, la distribution des produits de toilette et d’entretien devra avoir lieu « au moins une fois par mois ». Le même véhicule ne pourra plus servir à la fois pour le transport du linge souillé et celui des denrées alimentaires fraîches.
Par ailleurs, les fouilles intégrales devront avoir lieu dans les boxes prévus à cet effet, et non plus « dans des locaux inappropriés tels que les douches ou le parloir des avocats ». Les détenus devront enfin disposer d’un accès effectif aux téléphones installés dans les bâtiments et les cours de promenade.
Dans un communiqué commun, le barreau de Bordeaux, l’OIP, l’A3D et le SAF annoncent qu’ils veilleront « à l’exécution diligente des injonctions formulées par le juge des référés ». S’il ne se satisfait pas de cette décision, le ministère de la justice peut faire appel devant le Conseil d’État.
Des recours juridiques et politiques
Pour contester des conditions de détention indignes, les détenus peuvent saisir eux-mêmes un juge. Cette procédure assez complexe, créée par la loi du 8 avril 2021 à la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), reste toutefois rarement utilisée. Mais, à Gradignan, un détenu a récemment fait reconnaître qu’il était incarcéré dans des conditions « contraires à la dignité humaine ».
Les recours devant le tribunal administratif, menés par des avocats et des associations qui s’appuient notamment sur les rapports de visite du CGLPL, ont plus de chances d’aboutir à une condamnation de l’État. Ils ont aussi l’avantage de porter sur la place publique le problème politique des conditions de détention dans les prisons françaises.
De telles démarches ont ainsi conduit le Conseil d’État à ordonner d’importants travaux à la prison de Fresnes (Val-de-Marne) ou à y faire distribuer davantage de kits d’hygiène. En août 2022, le tribunal administratif de Toulouse a de nouveau ordonné des mesures urgentes pour remédier à l’insalubrité de la prison de Seysses, dix mois après une première décision qui n’avait été que partiellement appliquée.
Depuis décembre 2021, les bâtonniers (représentants élus des avocats et avocates, partout en France) disposent d’un droit de visite dans les établissements pénitentiaires, au même titre que les parlementaires. Leurs observations peuvent prolonger celles du CGLPL et alimenter des recours devant la justice.