« Make our planet great again. » Avec ce slogan en anglais, Emmanuel Macron n’est pas seulement devenu le Français le plus retweeté au monde, mais il s’est indubitablement inscrit dans l’histoire climatique, quinze jours à peine après son arrivée à l’Élysée. Qu’un ancien ministre de l’économie qui ne s’est jamais particulièrement fait remarquer pour sa sensibilité aux enjeux écologiques endosse aussi brutalement le costume de sauveur de la planète peut surprendre. Mais pourquoi pas ? Beaucoup ne demandent qu’à y croire.
Depuis un an, plusieurs annonces fracassantes ont d’ailleurs bousculé la scène nationale. « Il a le chic pour nous ôter les mots de la bouche », observent à ce titre plusieurs ONG de protection de l’environnement. Le plan climat notamment, présenté le 6 juillet 2017 par Nicolas Hulot, fait état d’un objectif très ambitieux d’une neutralité carbone en 2050. En d’autres termes, d’ici trente ans, la France devrait parvenir à l’équilibre entre ses émissions de gaz à effet de serre et l’absorption de ces gaz par de nouvelles technologies ou des mangeurs de carbone comme les forêts ou les prairies.
L’ambition est là, affichée au fronton du gouvernement. Seulement, sur un certain nombre de sujets, le faire n’a pas suivi le dire. Du moins pas à ce stade.

Comme dans les domaines économique ou social, la stratégie du « en même temps » a fait merveille. Il est pourtant malaisé de promettre une réduction des gaz à effet de serre et, en même temps, de défendre à tout crin les fabricants automobiles. Tout comme il est paradoxal de lancer un plan vélo et, en même temps, de faire quasiment disparaître la prime au vélo électrique qui avait pourtant entraîné un changement des comportements en matière de mobilité. Hasardeux de promettre le développement du bio et, en même temps, de soutenir à tout-va l’agriculture intensive. Périlleux de défendre l’accord de Paris et, en même temps, de conclure des accords commerciaux non contraignants vis-à-vis du climat.
Il y a un an, Emmanuel Macron semblait conscient que de simples mesurettes ne suffiraient pas à déjouer le changement climatique engendré par les activités humaines. Dans le volet Environnement et transition écologique de son programme, il promettait de « grands changements », persuadé alors qu’il fallait « inventer de nouvelles façons de nous déplacer, de nous nourrir, de produire », car « si la population mondiale vivait comme les Français, il faudrait trois planètes pour satisfaire notre demande en ressources naturelles ». Il y a un an, face à Mediapart, le candidat Macron l’affirmait haut et fort, on ne pouvait « plus continuer comme avant ».
Pourtant, jeudi 12 avril sur TF1, face à Jean-Pierre Pernaut, une phrase a claqué, synonyme de nouvelles consommations de planètes : « On ne peut être juste que si l’on produit. » Produire et continuer à présenter les Trente Glorieuses comme un idéal de prospérité alors que cette période fut celle de l’explosion des énergies fossiles, du début de la société de consommation et d’un déclin environnemental sans précédent. Produire encore et toujours et, en même temps, sauver la planète ? Le défi est paradoxal. Depuis un an, de vrais efforts ont pourtant été faits. Il en reste quatre pour dissiper le malentendu entre la présidence et l’écologie et pour que les promesses se transforment en réalisations concrètes.
Tour d’horizon des échecs et des réussites de la première année du quinquennat Macron :
- COMMERCE ET DROIT DE L’ENVIRONNEMENT
Dans son programme de campagne, Emmanuel Macron affirmait que « la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le climat [serait] une des priorités de [son] action internationale ». Un an après, c’est clairement une renonciation. Il avait promis de nommer une commission pour évaluer les impacts climatiques et environnementaux du CETA, le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada. Avis il y a eu, défavorable, pourtant aucune renégociation du traité n’a été engagée. Nicolas Hulot a alors promis qu’aucun accord commercial ne pourrait être conclu « sans que les chapitres consacrés au développement durable ne soient contraignants ». Mais à l’heure où un nouvel accord commercial vient d'être négocié entre l’UE et le Japon – le JEFTA – les chapitres développement durable ne sont toujours pas contraignants.
Contrairement à ses précédentes déclarations, le président Macron n’est manifestement pas disposé à mettre la protection du climat au même niveau que la libre entreprise. « Il y a beaucoup d’affichage mais une incohérence dans l’action, constate Morgane Créach du Réseau Action Climat. En Chine, on vend des Airbus, en Inde, on vend des EPR… Partout l’agenda économique prime sur l’agenda climatique. » Et si Emmanuel Macron s’est targué d’organiser un Sommet sur la finance climatique le 12 décembre 2017 à Paris, parallèlement il n’a pas hésité à raboter la taxe française sur les transactions financières (TFF), qui contribue à la lutte contre le changement climatique, et à enterrer la TFF européenne.
Affichage encore sur le projet de réforme qui vise à intégrer le climat dans la Constitution française. Il y a quelques jours, Édouard Philippe a annoncé que « le projet de loi constitutionnel inscrira l’impératif de lutte contre le changement climatique à l’article 34, qui définit le domaine de la loi ». De quoi faire bondir les ONG. « C’est vraiment de la poudre aux yeux, du greenwashing constitutionnel. Cela ne changera rien si c’est modifié ainsi », s’énerve Celia Gautier, de la Fondation pour la nature et l’homme (FNH). Si on devait intégrer le climat dans la Constitution, estime-t-elle, ce serait en son article 1er, et encore en citant les limites planétaires et la protection de la biodiversité. La référence au seul climat est dangereuse « car cela pourrait justifier le nucléaire ou la géo-ingénierie… ».
- SORTIE DES ÉNERGIES FOSSILES ET DÉVELOPPEMENT DES RENOUVELABLES
Emmanuel Macron a promis de fermer d’ici 2022 les quatre dernières centrales à charbon sur le sol national. Bonne idée, mais il n’a fait que reprendre la réforme déjà engagée par ses prédécesseurs, avançant seulement d’un an la date de fin d’activité. Il y a toutefois là un paradoxe : EDF ferme ses centrales thermiques en France, mais continue à brûler du charbon à l’étranger. Actionnaire à 83 % du groupe EDF, l’État français est pourtant maître du jeu.

La loi hydrocarbures prévoit la fin d’ici 2040 de la recherche et de l’exploitation sur le sol français du pétrole et du gaz, qu’ils soient conventionnels ou non conventionnels. La mesure est forte, seulement elle est surtout symbolique puisque la production nationale d’hydrocarbures ne représente que 1% de notre consommation. En outre, plusieurs dérogations ont fragilisé le texte, notamment l’autorisation donnée aux projets existants de prolonger leur activité au-delà de 2040 sous certaines conditions.
Concernant le développement des énergies renouvelables, Morgane Piederriere, de France Nature Environnement (FNE), constate « une réelle volonté » du gouvernement, avec la mise en place de groupes de travail sur l’éolien, la méthanisation et le photovoltaïque. Mais regrette-t-elle, « ils confondent un peu vitesse et précipitation », supprimant la concertation et réduisant les possibilités de recours. « Pour nous, ce n’est pas la bonne méthode. Il y a besoin au contraire de plus de planification, de plus de concertation. » Pour l’implantation des éoliennes par exemple, il ne faut pas vouloir « le faire partout et n’importe comment, mais y intégrer l’enjeu biodiversité ».
- LA QUESTION DU NUCLÉAIRE
Reculade historique aux yeux de nombreuses ONG : celle concernant la politique nucléaire de la France. Emmanuel Macron s’était engagé à réduire de 75 à 50 % la part de l’énergie nucléaire à l’horizon 2025, conformément à ce qui figurait dans la loi de transition énergétique (LTE) de 2015. Mais en novembre, coup de théâtre, Nicolas Hulot annonce que l’objectif ne sera pas tenu, sans donner de nouvelle échéance. EDF s’engouffre alors dans la brèche et annonce, sans être contredit par le gouvernement – pourtant actionnaire majoritaire – qu’elle ne fermera avant 2029 aucune autre centrale nucléaire que celle de Fessenheim.
« Pas cher, pas dangereux, ultra efficace… Ce discours lénifiant sur le nucléaire est très discutable et souvent très faux », déplore Cyrille Cormier, spécialiste de ces questions chez Greenpeace. Il regrette notamment le déni entretenu sur le risque que constituent ces centrales vieillissantes. « Il n’est pas discutable que le nucléaire n’émet pas de gaz à effet de serre, mais il est faux que cette énergie soit rentable. EDF est dans une situation économique déplorable », dénonce l’activiste. Pour lui, si Emmanuel Macron « ne veut pas bouger », c’est parce que « dans la balance il y a l’avenir d’EDF et l’absorption d’une dette colossale. Ils savent qu’EDF va dans le mur, mais ne veulent pas avoir à gérer ce chantier durant le quinquennat. »
Il y a un an, lors de son entretien à Mediapart, le candidat Macron n’avait d’ailleurs pas caché que sa principale préoccupation dans un éventuel abandon du nucléaire était bien l’avenir du champion électrique français. Une fermeture brutale serait « irresponsable économiquement ». « Si je faisais cela, j’aggraverais à la seconde les problèmes d’Areva et d’EDF, qui est le plus grand émetteur obligataire d’Europe. À la seconde où vous avez quelqu’un en responsabilité qui dit “Mon objectif c’est la mort de son business”, c’est fini. Plus personne ne lui prête. »
- RÉFORME DES TRANSPORTS ET RÉDUCTION DE LA PLACE DE LA VOITURE
Le transport représente le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre en France et deux tiers de nos déplacements domicile-travail sont effectués chaque jour en voiture. Une des mesures phares du gouvernement Macron a été d’interdire d’ici 2040 les véhicules neufs roulant à l’essence et au diesel. Aussi décisive soit-elle, cette décision doit être complétée par des mesures visant à réduire la place de la voiture au profit de modes de transport moins polluants. Ce qu’a également engagé le gouvernement avec l’octroi d’une prime à la conversion des véhicules polluants contre l’achat d’un véhicule plus propre. Deux autres mesures fortes ont été prises dès la loi de finances de 2018 : l’augmentation de la taxe carbone, censée décourager les pollueurs en les faisant payer une taxe proportionnelle à leurs émissions de CO2, ainsi que la hausse de la fiscalité du diesel pour l’aligner sur celle de l’essence d’ici 2021.
Faire des voitures électriques une alternative est un bon point, mais l’essentiel reste de réduire le nombre de véhicules sur les routes et de financer le développement de modes alternatifs comme la marche, le vélo ou les transports en commun, car, rappellent les associations, 50 % des déplacements en voiture en ville font moins de 3 km. Or la politique du gouvernement fait ici preuve de nombreuses incohérences. Prenons le vélo par exemple. Si la ministre des transports Élisabeth Borne a annoncé en décembre un grand plan vélo, parallèlement, elle a raboté la prime aux acheteurs de vélo à assistance électrique. Ce bonus écologique mis en place lors du précédent quinquennat s’était pourtant avéré une grande réussite. Mais depuis le 1er février 2018, les conditions d’éligibilité sont si restrictives que quasiment plus personne ne peut y prétendre.
Concernant la réforme de la SNCF, les associations se montrent sceptiques. « On est étonnés de voir que la discussion n’est pas la bonne », explique Célia Gautier de la FNH. « Le train est l’ami du climat. On a besoin de développer les petites lignes et de faire des investissements dans le fret. » Elle regrette qu’« on parle du déficit de la SNCF mais jamais de celui de la route. C’est biaisé si on ne fait pas de parallèle avec les autres modes de transport. » Selon un rapport ministériel publié fin 2016, sur les quelque 400 milliards d’euros investis dans les infrastructures en France entre depuis 25 ans, 70 % l’ont en été pour la route, contre 30 % pour les réseaux ferrés. La FNH déplore « cette vision très comptable de l’État, très axée sur la dette, qui donne peu de perspective au rail comme un outil-clé de la transition énergétique ».
Plusieurs responsables d’ONG ont en outre failli s’étrangler quand le 21 mars, au premier jour des Assises nationales du transport aérien, ils ont entendu Élisabeth Borne annoncer une baisse des taxes aéroportuaires. Ce cadeau fiscal à l’un des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre passe mal, d’autant que le kérosène utilisé par les avions fait déjà figure d’ovni, puisqu’il est le seul carburant exonéré de toute taxe. Autre niche fiscale dénoncée par les écologistes : celle concernant le remboursement d’une partie de la taxe sur le diesel aux transporteurs routiers.
Dévoilé mi-mai, le projet de loi mobilités qui éclaircira tous ces points est donc très attendu.
- LOGEMENT / RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE
Sur les 50 milliards d’euros du Grand plan d’investissement, 20 milliards doivent être consacrés à la transition écologique. Selon le Premier ministre, Édouard Philippe, cet argent va notamment servir à financer la rénovation d’un million de « passoires thermiques » dans l’habitat privé. Pour la directrice de Réseau Action Climat, Morgane Créach, ce projet n’est pas assez ambitieux, car « il vise les propriétaires mais laisse de côté les locataires de ces passoires thermiques ». Selon elle, un million de ménages resteraient sans réponse. En outre, épingle-t-elle, « le texte prévoit des rénovations simples mais ne donne pas d’objectif de performance énergétique ». Regrettable, car « on doit faire de l’efficace et pas du chiffre ».

- GRANDS PROJETS
L’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) a été décidé en cohérence avec les engagements de lutte contre les changements climatiques et salué par toutes les ONG. Malheureusement, note Célia Gautier de la FNH, cette avancée a depuis été « un peu teintée de douleur. En évacuant la ZAD, le gouvernement n’a pas compris que la remise en cause de ce projet était une réflexion sur l’évolution de notre société et en particulier de notre modèle agricole. Les projets portés par les opposants sont intéressants et méritent toute notre attention. C’est une facette du changement dont on a besoin pour assurer la transition agro-écologique. »
L’abandon de ce grand projet et la priorité aux transports du quotidien posée par Emmanuel Macron ne préjugent toutefois pas encore de l’avenir. Un moratoire sur les infrastructures de transport a été décidé jusqu’à ce que le gouvernement précise courant mai quels grands projets seront maintenus et lesquels ne le seront pas. « La démarche est bonne », salue Morgane Piederriere pour FNE, mais remarque-t-elle, « il y a déjà eu un petit coup de canif » dans ces grandes déclarations. En dépit de l’avis défavorable du Conseil national de protection de la nature, l’État a en effet décidé fin janvier d’autoriser le projet autoroutier de contournement de Strasbourg.
- BIODIVERSITÉ
À part la décision de lâcher deux ourses femelles dans les Pyrénées à l’automne, très peu de choses ont été faites. Un plan Biodiversité a été annoncé par Nicolas Hulot pour mai. Des Assises de l’eau doivent se tenir avant l’été, mais regrette FNE, elles ont été divisées en deux phases : l’une consacrée au petit cycle de l’eau (pour répondre aux inquiétudes des élus locaux) et l’autre au grand cycle de l’eau. FNE craint qu’un tel découpage ne soit « préjudiciable » aux discussions. « Pour nous, il n’y a pas une eau dans les rivières et une eau dans le robinet. C’est la même dont il s’agit. »
- AGRICULTURE
Concernant l’agriculture, Emmanuel Macron a comme promis organisé les États généraux de l’alimentation. Ces EGA sont parvenus à des conclusions jugées intéressantes par les défenseurs du climat : réduire la consommation de viande, réduire l’utilisation d’engrais azotés… Mais ces avancées ont disparu du projet de loi. Seule y demeure l’augmentation « significative » des produits bio dans les cantines. « C’est dommage, commente François Veillerette, président de Générations futures, car ces EGA était une vraie occasion de refonder l’agriculture. » Quant aux plans filières mis en place dans le secteur agricole, ils sont jugés insuffisants par les ONG pour mener une véritable transition agricole et alimentaire.
- SANTÉ ENVIRONNEMENTALE / POLLUTION
François Veillerette « attend un grand message sur la santé environnementale. On n’a pas encore eu eu de réussite éclatante à se mettre sous la dent. On attend des actes, au-delà des grands principes ». Du côté des pesticides, Emmanuel Macron ne s’était pas véritablement exprimé durant la campagne. Il s’est finalement positionné contre la prolongation de dix ans du glyphosate souhaitée par la Commission européenne. En dépit d’un renouvellement européen fixé à cinq ans, la France a promis qu’elle retirerait l’herbicide d’ici trois ans. Mais depuis, le ministre de l’Agriculture a affadi cette prise de position, affirmant que seraient accordées des dérogations. La séparation des activités de conseil et de vente des produits phytosanitaires semble quant à elle bel et bien actée. Précisions le 25 avril lors de la présentation du nouveau Plan pesticides.
Mauvais signal en revanche concernant les perturbateurs endocriniens puisqu’en juillet, le gouvernement a choisi de voter en faveur d’un texte européen considéré comme laxiste. Ségolène Royal avait bataillé durant un an à la Commission européenne justement pour que soit renforcée la protection des consommateurs. Le texte ayant depuis été rejeté par le Parlement européen, la France disposera d’une seconde occasion. « Il est trop tôt pour faire un bilan », juge François Veillerette qui souhaiterait que dans la stratégie française soit rappelé un objectif : « Plus aucune femme enceinte ou jeune enfant ne doit être exposé aux perturbateurs endocriniens dans toute une série de produits : alimentaires, cosmétiques… »
Côté qualité de l’air, Emmanuel Macron avait promis de « diviser par deux le nombre de jours de pollution atmosphérique ». Cet objectif risque fort de ne pas être réalisé avant un certain temps. « Si on connaissait de telles solutions, on serait ravis ! » réagit Karine Léger d’AirParif, l’agence de surveillance de la qualité de l’air de la région parisienne. La France pourrait d’ailleurs être renvoyée d’ici peu devant la justice européenne au côté de huit autres États membres pour son inertie en la matière. « Des efforts ont été faits pour améliorer la situation mais ils ne datent pas de l’année dernière », observe-t-on à AirParif. Pour obtenir de vrais résultats, réduire les véhicules polluants n’est pas tout. Ainsi à Paris, fermer le périphérique ne réduirait le taux d’oxyde d’azote que de 5 à 10 %, d’après Karine Léger. Il faut une transformation profonde des modes de mobilité et agir en même temps sur les différentes sources d’émission : la circulation automobile mais aussi l’agriculture, le chauffage au bois…