France Analyse

Un an après, les députés PS font leur (petite) autocritique

Lundi 23 juin, les parlementaires PS se sont réunis, dans un grand cinéma parisien, pour dresser le bilan d'un an de mandature. L'objectif de cette opération : démontrer, en présence de journalistes et de représentants de la société civile, combien les socialistes mènent une opposition utile, malgré leurs divisions et l'hyperprésidence sarkozienne. A la base, certains avancent pourtant, pour imager leur situation, la figure «d'un boxeur coincé dans les cordes, qui remonte perpétuellement sur le ring, sans pour autant passer à l'offensive».

Mathilde Mathieu

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Lundi 23 juin, les députés socialistes ont bombé le torse et dressé un bilan positif de leur première année de législature. Au cours d'une assemblée générale convoquée dans un grand cinéma parisien, devant la presse et des représentants de la société civile, ils ont tenté de montrer qu'ils avaient travaillé à «servir» les Français. Méthode Coué?

Après les ratés de l'été (sur le "paquet fiscal" notamment), le PS avance désormais en ordre de bataille à l'Assemblée nationale. «On s'est organisé, professionnalisé», assure Olivier Dussopt, animateur de la journée et benjamin des 205 élus socialistes (ou apparentés).

Retapée de fond en comble à l'automne, l'administration du groupe et ses dizaines de petites mains ont «rénové leurs méthodes», selon leur chef de file, Jean-Marc Ayrault. Pour prendre l'UMP par surprise dans l'hémicycle et sonner à l'improviste le rappel des troupes, «ils ont même découvert les vertus du texto!», s'amuse l'une des porte-parole, Aurélie Filippetti, satisfaite du coup ainsi monté contre le projet de loi OGM.

Mais derrière ces congratulations de façade, beaucoup de députés rongent leur frein. «Ça manque de colère, de révolte et d'envie», regrette Olivier Dussopt, partisan de Benoît Hamon, à l'aile gauche du PS. A l'autre bout de l'éventail, Gaëtan Gorce dénonce même une «gauche en déshérence», «un groupe très en deçà des attentes et des potentiels individuels».

Première explication brandie : le manque de travail et d'anticipation rue de Solférino, au siège du PS. Les parlementaires devraient en théorie incarner la force de frappe socialiste, armée par la direction et chargée de dégainer au fil des textes – souvent déposés en urgence par Matignon. «Mais faute de réflexion sur des dossiers comme les 35h, la défense ou la prime pour l'emploi, le groupe s'est retrouvé en difficulté, pointe François Lamy, proche de Martine Aubry. Le parti ne tranchant pas, c'est paradoxalement à l'Assemblée qu'on a souvent défini, en quelques jours, la position du PS.»

«Face à la droite, nous manquons de contre-propositions concrètes, insiste le fabiusien et chercheur Daniel Goldberg, monté au créneau contre le projet de loi sur l'autonomie des universités. Ce que ferait la gauche au pouvoir n'est pas clair.» Résultat, pour ce nouveau député: «J'ai trop souvent l'impression d'être un boxeur coincé dans les cordes, qui remonte perpétuellement sur le ring, sans pour autant passer à l'offensive. Dans une équipe trop démunie pour voir venir le coup d'après.»

Les divisions ont tué le «contre-gouvernement»

Faute de conventions thématiques rue de Solférino (abandonnées), Jean-Marc Ayrault a multiplié les groupes de travail et les auditions au Palais-Bourbon, y compris hors actualité législative, quitte à essuyer les plâtres. Ainsi la singulière rencontre avec Laurence Parisot, présidente du Medef, organisée en avril pour éplucher l'accord des partenaires sociaux sur la modernisation du marché du travail, a braqué quelques députés. «Ce n'est pas notre rôle, estime ainsi Olivier Dussopt. Pour entendre le Medef, j'ouvre Le Figaro et j'allume LCI. A quand une réunion avec Patrick Devedjian?!»

L'audition du Haut commissaire Martin Hirsch, invité en avril pour évoquer l'avenir du Revenu de solidarité active, a également fait des vagues. Ce jour-là, quelques élus ont quitté la salle, reprochant à Jean-Marc Ayrault d'outrepasser sa fonction.

Une autre initiative a d'ailleurs fait long feu, censée métamorphoser le groupe en force de proposition, mais étrillée dès son lancement. A l'été dernier, le "patron" a en effet nommé un shadow cabinet, ou contre-gouvernement, dans la plus pure tradition anglaise: une vingtaine de député PS ont été désignés pour marquer les ministres à la culotte, chacun sa spécialité, chacun le sien, et mener la riposte. «Une très bonne idée, selon Gaëtan Gorce. Délaissée subrepticement, à cause des guerres de clans.»

La répartition des postes n'avait pas décliné harmonieusement la gamme des sensibilités du PS. «Ces députés auraient dû se voir attribuer des moyens spécifiques, susceptibles d'enclencher une dynamique, poursuit Gaëtan Gorce. Aujourd'hui, ils existent toujours, mais noyés dans la masse.» Désavoué, Jean-Marc Ayrault a fini par renforcer l'équipe autour de sa propre personne.

Les querelles de pouvoir qui minent le PS apparaissent ainsi comme l'autre boulet de la gauche parlementaire. Si chacun s'accorde à déclarer que le groupe est «relativement préservé», l'ambiance «incomparable» avec la termitière de Solfé, «ça nous pénalise aussi», reconnaît Aurélie Filippetti, porte-parole.

Certes, la distribution des textes ou des questions au gouvernement respecte davantage les compétences personnelles que l'équilibre des courants, mais certaines places sont âprement négociées, tels les quatre strapontins réservés au PS dans la médiatique commission Copé, consacrée à la télé publique. Ici, les partisans de Ségolène Royal ont su exploser leur "quota": deux places décrochées, contre une pour Laurent Fabius et Bertrand Delanoë.

Le PS «cornerisé»

Quand les divisions s'étalent, par exemple sur l'avenir des retraites ou les institutions, «on devient inaudibles», regrette Aurélie Filippetti. «En tant que porte-parole, je le ressens évidemment. L'archétype aura été le vote sur le traité européen de Lisbonne. Dans ces conditions, je ne peux produire qu'une soupe fadasse.»

De fait, Delphine Batho, proche de Ségolène Royal, juge son groupe souvent «trop mou». Sur des dossiers consensuels, telle l'instauration de franchises médicales, «il aurait fallu se montrer plus offensif, mener une véritable bataille d'obstruction», à coups d'amendements.

«Comme on ne frappe pas assez fort et que l'UMP met en scène ses propres dissensions et couacs, le débat a toujours l'air d'être circonscrit à l'intérieur de la majorité!» décrypte Daniel Goldberg, citant les sorties de Rama Yade, secrétaire d'Etat aux droits de l'homme, contre la visite du colonel Kadhafi à Paris. «C'est bien joué! admet-il. Et amplifié par le recrutement de ministres d'ouverture.» Usant d'un terme sportif, Daniel Goldberg conclut: «Le PS se retrouve cornerisé», relégué dans son coin.

Un exemple, chimiquement pur : la motion de censure déposée par la gauche, le 8 avril dernier, contre la politique de Nicolas Sarkozy en Afghanistan. Défendue alors que l'UMP s'écharpait sur les OGM, mêlant l'OTAN et le pouvoir d'achat, floue, à tiroirs, la seule motion socialiste de l'année a fait pschitt, gâchée.

Alors forcément, les reproches à l'égard de Jean-Marc Ayrault, réputé lié à François Hollande, désigné en théorie pour cinq ans, pullulent: trop réservé, trop souple, trop consensuel... A l'issue du Congrès de Reims, en novembre prochain, plusieurs ténors socialistes comptent bien profiter d'un certain flou des statuts pour réclamer le débarquement du président de groupe.