Retraites : le coup de force de Macron Analyse

Pour l’outre-mer, la réforme des retraites s’annonce cruelle

Élus ultramarins et oppositions locales à la réforme des retraites dénoncent de futurs changements non pensés pour ces territoires, où les écarts de niveaux de vie avec les retraités de France métropolitaine sont déjà abyssaux.

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À la Réunion, en langue créole, on les appelle avec respect gramoun. Dans tout l’outre-mer, la situation des retraité·es est plus précaire qu’en France métropolitaine. Et la réforme des retraites annoncée par le gouvernement le 10 janvier ne devrait pas l’améliorer.

 « L’amélioration de la situation des retraités les plus modestes est particulièrement urgente outre-mer, compte tenu de la grande pauvreté de certains d’entre eux. » Ce constat n’émane pas d’un tract de la CGT, mais d’Hervé Mariton, ancien ministre des outre-mer et actuel président de la Fédération des entreprises d’outre-mer (Fedom). Dans un éditorial adressé mi-janvier aux adhérents et adhérentes de son organisation, ce dernier signale qu’« en 2021, l’âge moyen de départs à la retraite en métropole est de 62,7 ans contre 64,9 ans en Guadeloupe, 64,3 à la Réunion et 65 en Guyane ».

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Manifestants à Saint- Denis, chef-lieu de l’île de la Réunion, le 19 janvier 2023. © Photo Ophélie Vinot / Hans Lucas via AFP

Ces chiffres, issus de l’Insee et de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, sont repris avec indignation par Karine Lebon, députée de gauche (groupe GDR) de la Réunion. « À la Réunion, nous avons le triste record des pensions les plus faibles de France ! Un retraité réunionnais touche en moyenne 1 160 euros brut par mois, soit 28 % de moins que dans l’Hexagone, souligne-t-elle. Sur notre île, la moitié des retraités touche un montant brut de retraite inférieur à 850 euros par mois, soit 43 % de moins que dans l’Hexagone. Chez nous, six retraités sur dix ont une pension inférieure au seuil de pauvreté. »

Depuis son petit appartement du quartier populaire de Bouvet, à Saint-Denis de la Réunion, Roselyne Hoarau évoque auprès de Mediapart d’autres chiffres : « N’allez pas croire qu’avec 1 000 euros de retraite on arrive à s’en sortir, même avec 500 euros de plus je n’y arriverais pas ! »

La gramoun aux perroquets a 67 ans. Voilà moins de deux ans qu’elle est à la retraite. « Pourtant, j’ai commencé à 18 ans. Mais j’ai été malade et j’ai dû arrêter de travailler à un moment de ma carrière. » Pendant quarante ans, elle a travaillé à la laverie de l’hôpital de Saint-Denis. Maintenant, elle a « mal au dos, mal partout ». Elle ne peut pas « soulever des choses lourdes, il faut faire attention ».

Elle tient à préciser que « profiter de la retraite » n’est pas une sinécure. « Quand j’ai payé ma mutuelle, ma garantie obsèques, mon loyer, il ne me reste plus grand-chose pour vivre. Mon loyer est à 600 euros. Je ne suis pas dans un logement social, je paye plein pot. Sans compter l’eau, l’électricité, le téléphone. Je suis obligée de faire des sacrifices. Je préfère donner à manger à mes animaux et manger ce qu’il y a, de la purée, du sosso maïs. »

« Les seniors réunionnais sont trois à quatre fois plus nombreux à être pauvres que dans l’Hexagone. Leur niveau de vie médian est inférieur d’environ 30 %, reprend la députée Karine Lebon. Nous avons une espérance de vie inférieure de six ans à cause de l’obésité, du diabète ou autre… Malgré cette mauvaise santé, les Ultramarins partent plus tard à la retraite. Enfin, ceux qui sont encore en vie. »

Le gouvernement appliquera uniformément la réforme

Carrières incomplètes, niveau de vie insuffisant : les travailleuses et travailleurs ultramarins sont obligés de prendre plus tard leur retraite afin de bénéficier d’une « surcote ». Et puis, à la Réunion, le salaire minimum n’a été aligné sur le montant du Smic hexagonal qu’en 1996. Aujourd’hui encore, à Mayotte, il est presque 30 % inférieur à celui du reste du territoire national.

« Avant même de se demander si cette réforme est juste ou injuste, il faut se poser la question de la consultation des outre-mer », explique à Mediapart le député GDR de Polynésie Moetai Brotherson. Il a interpellé la première ministre Élisabeth Borne sur ce sujet, lors d’une séance des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale.

« Nous avons des conditions de pauvreté, de précarité de l’emploi, d’emploi des femmes, la problématique du chlordécone, des victimes des essais nucléaires qui sont spécifiques aux outre-mer, énumère-t-il. Rien de tout cela n’est intégré dans la réflexion et dans l’étude d’impact sur cette réforme des retraites. On ne peut pas nous imposer un train de mesures qui n’ont été réfléchies que dans une logique hexagonale. »

Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement, a répondu au député polynésien. Sèchement. « Toutes les réformes des retraites, depuis la création du système de la Sécurité sociale, ont été appliquées de façon uniforme sur le territoire de la République, que ce soit en métropole ou sur les territoires ultramarins. Il n’y a donc pas lieu de penser que cela fonctionnera différemment cette fois-ci. »

Point commun entre la métropole et les collectivités ultramarines : la mobilisation a été forte, jeudi 19 janvier, pour protester contre la future réforme. De Mamoudzou (Mayotte) à Saint-Denis de la Réunion, en passant par Papeete (Polynésie française) et Fort-de-France (Martinique), ou encore Cayenne (Guyane) et Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), les salarié·es et employé·es précaires ont battu le pavé. Pas de mouvement comme celui de 2009 qui fut mené par Lyannaj Kont Pwofitasyon (LKP), mais des cortèges fournis et des mots d’ordre unitaires, à l’image de ce qui s’est passé en France.

Les manifestations ont aussi été fournies à Tahiti, où le système est pourtant différent, puisque les retraites sont gérées localement, par la Caisse de prévoyance sociale (CPS). « La CPS n’est pas dépendante de la France, précise le gouvernement de Polynésie française, contacté au téléphone. Elle a ses propres problèmes. » 

Chômage des jeunes, vieillissement de la population, maladies postcoloniales : les maux du système collectif de solidarité de Polynésie française sont ceux de l’outre-mer. Selon l’Insee, un quart des jeunes Ultramarins et Ultramarines n’ont aucune activité, au sens où ils ne sont ni en étude, ni diplômés, ni en emploi, ni même en recherche d’emploi.

Dans la bataille parlementaire qui s’annonce au Palais-Bourbon, le gouvernement ne pourra donc pas compter sur le soutien des député·es ultramarin·es, quel que soit leur bord politique. Appoint occasionnel des élu·es de droite et de la majorité, les membres du groupe Libertés indépendants outre-mer et territoires (Liot) ont déjà annoncé leur opposition au projet de réforme.

De son côté, malgré le constat « de l’urgence à améliorer la situation » des retraité·es ultramarin·es, le patron de la Fédération des entreprises d’outre-mer se dit favorable à l’allongement de la durée de cotisation pour toucher une pension complète. Hervé Mariton conclut sa lettre aux chefs d’entreprise en « espérant que la période qui vient n’ajoute pas un blocage social aux crises successives » que l’outre-mer a traversées. Un souhait qui n’est pas encore assuré d’être exaucé.

#FREEMORTAZA

Depuis le 7 janvier 2023 notre confrère et ami Mortaza Behboudi est emprisonné en Afghanistan, dans les prisons talibanes.

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