En Pennsylvanie, une élection au poste de gouverneur décisive pour le droit à l’IVG

Dans cet État clé du nord-est des États-Unis, le scrutin du 8 novembre va déterminer l’avenir du droit à l’avortement. Le vote des femmes, qui se mobilisent pour certaines en urgence, pourrait être crucial.

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Pennsylvanie (États-Unis).– « Est-ce qu’une femme qui aurait décidé d’avorter illégalement serait inculpée pour meurtre ? », demande un journaliste radio à son invité. « Revenons à la question fondamentale, s’entend-il répondre. Est-ce qu’il s’agit d’un être humain ? Est-ce que c’est un petit garçon ou une petite fille ? Si oui, [il ou elle] a droit aux mêmes protections légales. » « Donc vous répondez oui ? », insiste l’intervieweur. « Oui », cette femme serait poursuivie pour meurtre.

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© Mediapart

Cette interview de Doug Mastriano a eu lieu en octobre 2019, mais elle éclaire ce que sera l’avenir des femmes en Pennsylvanie si ce vétéran de l’armée américaine de 58 ans, actuel sénateur anti-IVG et désormais candidat républicain au poste de gouverneur, devait être élu à la faveur des « midterms » du 8 novembre, ces élections clés à mi-chemin du mandat présidentiel, qui renouvellent une bonne partie du Parlement et les gouverneurs de nombreux États.

Soutenu par Donald Trump, Mastriano est hostile à l’IVG dès « la conception », a-t-il précisé au printemps dernier, avant d’être investi par le Parti républicain. Selon ses propres termes, il « ne cède pas aux exceptions ». Lutter contre les « meurtres de bébés », qu’il considère comme « une catastrophe », serait sa priorité « numéro 1 ».

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Le candidat républicain au poste de gouverneur de Pennsylvanie, Doug Mastriano, lors d'un rally à Manheim, le 29 octobre 2022. © Photo : Mark Makela / Getty Images via AFP

Actuellement autorisée jusqu’à la 23e semaine de grossesse en Pennsylvanie, l’IVG pourrait ainsi disparaître complètement. En cause : la décision de la Cour suprême américaine qui a abrogé, en juin dernier, le droit constitutionnel à l’avortement. Selon le site Fivethirtyeight, qui a collecté des données de terrain, 10 000 femmes, déjà, n’auraient pas pu avorter en juillet et août derniers.

Conservateur tendance extrême droite, Mastriano s’est évidemment réjoui de cette décision de la Cour suprême. Il s’oppose à l’avortement même en cas de viol ou d’inceste, y compris si la santé de la mère est engagée.

Or, en Pennsylvanie, d’après les sondages du Franklin & Marshall College, 52 % de la population estime que l’avortement devrait être légal dans certaines circonstances et 37 % en toutes circonstances. « Si vous additionnez ces deux chiffres, vous obtenez un soutien en faveur de l’IVG de presque 90 % », explique à Mediapart Berwood Yost, directeur de l’institut de sondage du Franklin & Marshall College.

Le scrutin en Pennsylvanie, un État du nord-est des États-Unis au passé industriel, apparaît ainsi, cette année encore, comme l’un des plus disputés et des plus commentés des élections de mi-mandat. Et l’accès à l’IVG y étant directement en danger, la Pennsylvanie fait figure de test pour la gauche américaine : celle-ci arrivera-t-elle à mobiliser sa base et, au-delà, une partie des électrices et électeurs indépendants des suburbs (« banlieues ») ?

En 2020, les suburbs des quatre comtés situés autour de Philadelphie, la plus grande ville de Pennsylvanie, ont été cruciaux pour les démocrates. Ils ont représenté presque un tiers (27 %) des nouveaux votes engrangés par Joe Biden. Des votes qui ont notamment permis à la gauche de reprendre l’avantage en Pennsylvanie, un État clé remporté quatre ans plus tôt par Donald Trump. Mais qu’en est-il aujourd’hui, alors que les inquiétudes concernant l’économie demeurent, selon le Franklin & Marshall College, le problème le plus urgent aux yeux de l’électorat ?

Selon les dernières estimations de l’institut, dans cette course au poste de gouverneur, la gauche bénéficie d’une dynamique favorable. Doug Mastriano ne recueillerait que 36 % des voix, contre 58 % pour son rival démocrate et pro-IVG Josh Shapiro, aujourd’hui procureur général de Pennsylvanie. La mobilisation des femmes pourrait précisément être l’une des clefs du scrutin.

Entre le 24 juin, date de la décision de la Cour suprême concernant le droit à l’avortement, et la fin du mois d’août 2022, 56 % des nouveaux inscrits sur les listes électorales en Pennsylvanie étaient des femmes. Parmi elles, 62 % ont déclaré être démocrates et 15 % républicaines. Plus intéressant encore : la majorité de ces nouvelles inscrites ont précisé avoir moins de 25 ans, selon Target Smart, société américaine d’analyse de données. Et, « typiquement, si quelqu’un s’inscrit, il a tendance à aller voter », estime Berwood Yost.

Pour les femmes, en Pennsylvanie, l’enjeu est de taille. Aux États-Unis, les gouverneurs ont le pouvoir de signer ou non les lois votées et de les faire appliquer. Ces dernières années, les législateurs locaux de l’État, majoritairement républicains, ont ainsi tenté à plusieurs reprises, en vain, de revenir sur le droit à l’IVG en instaurant d’importantes restrictions. À travers entre autres un « Heartbeat Bill », qui aurait interdit l’IVG après six semaines, dès la détection des premiers battements du cœur. Sur les 30 000 IVG pratiquées sur place en 2020, la plupart (plus de 20 000) ont eu lieu dans les huit premières semaines de grossesse. 

Je ne souhaite pas prendre le risque de tomber enceinte de nouveau.

Une militante démocrate membre du collectif Turn PA Blue

« C’est une certitude, nous parlons beaucoup plus du droit à l’avortement en ce moment, confie à Mediapart Colleen Nguyen, une militante démocrate membre du collectif Turn PA Blue. Même avec les électeurs républicains. Surtout les femmes, poursuit-elle. Ces dernières semblent être un peu plus de notre côté, alors que l’IVG était jusqu’ici le genre de sujet clivant qu’on évitait [lors du porte-à-porte – ndlr]. »

Au cours de ces actions de terrain, il arrive que chacune, militante ou électrice, aborde sa propre histoire. Pour Colleen Nguyen, mère de jumeaux, celle de sa grossesse, à risques en raison de son diabète : « J’avais une pré-éclampsie, une hypertension artérielle, c’était très dur physiquement. Je ne souhaite pas prendre le risque de tomber enceinte de nouveau. »

Au sein du collectif, les rangs se sont renforcés ces dernières semaines. Des volontaires démocrates sont revenu·es après la décision de la Cour suprême. « Ça faisait un moment qu’ils et elles n’étaient plus avec nous », confie Colleen Nguyen. Mais le contexte politique les a remobilisé·es. Malgré les signaux favorables, la situation reste cependant fragile pour la gauche en Pennsylvanie. 

En ce début d’automne, dans les rues des suburbs de Philadelphie, l’avance des démocrates n’est pas si évidente. Outre l’élection locale au poste de gouverneur, d’autres sièges sont en jeu dans l’État, dont celui très convoité de sénateur, qui pourrait permettre plus largement à l’administration Biden, au niveau national, de garder sa courte majorité à Washington, au Sénat.

L’importance du prix du carburant

Au nord de Philadelphie, dans le comté de Bucks par exemple, un ancien bastion républicain qui a glissé à gauche notamment avec l’arrivée de cols blancs diplômés, les électeurs et électrices croisé·es au hasard ne semblent pas particulièrement enthousiastes, ni même concerné·es par les élections. Comme plus au nord encore, dans la petite ville voisine d’Allentown, qui a vu sa démographie évoluer avec la présence d’une communauté de Latinos.
« La politique, ce n’est pas trop mon truc », confie à Mediapart la directrice d’une école pour adultes handicapé·es. « Pour moi, ce qui compte le plus, c’est d’avoir des élections honnêtes parce que la présidentielle de 2020 a été volée à Donald Trump », ajoute une retraitée républicaine, catholique, qui soutient une interdiction totale de l’IVG.

« Renvoyer les femmes qui avorteraient aux assises ? Mon Dieu, non... Mastriano n’aura pas mon vote ! », s’exclame à l’inverse une mère aperçue à la sortie d’une école de Levittown, une ville de classes moyennes blanches. 

Il suffit néanmoins de regarder le ballet de dizaines de voitures dans lesquelles montent les enfants en disant au revoir à leurs maîtresses pour comprendre l’importance des prix à la pompe pour ces familles. Certaines confient ne plus croire en la politique. D’autres tiennent au contraire à aller voter. « Je suis ce qu’on appelle une superélectrice, je vote à toutes les élections, témoigne une mère célibataire, qui se décrit comme une femme de gauche. Mais c’est vrai, dernièrement, je me sens de plus en plus impuissante. »

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