Paris rapatrie 16 mères ex-membres de l’État islamique et 35 mineurs détenus en Syrie

La France récupère 51 de ses ressortissants qui étaient détenus dans un camp du nord-est de la Syrie depuis la chute de Daech. Uniquement des femmes, anciennes membres du groupe terroriste et leurs enfants, dont sept orphelins.

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Après plusieurs années passées en Syrie, d’abord au sein de l’État islamique puis prisonniers des forces kurdes, 51 ressortissants français sont de retour en France. Lundi, vers 6 heures du matin, ces femmes et enfants ont juste eu le temps de récupérer quelques affaires sous leurs tentes du camp-prison de Roj, encadrés par les services français.

Mardi matin, elles ont posé le pied à l’aéroport militaire de Villacoublay (Yvelines) près de Paris. Les adultes ont immédiatement été arrêtées par les services de renseignement de la DGSI, et devraient pour certaines être rapidement présentées à un juge d’instruction en vue de leur mise en examen.

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Le camp-prison de Roj, dans le nord-est de la Syrie, le 28 mars 2021. © Photo Delil Souleiman/AFP

Mardi soir, ces ex-membres de Daech passeront la nuit en prison. Les mineurs ont tous été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE), à l’exception de l’un d’entre eux qui a été placé en garde à vue. Âgé de bientôt 18 ans, « il existe des éléments susceptibles de caractériser sa participation à une association de malfaiteurs terroriste », selon le Parquet national antiterroriste.

Des enfants qui ont vécu le pire

Pour ces petits Français, et notamment les orphelins qui vivaient livrés à eux-mêmes derrière des barbelés, c’est la fin d’un calvaire qui aura duré plusieurs années. Parmi eux, Sophia*, 16 ans aujourd’hui. Une adolescente plongée dans un enfer indescriptible.

Son histoire est celle de centaines d’autres enfants étrangers victimes de l’organisation terroriste. Elle a été emmenée de force en Syrie en 2014 avec sa mère radicalisée et ses petits frères. Une enfance au sein de Daech, qui s’est achevée à Baghouz en mars 2019. Dans cette dernière enclave du « Califat » en Syrie, son beau-père, sa mère et l’un de ses frères sont morts lors d’une frappe aérienne de la coalition internationale.

Sa petite sœur, elle, a reçu une balle dans la tête. Gravement blessée lors des combats, la jeune Sophia a finalement été arrêtée par les Forces démocratiques syriennes, alliance de milices kurdos-arabes, et placée dans le camp d’Al-Hol avec le reste de sa fratrie. Le benjamin, âgé de seulement quelques mois, y est mort faute de soins. 

Elle a ensuite été transférée à Roj avec ses trois petits frères encore vivants ; un camp où sont désormais regroupées toutes les ressortissantes françaises et leurs enfants toujours détenus par les Kurdes. Le quotidien y est très précaire, avec un accès très limité aux soins, à la nourriture, à l’hygiène et à l’école.

Depuis des mois, Sophia réclamait son rapatriement. Une demande relayée par sa famille restée en France. Sans nouvelles des autorités hexagonales depuis des mois, la fratrie avait perdu espoir. « Ça fait longtemps que je dis qu’on va partir… Jusqu’à maintenant, on n’est pas partis, confiait la jeune fille lors de notre rencontre en novembre 2021. Je ne ressens plus rien. Je ne veux plus penser. » 

Il faut espérer que ce rapatriement soit le début d’une série, qu’il y en aura rapidement d’autres.

Maître Ludovic Rivière, dont l’une des clientes a été rapatriée

Après huit ans passés dans un pays en guerre, elle pourra bientôt revoir « Paris », « la tour Eiffel » et surtout « sa tante »… les quelques souvenirs qu’elle avait gardés de ses années en France. Une enfance détruite par les choix d’une mère et les sirènes d’une idéologie mortifère.

Sophia et ses frères ont été pris en charge par l’ASE et la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) à leur descente de l’avion, et feront l’objet d’un suivi médical. Les autorités françaises tentent de ne pas séparer les fratries, mais lors de précédents retours d’enfants, des frères et sœurs n’ont pas pu être placés ensemble dans une même famille d’accueil, selon les informations de Mediapart. Privés d’éducation depuis plusieurs années, toutes et tous devraient rapidement retrouver le chemin de l’école, très probablement dès le mois septembre prochain. 

Le choix des autorités françaises de ramener les mères

Parmi les seize mères ramenées en France cette nuit, certaines avaient déjà fait le choix de laisser partir sans elles leurs enfants, lors des précédentes opérations de rapatriement organisées par la France en 2020 et en 2021. L’une d’elles avait par exemple décidé de se séparer des quatre plus âgés, et de garder sous sa tente les plus petits. Une séparation dévastatrice pour l’ensemble de la fratrie.

Selon les informations de Mediapart, les autorités françaises envisageaient encore, début 2022, de rapatrier des enfants sans leurs mères. Finalement, l’Élysée semble finalement avoir pris conscience des conséquences psychologiques catastrophiques pour ces fillettes et ces petits garçons.

Après plusieurs années d’attente, une Française gravement malade a également été rapatriée avec sa progéniture. Elle a déjà subi plusieurs opérations sur place, dans des conditions sanitaires très précaires. Avec ce rapatriement, la France semble donc avoir fait le choix de ramener en priorité les ressortissantes qui ont clairement montré leur volonté de rentrer dans leurs pays d’origine.  

Dans le camp de Roj, de nombreuses Françaises ne comprennent pas pourquoi elles n’ont pas fait partie de cette nouvelle vague de départs. « Ils nous ont dit qu’ils allaient revenir, vous croyez que c’est vrai ? », s’interroge l’une d’entre elles. 

« Moi, je pense aux enfants qui sont encore là bas, commente MLudovic Rivière, dont l’une des clientes a été rapatriée. Il faut espérer que ce rapatriement soit le début d’une série, qu’il y en aura rapidement d’autres. Et que tous les petits Français qui restent dans ces camps de la honte rentrent très vite avec leurs mères»

Cet appel est lancé également par des activistes syriens. « Nous rencontrons déjà des difficultés à réintégrer nos femmes que les autorités locales ont libérées et ramenées à Raqqa. Comment voulez-vous que la Syrie s’occupe de vos femmes ? », s’interroge Imam al-Khalaf, jointe par Mediapart.

Cette travailleuse humanitaire s’emploie à la réintégration de ses concitoyennes ex-épouses de djihadistes. « Daech représente toujours un danger ici, et nous craignons la présence de ces étrangères. Ce sont des bombes à retardement pour notre région qui a déjà tant souffert. »

La fin de la politique du cas par cas ? 

Ces trente-cinq enfants s’ajoutent aux trente-cinq déjà rapatriés lors de plusieurs opérations depuis 2019. Un rapatriement au compte-gouttes selon une politique du « cas par cas » aux contours très flous ; très attentif à une opinion publique marquée par les attentats terroristes, l’exécutif marche sur des œufs. Les échéances des élections présidentielle et législative, et le procès des attaques du 13 novembre 2015 achevées, le timing semble opportun.

Des juges antiterroristes, des députés de la majorité comme de l’opposition, et des agents des services de renseignement réclamaient depuis longtemps ces rapatriements. L’Élysée fait aujourd’hui le choix de ramener de nouveaux ressortissants français dans l’Hexagone, en contradiction avec les déclarations de différents responsables de la majorité ces dernières années, comme le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, qui plaidait pour que les femmes membres de Daech soient jugées sur place.

« Après trois ans de mobilisation, l’Élysée semble enfin prêt à entendre la détresse des familles et à rapatrier une partie des enfants et leurs mères enfermés dans ces camps indignes, se réjouit Mounir Satouri, député européen EELV qui s’était rendu sur zone début 2021. Évidemment, ce geste est positif, mais ce n’est que le début. » 

Cent-cinquante mineurs et soixante mères seraient encore aux mains des Kurdes dans le Nord-Est syrien. Certaines comme Dorothée Maquère et Mylène Foucre, les épouses des frères Clain qui ont revendiqué les attentats du 13-Novembre, sont très attendues par la justice française.

Une centaine d’hommes français seraient également détenus dans la zone, dans des prisons mal sécurisées où les mutineries et les tentatives d’évasion sont légion. Sur ce point, la doctrine française du non-rapatriement reste la même, avec une formule répétée à l’envi par les responsables politiques : « Les djihadistes doivent être jugés sur place, là où ils ont commis leurs crimes. » Cette ligne est difficile à tenir : l’autorité kurde qui contrôle le nord-est de la Syrie n’est pas reconnue par la communauté internationale et n’a pas l’intention de juger les terroristes étrangers. 

« Ces gens sont venus détruire notre terre et tuer nos frères. Nous les avons arrêtés et les gardons dans nos prisons depuis trois ans, mais ils doivent rentrer chez eux, martèle un responsable kurde sous couvert d’anonymat. Nous sommes en guerre et avons un pays à reconstruire. La Syrie ne peut pas devenir la poubelle du djihad international. »

Céline Martelet, Hussam Hammoud et Noé Pignède

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