État du Minas Gerais (Brésil).– Le va-et-vient des poids lourds et des pick-up des compagnies minières contraste avec l’environnement bucolique. Entre les zones de forêt exubérante et les petits pâturages, d’immenses mines trônent sur le sommet des montagnes qu’elles dévorent. À une vingtaine de kilomètres se trouve le barrage de la Vale qui s’est effondré en 2019, faisant 270 victimes.
Dans cette région surnommée le « quadrilatère du fer », se trouve la mine de Pau Branco, la dernière à avoir frôlé la catastrophe. Elle appartient à Vallourec, fabricant français de tubes sans soudure.
C’était le samedi 8 janvier 2022, un jour de déluge dans l’État minier du Minas Gerais, situé au nord de la capitale économique du pays, São Paulo. On a déploré de nombreux dégâts dans tout l’État et sur la mine, une vague de boue a débordé d’une digue de contention, emportant une partie de la structure. La coulée s’est déversée sur la route BR-040 et a pollué deux zones protégées, sans faire de victimes. Le pire a été évité, mais « le barrage était à deux doigts de rompre », explique dans un journal local un responsable de l’Agence nationale du secteur minier (ANM).

En attendant les résultats définitifs de l’enquête, Julio Grillo, ancien directeur de l’Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables (Ibama selon l’acronyme brésilien) de cet État, estime que l’empilage de résidus secs, une sorte de terril, s’est affaissé, provoquant une vague débordant la digue construite en contrebas. « Ces piles sont énormes et pèsent plusieurs tonnes, exerçant une pression folle sur les sols. Il faut une base bien préparée, un bon système de drainage… Les pluies intenses ne peuvent servir d’excuse. Avec la crise climatique, ces épisodes violents vont s’intensifier, il faut s’adapter ! »
Ce n’est pas le même type de barrage que ceux impliqués dans les désastres meurtriers de Mariana (19 victimes en 2015) et Brumadinho (270 victimes en 2019), moins chers et beaucoup plus instables. Ici, la technologie mise en cause est annoncée comme « sans risque » dans un document de présentation de Vallourec de 2021. Pour éviter de stocker les résidus de minerais dans des barrages, ils sont en partie asséchés et viennent s’entasser sur ces piles. En 2018, un incident semblable a eu lieu dans un autre État, et une installation similaire, voisine de la mine de Vallourec, est dans une situation critique.
Bolsonaro l’extractiviste
Vallourec a refusé de répondre aux questions de Mediapart, mais en 2021, l’entreprise a obtenu en cinq jours, grâce à une procédure d’urgence, un permis d’expansion de ce terril. Des écologistes avaient alerté sur les risques, mais « les processus de délivrance de permis sont de moins en moins rigoureux, alors que les projets sont toujours plus imposants », se désole Julio Grillo.
Trois phases sont normalement nécessaires : le permis préalable, celui d’installation et celui d’exploitation. Mais depuis une évolution de la législation locale en 2017, il est désormais possible d’obtenir le tout en une fois. « Les entreprises profitent de lois plus laxistes, assurent que les étapes sont respectées, mais cela équivaut presque à changer les règles pour s’adapter à leurs besoins. »
Au niveau national, le gouvernement Bolsonaro étudie, entre autres, des moyens de faciliter l’octroi de permis et souhaite simplifier l’exploitation minière dans les terres autochtones. « C’est le grand bond en arrière. La situation n’a jamais été aussi mauvaise pour l’environnement », continue Julio Grillo.
Depuis 1999, on dénombre neuf accidents graves impliquant des barrages au Brésil, mais le lobby minier est tout-puissant dans la région et pousse à cet assouplissement des normes. Lors des élections de 2014, 70 % des représentants élus dans l’État ont reçu des dons de différentes compagnies minières. Vallourec est loin d’être la plus généreuse mais a octroyé un don à Leonardo Quintão, l’un des parlementaires les plus financés par le secteur, nommé ensuite au gouvernement Bolsonaro.
Vallourec a aussi participé au financement de la campagne du candidat malheureux à la présidentielle de 2014, Aécio Neves (PSDB), alors éminent baron du Minas Gerais. Depuis, la loi a changé et ces dons sont interdits. Les données ne sont plus disponibles officiellement, mais la plupart des observateurs estiment que les versements continuent.
En parallèle, l’ANM manque de bras pour surveiller les 350 barrages du Minas Gerais. Les inspecteurs se contentent le plus souvent d’inspections à distance. De son côté, l’Ibama a perdu en 2011 de nombreuses compétences dans la délivrance de permis au profit des autorités locales, plus susceptibles de subir des pressions politiques et économiques. « Dans les faits, les compagnies s’octroient quasiment leurs autorisations, car elles embauchent des prestataires pour réaliser des études, et attendent donc des résultats qui vont dans leur sens », se désole une source en interne.
En cas d’incident minier, la bataille judiciaire peut s’étendre sur plusieurs années et les compensations ne sont parfois jamais payées. Le gouvernement a appliqué une amende de 288 millions de reais (55 millions d’euros) à Vallourec, mais fin janvier, l’entreprise a déposé un recours.

Depuis Mariana en 2015, à peine 13 % des amendes infligées aux compagnies minières ont été réglées. La loi « Plus jamais de mer de boue », votée à la suite du drame de Brumadinho, prévoit une caution en cas de désastre minier, mais le gouverneur Romeu Zema ne l’a toujours pas ratifiée et cette mesure n’est pas appliquée.
Situé sur un autre versant, le barrage de Santa Barbara, un ouvrage de 38 mètres qui surplombe le village de Piedade Paraopeba et appartient à la mine de Pau Branco, inquiète la population. « À la moindre pluie, ma mère ne dort plus qu’avec des médicaments. On se relaie pour se reposer car la sirène d’alerte n’est pas assez forte pour être entendue dans notre sommeil », relate Robson, membre de SOS Barragem.
Sa maison est située dans ce qu’il appelle « la zone de mort », qui s’étend sur 14 km et où habitent 400 personnes. Partout, des panneaux, installés après Brumadinho, indiquent les itinéraires d’évacuation d’urgence. Lui se trouve à moins d’un kilomètre du barrage, à deux pas du centre historique. En cas de catastrophe, il devra tout quitter en quelques instants.
Le barrage de Santa Barbara n’est pourtant pas considéré comme à risque. En 2021, son niveau de surveillance était de 1 (une anomalie demandant des inspections quotidiennes) sur une échelle de trois. L’entreprise a dû se mettre en conformité pour repasser au niveau zéro.
Mais pour la population, l’opacité de Vallourec n’incite pas à la confiance. Les habitant·es accusent notamment l’entreprise d’avoir profité des travaux de sécurisation pour augmenter la taille du barrage, ce que Vallourec nie. L’entreprise a refusé d’autoriser Mediapart à visiter le site.
L’entreprise a distribué des questionnaires à la population, leur demandant de fournir des informations sur les antibarrages.
« Vallourec ne répond jamais à nos demandes. On a l’impression qu’elle fait ce qu’elle veut, explique Sebastião Francisco, également membre de l’association SOS Barragem. Et puis à Brumadinho et Mariana, les deux barrages aussi étaient considérés sans danger. » Euler Cruz, ingénieur et membre du Forum Permanente São Francisco, se veut moins alarmiste mais exige une surveillance continue. « Vallourec fait peut-être le travail maintenant, mais jusqu’à quand ? »
Vallourec exerce une pression sur les militantes et militants les plus actifs, assure Robson. « L’entreprise a distribué des questionnaires à la population, leur demandant de fournir des informations sur les antibarrages. D’un autre côté, ils financent de petits projets pour s’attirer leurs bonnes grâces, comme acheter des maillots de foot pour l’équipe locale… »
En dehors de ça, les retombées économiques sont minimes pour la communauté, la plupart des employé·es venant d’ailleurs. Dans cette petite vallée, les profits vont aux entreprises minières, les conséquences désastreuses sont subies par la population.
« Ces montagnes grignotées sont des réservoirs d’eau, chaque exploitation supprime des sources, soupire Euler Cruz. L’impact sur les nappes phréatiques n’est pas réellement pris en compte. » De récentes analyses consultées par Mediapart constatent des taux d’arsenic ou de plomb largement supérieurs aux limites tolérées dans les cours d’eau qui traversent Piedade Paraopeba.
Deux cents kilomètres plus au nord, d’énormes plantations d’eucalyptus, utilisé pour fabriquer du charbon pour la sidérurgie, s’étendent à perte de vue. Les habitant·es d’un quilombo, ces communautés formées par des esclaves fugitifs dont les droits sont reconnus depuis la Constitution de 1988, dénoncent cette exploitation appartenant à Vallourec sur des terres qu’ils revendiquent.
L’institution chargée de délimiter officiellement le quilombo traîne depuis plusieurs années dans l’analyse de leur dossier, malgré une action du ministère public pour accélérer la procédure. Renato Moreira, président de l’association du quilombo da Pontinha, détaille une longue histoire de vols de terres publiques lancée dans les années 1940.
Ces terres volées sont rachetées en 1971 dans des conditions troubles par l’entreprise allemande Mannesmannröhren-Werke, qui a ensuite en partie fusionné avec Vallourec en 1997 pour former V&M, aujourd’hui entièrement contrôlée par Vallourec. « Mannesmann a fait le gros des dégâts, déviant des cours d’eau, détruisant le cerrado [une savane brésilienne – ndlr], et Vallourec en a hérité. Dans leurs rapports, ils nous décrivent comme des voisins, mais ils sont sur nos terres. »
La pression pour l’exploitation de nouvelles terres est constante, assure Renato. L’entreprise a récemment tenté de fermer l’accès à un lac, tandis que la culture de l’eucalyptus, très gourmande en eau, assèche les ressources hydriques. Vallourec vante son bilan écologique dans son rapport annuel, mais les habitant·es dénoncent l’épandage par avion de pesticides, au moins une fois par an, ce qui serait nocif pour les minhocudos, de gros vers de terre d’une cinquantaine de centimètres.
Or cette communauté d’environ 4 000 personnes vit en grande partie de la vente de ces vers géants qui font la joie des pêcheurs au gros. Une autre compagnie minière, la Vale, a aussi mis à mal cette activité. Les rejets de la catastrophe de Brumadinho ont pollué le fleuve Paraopeba qui passe en contrebas du quilombo et les pêcheurs ne viennent plus. Vivant au milieu de cette zone dégradée par les actions de deux géants miniers, Renato espère malgré tout « récupérer les terres de nos ancêtres pour essayer d’y vivre en paix ».