Les eurodéputés veulent la peau du gazoduc Nord Stream 2 en cas d’invasion russe

Les principaux groupes du Parlement européen ont plaidé mercredi pour accélérer la préparation de sanctions contre Moscou en cas d’invasion de l’Ukraine, alors que, sur le terrain, le retrait partiel des Russes n’est pas confirmé par les Occidentaux.

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Appels à suspendre le projet gazier Nord Stream 2, à accélérer la préparation de sanctions contre la Russie ou encore à renforcer l’unité des 27 face à Moscou : des élu·es du Parlement européen ont débattu mercredi pendant plus de trois heures trente de la crise ukrainienne, après une première résolution adoptée mi-décembre qui condamnait déjà les agissements russes.

Ce débat intervenait à un moment incertain de la crise en cours, sur fond de signaux contradictoires envoyés par Moscou. D’un côté, le retour d’une partie des soldats russes massés à la frontière avec l’Ukraine dans leurs casernes laisse entrevoir le début d’une désescalade. De l’autre, l’appel de députés russes de la Douma à ce que Moscou reconnaisse l’indépendance du Donbass, les territoires pro-russes de l’est de l’Ukraine, nourrit les inquiétudes d’un énième raidissement.

La prudence était maximale dans la bouche d’Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, assurant qu’elle « espérait le meilleur » tout en se « préparant au pire ». Sur le papier, les eurodéputé·es, dont une délégation s’est rendue en Ukraine début février, disposent de pouvoirs très limités dans ce dossier, alors que ce sont les ministres des affaires étrangères des 27, ou encore le chef de la diplomatie de l’Union européenne (UE) Josep Borrell, qui sont censés avoir la main.

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Ursula von der Leyen le 16 février 2022 au Parlement européen à Strasbourg. © Photo Sathiri Kelpa / Anadolu Agency via AFP

Dans un communiqué publié en fin de journée, les président·es de cinq groupes du Parlement (sur un total de sept), dont le PPE (droite), le S&D (sociaux-démocrates), les libéraux (dont LREM) et les Verts (dont EELV), plaident notamment pour des « sanctions économiques et financières d’ampleur ». « Ces sanctions devraient inclure l’exclusion de la Russie du système bancaire SWIFT ou encore des sanctions dirigées contre des personnes dans l’entourage du président russe et de leurs familles. »

Au-delà du débat, qui reste ouvert, sur l’efficacité de ce type de sanctions, en particulier depuis le précédent de la Crimée en 2014 (il avait fallu des mois pour que les Européens s’entendent à l’époque sur une batterie de sanctions), ces précisions sont loin d’être anodines.

Des médias font état de divergences toujours importantes entre États-Unis, Canada, Royaume-Uni et UE, sur la nature de ces sanctions. Washington veut aller jusqu’à suspendre le système de paiements internationaux SWIFT pour les banques russes, ce que refusent des dirigeants européens.

Le Parlement cherche donc à peser dans ces négociations transatlantiques. Plusieurs député·es, de différents groupes politiques, ont aussi posé la question délicate du type d’agressions commises par Moscou – numériques, symboliques, physiques, etc. - à partir duquel déclencher les sanctions. Pour Reinhard Bütikofer, eurodéputé écologiste allemand, « une reconnaissance russe de la république populaire du Donbass devrait donner lieu à des sanctions fortes ».

L’avenir de Nord Stream 2 en pointillé

Les interventions dans l’hémicycle ont aussi révélé la multitude d’approches, selon les États membres et les histoires nationales marquées par l’ère soviétique, face à ce qui se joue en Ukraine. Sans surprise, tandis que les élus français n’étaient pas légion (sept prises de parole, et personne pour LR), d’innombrables représentants polonais, notamment du parti conservateur Droit et Justice (PiS), la formation au pouvoir à Varsovie, sont intervenus, défendant une ligne musclée anti-Moscou.

Insistant sur une « différence de sensibilités politiques entre Est et Ouest » sur le dossier russe, l’ancien ministre polonais Ryszard Legutko (PiS) a décrit l’Europe comme « le maillon faible dans la défense contre l’impérialisme russe », évoquant entre les lignes l’attraction - sonnante et trébuchante - exercée par Moscou sur d’anciens premiers ministres (l’Allemand Gerhard Schröder, le Français François Fillon ou encore le Finlandais Esko Tapani Aho).

À l’Est, beaucoup d’élu·es ont suggéré de lancer officiellement un processus d’adhésion de l’Ukraine à l’UE, meilleure réponse à leurs yeux aux menaces de Moscou. L’écologiste finlandaise Heidi Hautala, elle, a exhorté les six États membres de l’UE qui ont choisi de rester hors de l’OTAN à rejoindre l’organisation transatlantique : « Ce qui affaiblit l’UE [et l’Europe de la défense - ndlr], c’est que six de ses États membres n’en sont pas membres », a-t-elle jugé.

Reprenant une exigence de la résolution de décembre, de nombreux députés ont aussi exhorté Berlin à ne pas mettre en activité Nord Stream 2, ce nouveau gazoduc qui relie la Russie à l’Allemagne en passant par la mer Baltique.

« La défense européenne est une chose, mais il nous faut avant tout une union gazière, a déclaré Radosław Sikorski, un conservateur polonais de la Plateforme civique (PO). [...] L’Allemagne doit dépasser la logique égoïste de Nord Stream 2 et devenir le leader de l’union gazière. Nous aurions non seulement du gaz meilleur marché, et serions plus forts face à Poutine. »

Sur ce front, von der Leyen s’est voulue rassurante : « Nous avons examiné les hypothèses d’un arrêt partiel ou complet des approvisionnements de gaz russe [en cas d’escalade - ndlr] et je peux dire que nous sommes en sécurité pour cet hiver », a assuré la présidente de la Commission.

D’après les projections, une invasion de l’Ukraine par la Russie priverait immédiatement l’UE de 10 % de ses importations. L’UE ne cesse d’augmenter ses importations de gaz naturel liquéfié (GNL) des États-Unis. Le gaz ne représente plus que 20 % du mix énergétique européen.

À gauche, quelques critiques contre les États-Unis

Comme souvent lorsqu’il est question de diplomatie au Parlement, d’autres élus, dont le conservateur allemand Manfred Weber, dont la formation est désormais dans l’opposition à Berlin, ont regretté que l’Europe ne soit « pas encore prête à réagir à ces problèmes qui troublent la politique mondiale ». Et d’ajouter : « L’Allemagne et la France essaient de se coordonner, mais cela pourrait fonctionner mieux. »

Josep Borrell, dès les premières minutes du débat, avait regretté les critiques : « Il a été dit que l’Europe était absente, qu’elle ne faisait rien, que c’étaient les États-Unis qui se trouvaient aux avant-postes... » L’Espagnol a mis en avant l’unité inédite, d’après lui, des Européens sur ces enjeux. Avant de dénoncer la stratégie de Moscou : « La Russie considère que nous sommes totalement hors sujet, que nous n’avons rien à dire sur les dossiers de sécurité en Europe. Pour Moscou, c’est à Washington que l’on définit la sécurité en Europe. » 

Sur la gauche de l’hémicycle, les eurodéputé·es du groupe La gauche (dont LFI) semblaient plutôt isolé·es, pour souligner aussi les responsabilités des États-Unis et de l’OTAN dans le conflit en cours. « Parmi les grandes puissances qui jettent de l’huile sur le feu, il n’y a pas que la Russie, mais c’est difficile à entendre », a déclaré Emmanuel Maurel, eurodéputé rattaché LFI, poursuivant qu’il ne fallait pas que l’Ukraine adhère à l’OTAN : « Contrairement aux États-Unis, la Russie reste et restera sur le continent européen. Comme le disait très bien hier le chancelier Scholz, mais aussi le président Macron, il n’y a pas de sécurité européenne s’il n’y pas pas de sécurité russe. »

Pour le communiste espagnol Manu Pineda (IU), « les États-Unis continuent à orchestrer des guerres hors de leur territoire, et l’UE a agi de manière irresponsable : l’OTAN utilise l’Europe et sa frontière avec la Russie comme une énorme base militaire au service d’intérêts géopolitiques et commerciaux qui ne sont pas ceux de l’UE ». Et de s’inquiéter que l’UE ne devienne « le terrain de jeu d’un empire décadent ».

Sur la même ligne, l’Allemand Martin Schirdewan (Die Linke), rappelant que 14 pays d’Europe centrale et orientale ont rejoint l’OTAN depuis 1999, a appelé à prendre ses distances avec l’organisation de Jens Stoltenberg : « L’OTAN n’est pas la seule organisation qui se soucie de l’ordre international. Il y a les Nations unies aussi, par exemple. J’aurais beaucoup aimé, chers collègues, qu’on le dise plus clairement dans ce débat. »

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