Sarkozy-Kadhafi : un procès pour l’histoire
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Quand Mediapart a révélé l’affaire libyenne en 2011, personne n’y croyait. Quatorze ans et quelque 160 articles plus tard, certains doutent encore, tant les faits défient le sens commun.
« Si c’était une série, on dirait que le scénario est invraisemblable », plaide déjà Nicolas Sarkozy. Pourtant, après une enquête minutieuse, la justice a renvoyé l’ancien président, trois de ses anciens ministres et neuf autres prévenus devant le tribunal. Le procès, historique, suivi par des médias du monde entier, se tient du 6 janvier au 10 avril 2025.
Vous retrouverez ici les comptes rendus, écrits et vidéos, vous permettant de suivre au jour le jour le procès avec les journalistes qui ont révélé et chroniqué l’affaire. Ainsi que les repères chronologiques, anecdotes, phrases cultes, documents clés et biographies des principaux protagonistes de cette histoire : peut-être la plus folle et la plus grave qu’ait connue la Vᵉ République.
Comptes rendus. écrits et vidéos
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Un pacte de corruption « inconcevable, inouï, indécent » : le rouleau compresseur des réquisitions
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« Djouhri n’était pas utile »
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Sur les traces d’un certain « A. D. »
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Les confessions d’un ponte du renseignement : « J’ai dit à Brice Hortefeux de faire attention »
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II. Personne n’y comprend rien
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Quand Mediapart a révélé l’affaire libyenne en 2011, personne n’y croyait. Quatorze ans et quelque 160 articles plus tard, certains doutent encore, tant les faits défient le sens commun.
Pour tout comprendre de cette histoire, peut-être la plus folle et la plus grave qu’ait connue la Vᵉ République, regardez le film !

III. Nos journalistes racontent leur découverte de ce scandale d’État
Fabrice Arfi et Karl Laske qui ont révélé l’affaire en 2011 expliquent comment ils ont travaillé, ce qu’ils ont découvert, les obstacles et pressions qu’ils ont affrontés dans un podcast en 4 épisodes.
IV. Ne manquez rien de l’affaire
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V. Les questions que vous nous posez le plus souvent autour de cette affaire
Quelles sont les règles auxquelles Nicolas Sarkozy devait se tenir pour financer sa campagne électorale ?
Les règles de financement des campagnes électorales répondent en France à des règles très strictes.
S’agissant de l’élection présidentielle :
- Les dépenses pour la campagne électorale sont plafonnées, c’est-à-dire qu’il y a un montant total de dépenses qu’on ne peut dépasser. Il est fixé à quelque 16 millions d’euros pour chacun·e des candidat·es présent·es au premier tour, et à 22 millions pour celles et ceux du second tour.
- Les candidat·es peuvent recueillir des financements privés, mais les dons des particuliers sont limités à 4 600 euros par donateur ou donatrice. En revanche, les dons des personnes morales, telles que les entreprises ou les États, sont interdits (notamment pour que les élu·es ne soient pas achetables).
- La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) est censée contrôler le respect du plafonnement des dépenses. Mais elle manque cruellement de moyens pour le faire. Ainsi en 2012, l’affaire Bygmalion a permis d’établir que la commission était passée à côté de 20 millions d’euros de dépassement, grâce à un système de fausses facturations élaboré pour la campagne de Nicolas Sarkozy.
- Le même soupçon de dépassement pèse pour 2007. Cette année-là, les comptes ont été validés. Mais Nicolas Sarkozy l’a lui-même reconnu lors du procès Bygmalion : « Ma campagne de 2012 est la sœur de celle de 2007 », avec le même nombre de meetings : 44. Dès lors, comment celle de 2012 aurait pu coûter le double de celle de 2007 ?
- Le soupçon principal concernant celle de 2007 est que des sommes en espèces aient été utilisées sans être déclarées. Et que cet argent soit venu de Libye.
À quoi peut être condamné Nicolas Sarkozy ?
L’ancien président est poursuivi pour quatre délits présumés : corruption, association de malfaiteurs, recel de détournements de fonds publics et financement illicite de campagne. En France, les peines ne sont pas cumulatives, contrairement aux États-Unis par exemple. Nicolas Sarkozy encourt dix ans de prison, 375 000 euros d’amende, ainsi qu’une privation des droits civiques (donc une inéligibilité) allant jusqu’à cinq ans.
Qu’espérait Mouammar Kadhafi en échange d’un financement de campagne selon la justice ?
Le dictateur était à la tête d’un État mis au ban des nations depuis des décennies, et particulièrement depuis les attentats commandités par Abdallah Senoussi, responsable des services secrets de l’État libyen dans les années 1980.
Un de ces attentats avait, en 1989, fait exploser un avion français en plein vol, causant la mort des 170 passagers dont 54 Français. Abdallah Senoussi, beau-frère du colonel Kadhafi, a été condamné pour cela en France à la prison à perpétuité en 1999. Recherché dès lors par les polices du monde entier, il vivait cloîtré en Libye.
Le colonel Kadhafi espérait faire lever cette condamnation. Il souhaitait aussi que son pays réintègre le concert des nations, notamment grâce à une visite officielle à Paris. La France, pays des droits de l’homme lui-même victime des attentats libyens constituait à ce titre une porte d’entrée inestimable.
Outre ces contreparties juridiques et diplomatiques, la justice évoque des négociations portant sur des contreparties économiques (notamment un contrat de matériel de surveillance du territoire libyen, un engagement sur le nucléaire civil, un contrat d’exploitation pétrolière/Total).
Or, en droit, le seul fait de solliciter directement ou indirectement un avantage en s’engageant à exécuter une contrepartie suffit à caractériser la corruption. Peu importe si l’engagement n’a finalement pas été tenu par le corrompu (celui qui a reçu l’argent). Même chose si le paiement n’a pas été effectivement versé. Seul le pacte compte, qu’il ait été mis ou non à exécution.
Pourquoi la note Moussa Koussa, publiée par Mediapart en 2012 entre les deux tours de l’élection présentielle, fait-elle encore polémique ?
Le 28 avril 2012, entre les deux tours de l’élection présidentielle qui voit s’affronter Nicolas Sarkozy et François Hollande, Mediapart publie une note qui fait l’effet d’une bombe. Datée du 10 décembre 2006, cette note sauvée des archives de la dictature libyenne après sa chute, en 2011, atteste d’un « accord portant sur le soutien à la campagne électorale du candidat aux élections présidentielles Monsieur Nicolas Sarkozy pour un montant de 50 millions d’euros ».
Cet « accord de principe », poursuit le document, ressort du « procès-verbal » d’une réunion tenue le 6 octobre 2006 en présence de Brice Hortefeux et de Ziad Takieddine, durant laquelle « il a été convenu du montant et des modalités de versement ».
Le document est signé par Moussa Koussa, l’un des plus proches collaborateurs de Kadhafi et alors chef des services secrets extérieurs libyens.
Cette note ne dit donc pas que 50 millions ont été versés, mais que le régime était disposé à le faire.
Mediapart, après voir authentifié le document, ne pouvait pas le cacher à son lectorat, qui plus est avant une échéance électorale. Nous aurions été accusés, à juste titre, de dissimuler des élément d’un intérêt général majeur susceptible d’éclairer le débat public. C’est pourquoi nous l’avons publié.
Immédiatement, Nicolas Sarkozy a estimé qu’il s’agissait d’un faux document, « un faux grossier ». Il a attaqué Mediapart en justice pour faux, recel de faux, usage de faux et diffusion de fausses nouvelles.
Deux juges d’instruction distincts de ceux travaillant sur l’enquête principale ont travaillé pendant quatre ans sur ce dossier. Ils ont multiplié les investigations, les auditions, les expertises. Ils en sont arrivés à la conclusion que rien ne permettait de douter de l’authenticité de ce document libyen.
Tout a été scanné. L’en-tête, le logo, l’apparence du document, la typographie, le vocabulaire employé, les tournures, les dates (propres au régime libyen : le calendrier en vigueur en Libye a changé à quatre reprises sous le régime du colonel Kadhafi).
Des diplomates, des militaires et des agents secrets ont en outre été entendus.
Entendu au Qatar, Moussa Koussa a dit que le contenu du document était vrai. Mais il a contesté l’avoir signé. Problème : un collège d’experts en écriture ont formellement établi que le document était « de la main » de Moussa Koussa.
Enfin, les juges ont eu recours à une expertise très technique du fichier informatique, en utilisant un logiciel permettant de préciser les caractéristiques du papier employé pour le document, son usure et son vieillissement.
Enfin, les juges ont exploré la piste d’un document libyen authentique fabriqué a posteriori pour donner crédit à une contrevérité. « Un faux intellectuel. » Cette hypothèse à également été balayée.
Brice Hortefeux a cherché à démontrer qu’au vu de son agenda, il ne pouvait pas avoir assisté à une telle réunion à la date indiquée, le 6 octobre 2006. Les enquêteurs ne l’ont pas suivi, estimant que son absence à la réunion ne pouvait pas être démontrée.
Nicolas Sarkozy a fait appel de la décision des juges donnant raison à Mediapart. Il a perdu en appel. Il s’est pourvu en cassation. Il a définitivement perdu en cassation. La Cour de cassation a même enjoint à Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux de payer à Mediapart une somme globale de 2 500 euros au titre des frais de justice.
En dépit de ces décisions très claires et extrêmement motivées, du fait que le contenu de cette note se retrouve, parmi beaucoup d’autres documents, dans l’ordonnance de renvoi des juges, Nicolas Sarkozy a continué de vouloir faire croire que ce document était un faux.
De nombreux médias ont relayé sa propagande et l’ont reprise à leur compte. Le Canard enchaîné a même dû admettre le 8 janvier 2025 que bien avant Mediapart, cette note avait été récupérée par une de ses journalistes, mais que décision avait été prise de ne pas la publier.
Le « palmipède » ne précise pas la date à laquelle il a pris cette décision. Si celle-ci remonte à une période précédant la guerre en Libye, cela invaliderait une fois de plus, si cela était nécessaire, la thèse du clan Sarkozy selon laquelle le clan Kadhafi aurait voulu se venger de l’offensive française en inventant cette histoire de financement électoral. En effet, quel intérêt aurait eu le clan Kadhafi à fabriquer un tel document en pleine lune de miel avec la France ?
De combien d’argent versé parle-t-on en définitive ?
D’après l’enquête judiciaire, il y a eu plusieurs flux financiers identifiés entre 2005 et 2008. Ceux-ci ont transité par différents canaux libyens et ont atterri dans diverses poches françaises. Si les juges disent n’avoir pas une vue d’ensemble de tous les versements opérés, ils ont toutefois écrit dans leur rapport de synthèse qui a saisi le tribunal pour le procès avoir « mis en évidence à la fois des paiements et des contreparties ».
Ils évoquent d’une part 1,2 million d’euros d’argent libyen décaissés en espèces depuis un compte suisse par l’intermédiaire Ziad Takieddine, en relation étroite avec l’équipe Sarkozy. L’argent a été rapatrié en France avant l’élection présidentielle de 2007, sans lien avec son train de vie pour la justice.
Les enquêteurs ont aussi retrouvé la trace d’un virement de 440 000 euros d’argent libyen ayant atterri en février 2006 sur le compte aux Bahamas d’un proche de Nicolas Sarkozy, Thierry Gaubert. Quelques jours avant de recevoir les fonds, celui-ci a écrit sur une note d’agenda cette mention : « Ns-Campagne ».
L’agent de corruption présumé Ziad Takieddine s’est par ailleurs auto-accusé d’avoir versé, entre novembre 2006 et janvier 2007, 5 millions d’euros en espèces à Claude Guéant et Nicolas Sarkozy. Le dignitaire libyen Abdallah Senoussi, à l’origine des versements présumés, avait donné des éléments identiques à la Cour pénale internationale (CPI) : même montant, mêmes dates, même intermédiaire et mêmes destinataires.
L’ancien secrétaire général de l’Élysée, Claude Guéant, sera jugé également pour avoir perçu en mars 2008, trois mois après la réception fastueuse de Kadhafi à Paris, 500 000 euros derrière lesquels se cachent, d’après l’enquête, l’ancien directeur de cabinet du dictateur libyen, Béchir Saleh, et un autre agent de corruption présumé, Alexandre Djouhri.
Les juges ont aussi établi qu’à la toute fin de l’élection présidentielle, il restait, dans les armoires fortes de l’équipe de campagne, au moins 250 000 euros en liquide et en grosses coupures, qui n’avaient pas été utilisées — il faut donc prendre ce montant comme le révélateur d’une circulation massive d’espèces durant la campagne, selon la police.
Un document libyen révélé par Mediapart avait indiqué que le montant total que le régime Kadhafi était prêt à verser était de 50 millions d’euros. Et un ancien premier ministre libyen, Choukri Ghanem, avait consigné en avril 2007 dans ses carnets manuscrits l’existence de plusieurs versements atteignant 6,5 millions d’euros.
Nicolas Sarkozy doit-il porter un bracelet électronique ?
Nicolas Sarkozy a été condamné à une peine de trois ans d’emprisonnement, dont un an ferme, à purger sous bracelet électronique, pour corruption et trafic d’influence. Il s’est fait poser ledit bracelet le 7 février, à son domicile. Nicolas Sarkozy a désormais l’autorisation de quitter son domicile uniquement entre 8 heures et 20 heures, jusqu’à 21 h 30 les lundis, mercredis, et jeudis.
Où en est Nicolas Sarkozy de ses différentes affaires ?
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Bygmalion :
Dans cette affaire qui concerne le financement de sa campagne de 2012, Nicolas Sarkozy a été condamné le 14 février 2024 à un an de prison, dont six mois ferme. L’ancien président se pourvoit en cassation. -
Bismuth :
Dans cette affaire, improprement appelée « affaire des écoutes », Nicolas Sarkozy a été définitivement condamné à trois ans de prison dont un ferme avec détention à domicile sous bracelet électronique et trois ans de privation des droits civiques. La Cour de cassation a en effet rejeté son pourvoi le 18 décembre 2024. -
Affaire Kadhafi :
Il est jugé début 2025 pour corruption passive, financement illicite de campagne électorale, recel de détournements de fonds publics libyens et association de malfaiteurs. -
Affaire de la fausse rétractation de Takieddine (Mimi Marchand) :
Mis en examen pour recel de subornation de témoin et participation à une association de malfaiteurs en vue de commettre l’infraction d’escroquerie au jugement en bande organisée. -
Coupe du monde au Qatar :
Une instruction a été ouverte pour définir le rôle de Nicolas Sarkozy dans l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar lorsqu’il était président. Dans la foulée de son départ de l’Élysée en 2012, l’ancien président a personnellement bénéficié dans ses affaires privées du soutien de l’État du Qatar. -
Argent russe :
Une enquête a été ouverte en 2020 par le Parquet national financier pour des soupçons de trafic d’influence et de blanchiment de crime ou de délit, pour sa rémunération (contrat de 3 millions d’euros) par la société d’assurances russe Reso-Garantia, détenue par deux milliardaires proches de Vladimir Poutine. -
Affaire Bettencourt :
Non-lieu au stade de l’instruction après avoir été mis en examen. -
Affaire des sondages de l’Élysée :
Irresponsable pénalement comme président.
Où en est Claude Guéant de ses différentes affaires ?
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Affaire Sarkozy/Kadhafi :
Il est jugé début 2025, notamment pour corruption passive, financement illicite de campagne électorale, recel de détournements de fonds publics libyens et association de malfaiteurs. -
Affaire des sondages de l’Élysée :
Le 21 janvier 2022, Claude Guéant est condamné en première instance, à un an de prison, dont quatre mois avec sursis. Il a fait appel. -
L’affaire dite des primes de cabinet :
Claude Guéant, à partir de l’été 2002 et jusqu’à l’été 2004, a perçu environ 10 000 euros en liquide par mois, prélevés sur le budget alloué aux frais d’enquête et de surveillance de la police. Pour ces faits, il a été condamné à deux ans de prison dont un ferme, assortis d’une amende de 75 000 euros, ainsi que de l’interdiction d’exercer toute fonction publique pendant cinq ans. Il a même été incarcéré pendant près de deux mois pour n’avoir pas payé ses dettes à la suite à sa condamnation. -
Affaire des comptes de campagne des élections législatives de 2012 :
Pour avoir sciemment minoré ses comptes de campagne alors qu’il était candidat en 2012 à la députation dans les Hauts-de-Seine, il est condamné par le tribunal de Nanterre, en première instance, le 22 novembre 2022, à dix-huit mois d’emprisonnement, dont douze assortis d’un sursis probatoire, ainsi qu’à une amende de 30 000 euros. Il a fait appel.
Pourquoi l’enquête a-t-elle été si longue ?
Il s’agit d’une enquête à tiroirs et extrêmement complexe, qui a nécessité de demander la coopération judiciaire de pas moins de 17 pays. En France, pourtant, les moyens débloqués pour enquêter ont été très limités. Les deux juges d’instruction qui se sont succédé avaient ce dossier à traiter parmi des dizaines d’autres. Pendant toute la durée de l’enquête, il n’y a pas eu un seul policier à temps plein sur l’affaire…
Par ailleurs, les avocats en défense des mis en cause ont multiplié les recours — ce qui est leur droit le plus ultime —, mais ce qui a retardé la conclusion de l’instruction.
Dans leur rapport de synthèse, les juges d’instruction évoquent aussi « l’absence de volonté politique en France (quelle que soit la période) pour faire la transparence sur ces faits ; en témoignent d’une part les refus de déclassification et d’autre part les notes déclassifiées entièrement caviardées alors qu’il est manifeste que les services de renseignement français ont été les premiers témoins des faits, objets de l’information judiciaire ». Mais aussi « les diverses tentatives de manipulations relayées par des articles de presse qui ont pollué les investigations et contraint à faire des vérifications chronophages et qui se sont avérées parfaitement inutiles », sans parler des « tentatives de déstabilisation de magistrats ».
Pourquoi faire la guerre à un dictateur qui vous aurait soutenu ?
C’est la question préférée de Nicolas Sarkozy, qui dit lui-même qu’il aurait été « bien ingrat » s’il avait été financé quelques années plus tôt. Aujourd’hui, il est impossible d’affirmer que c’est pour faire disparaître des preuves de la corruption que Nicolas Sarkozy aurait conduit une bonne partie du monde à mener bataille en Libye.
Mais il est certain que des questions demeurent sans réponse sur la guerre. Qu’il s’agisse des mensonges qui ont pu entourer son déclenchement comme le choix de certaines cibles militaires, par exemple le domicile dans un quartier résidentiel du dignitaire Abdallah Senoussi, l’un des corrupteurs présumés du clan Sarkozy. Sa maison a été bombardée en août 2011, faisant au moins un mort civil.
Qui a assassiné Kadhafi ?
Le dictateur libyen est mort le 20 octobre 2011 dans les environs de Syrte, en Libye, où il avait pris la fuite après le déclenchement de la guerre par la France et ses alliés. Mouammar Kadhafi se trouvait dans un 4 × 4 qui a été pris pour cible par un drone américain puis par un avion français. Il en a d’abord miraculeusement réchappé, avant d’être repéré par des rebelles et manifestants qui l’ont lynché. Il n’y a pas d’images du moment précis où Mouammar Kadhafi est tué, très vraisemblablement par une arme à feu. Aucune autopsie officielle n’a été réalisée.
D’après plusieurs journalistes et spécialistes militaires, des forces spéciales françaises se trouvaient à proximité, mais personne ne peut dire à ce jour qui a tué Kadhafi avec certitude. On peut toutefois avancer que rien n’a été fait pour le garder vivant, l’arrêter et l’amener devant la Cour pénale internationale, qui avait émis un mandat d’arrêt à son égard.
Mediapart a-t-il déjà perdu un procès intenté par Nicolas Sarkozy ou un autre homme politique pour une information inexacte ?
Jamais. Dans cette affaire libyenne, nous avons été poursuivi par Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, Brice Hortefeux, Ziad Takieddine et l’ancien directeur du JDD et Paris Match Hervé Gattegno. Nous n’avons jamais été condamnés ni pour diffamation, ni pour faux, ni pour usage de faux, ni pour atteinte à la présomption d’innocence.
Pourquoi l’affaire de la fausse rétractation de Takieddine ne sera-t-elle pas abordée pendant le procès ?
L’affaire dite de la fausse rétractation concerne un événement médiatique qui a eu lieu à l’automne 2020, un mois après la mise en examen de Nicolas Sarkozy pour association de malfaiteurs dans le dossier libyen. Contre toute attente, l’un de ses principaux accusateurs de l’ex-président, Ziad Takieddine, apparaissait dans Paris Match et sur BFMTV pour dire qu’il avait menti à la demande du juge d’instruction Serge Tournaire.
Il s’agit, en réalité, d’une manipulation que la justice a réussi à mettre au jour. Aux abois et sans le sou à Beyrouth, au Liban, où il a pris la fuite après sa condamnation dans l’affaire Karachi, Ziad Takieddine s’était vu promettre quatre millions d’euros pour se dédire et accuser la justice française. Plusieurs personnes sont aujourd’hui mises en examen, notamment pour subornation de témoin et association de malfaiteurs en vue d’escroquer la justice, dont la femme d’affaires et comunicante Michèle Marchand, soupçonnée d’avoir tout organisé.
Nicolas Sarkozy et sa femme Carla Bruni, qui a utilisé un téléphone secret au cœur des investigations, sont également poursuivis. Mais cette affaire dans l’affaire fait l’objet d’une enquête distincte de celle des financements libyens au tribunal de Paris. Elle n’est toujours pas finie même si elle semble toucher à sa fin.
VI. La chronologie
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Le premier contact
Claude Guéant, directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, rencontre secrètement en Libye le terroriste Abdallah Senoussi, pourtant condamné à perpétuité en France pour l’attentat contre l’avion DC-10 d’UTA, et recherché par la justice.
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La rencontre
Nicolas Sarkozy se rend à son tour en Libye et y discute en tête à tête avec le dictateur. Dans les semaines qui suivent, son avocat Thierry Herzog se rendra à son tour sur place pour aider pénalement Senoussi.
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Le virement
Thierry Gaubert, ami historique de Nicolas Sarkozy, reçoit sur un compte secret aux Bahamas 440 000 d’euros d’argent libyen qui ont transité par un compte de Ziad Takieddine. Quelques jours plus tôt, le ministre Brice Hortefeux avait rencontré Senoussi secrètement en compagnie de Ziad Takieddine.
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La note
Une note signée par Moussa Koussa, l’ancien chef des services de renseignements extérieurs de la Libye, fait état d’un accord de financement de la campagne de Nicolas Sarkozy.
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L’élection
Nicolas Sarkozy est élu président de la République. Son premier voyage d’État sera en Libye. Puis il recevra le dictateur libyen en grande pompe six mois plus tard à l’Élysée.
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L’appartement
Guéant s’achète un appartement de 89 m² dans le XVIᵉ arrondissement parisien grâce à 500 000 euros qui lui ont été indirectement adressés par la Libye.
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La guerre
Une opération militaire internationale déclenche une guerre contre le régime libyen, sous l’égide de l’ONU, pour anticiper un possible massacre à Benghazi du dictateur contre son peuple en révolte.
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Le premier article
Le grand soupçon libyen. Premier article de Mediapart sur l’affaire Sarkozy/Kadhafi. Une enquête judiciaire sera ouverte deux ans plus tard.
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La mort
Mouammar Kadhafi meurt à Syrte, deux mois après la prise de pouvoir par le Conseil national de transition (CNT).
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Le carnet retrouvé
Le corps de Choukri Ghanem, ancien ministre du pétrole de la Libye, est retrouvé dans le Danube. La police retrouve un vieux carnet à lui : en 2007, il y avait consigné les versements de la Libye en faveur de Sarkozy.
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La fuite
L’intermédiaire Alexandre Djouhri, proche de Claude Guéant, organise l’exfiltration de Paris vers le Niger du dirigeant libyen Bachir Saleh, sous le coup d’un mandat et d’une notice rouge d’Interpol. Le tout en présence de l’ancien patron des services secrets intérieurs, Bernard Squarcini.
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Le procès
Après dix ans d’instruction, les juges renvoient Nicolas Sarkozy et trois de ses anciens ministres devant le tribunal pour un procès historique.
VII. Les protagonistes
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Nicolas Sarkozy
Ancien chef de l’État, il est soupçonné d’avoir noué avec le dictateur Mouammar Kadhafi un pacte de corruption avant son élection de 2007 en échange de différentes contreparties pour favoriser le régime libyen.
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Ziad Takieddine
Homme d’affaires franco-libanais, déjà condamné dans l’affaire Karachi, il est le premier « intermédiaire » autour duquel s’est structuré un réseau de financement, en lien avec Abdallah Senoussi. Il a ouvert les portes du régime au cabinet de Nicolas Sarkozy.
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Brice Hortefeux
Alors qu’il était ministre des collectivités locales, il s’est notamment rendu en Libye en 2005 pour y rencontrer secrètement le terroriste d’État Abdallah Senoussi, alors recherché par la justice française. Senoussi versera juste après des fonds au clan Sarkozy.
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Claude Guéant
À l’époque directeur de cabinet et de campagne de Nicolas Sarkozy, il a lui aussi secrètement rencontré Abdallah Senoussi. Il est par ailleurs accusé d’enrichissement personnel dans le dossier.
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Mouammar Kadhafi
L’ancien dictateur libyen a dirigé son pays de 1969 à 2011, année de son assassinat. Isolé diplomatiquement pour avoir financé des actions terroristes, il avait fait son grand retour sur la scène diplomatique en 2007 grâce à Nicolas Sarkozy qui l’avait reçu en grande pompe à l’Élysée.
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Abdallah Senoussi
Beau-frère de Kadhafi et chef du renseignement militaire, il a été condamné à perpétuité en 1999 par la justice française pour avoir organisé l’attentat contre un avion de ligne de la compagnie UTA (170 morts). Il était depuis lors visé par un mandat d’arrêt international et souhaitait être gracié.
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Thierry Gaubert
Ami et collaborateur historique de Nicolas Sarkozy, il a déjà été condamné dans l’affaire Karachi. Gaubert a reçu d’Abdallah Senoussi via l’intermédiaire Ziad Takieddine 440 000 euros d’argent libyen sur un compte aux Bahamas.
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Éric Woerth
Il était le trésorier de l’UMP et de la campagne présidentielle victorieuse de Nicolas Sarkozy en 2007. Il est soupçonné d’avoir participé au trucage des comptes de campagne. Il est aujourd’hui questeur de l’Assemblée nationale.
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Choukri Ghanem
Ancien ministre du pétrole libyen, il a été retrouvé mort dans le Danube au lendemain de nos révélations en 2011. Une « mort suspecte », selon les services secrets américains, mais dont la cause demeure indéterminée. Un document signé de sa main en 2007 désigne des circuits de financement de la campagne de Sarkozy.
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Moussa Koussa
Ancien chef des services secrets de Kadhafi, il est l’auteur d’une note promettant un financement pour la campagne de Nicolas Sarkozy. Ce dernier a qualifié cette note de « faux grossier », la justice lui a donné tort à trois reprises.
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Alexandre Djouhri
Il s’agit de l’autre intermédiaire du dossier : il a, lui, travaillé avec Bachir Saleh. Et aurait notamment touché une commission d’EADS sur une vente d’Airbus à la Libye.
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Bachir Saleh
Ancien directeur de cabinet de Kadhafi et ex-président d’un fonds souverain libyen, il est soupçonné d’avoir indirectement financé un appartement pour Claude Guéant. En 2012, après les révélations de Mediapart, Bachir Saleh, qui vivait à Paris, a été exfiltré avec l’aide des services français en dépit d’une notice rouge d’Interpol.
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Bernard Squarcini
Cet intime de Nicolas Sarkozy et de Claude Guéant, alors patron des services de renseignements intérieurs français, organise la fuite de Bachir Saleh de la France, où il était protégé mais menacé depuis nos révélations, vers le Niger.
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Mimi Marchand
La « papesse de la presse people », au passé pénal bien chargé, est une intime du couple Sarkozy. Elle a participé à une opération visant à « sauver Sarko » en achetant la rétractation de Ziad Takieddine. Ce volet judiciaire est toujours en cours.
VIII. Ils l’ont dit
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« Étant député européen, ayant un mandat électif, vous ne vous êtes pas dit que passer une journée sur un yacht d’une valeur de plusieurs millions d’euros, appartenant à une personne dont vous ne connaissez pas l’origine de la fortune, pouvait aussi poser problème ? »
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« M. Djouhri, qu’est-ce qui a fait que vous vous êtes rapproché de Claude Guéant ? »
« Parce que Claude Guéant, il est enrichissant ! »
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« Aurait-on fait commerce de nos disparus ? Ç’a été pour nous une deuxième explosion. »
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« On ne parle pas de l’exportation d’usines de petits pois. Le nucléaire, ce n’est pas quelque chose que l’on vend à la sauvette. »
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« On ne fait pas l’exfiltration de quelqu’un si l’on n’a pas une bonne raison de le faire. Pourquoi on l’a sorti et pas les autres ? Ensuite, pourquoi l’envoyer en Afrique du Sud ? Peut-être pour qu’il ne raconte pas certaines choses… »
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« Vous allez faire croire qu’il y a une sorte d’association entre magistrats qui en veulent énormément à Nicolas Sarkozy. Vous ne pensez pas que cette fable a été assez entendue ? »
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« Parce que si l’on a été condamné une fois, on n’est plus crédible ? »
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« Sur la naïveté de M. Guéant : vous le connaissez bien, vous travaillez avec lui depuis 2002, c’est un haut fonctionnaire expérimenté. Vous le croyez naïf au point de “se faire rouler dans la farine” ? »
Nicolas Sarkozy : « Oui, certainement. »
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« Quand M. Guéant écrit à M. Takieddine avec du papier à en-tête de l’Élysée, cela engage la France, non ? »
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« C’est un jeu de mots. »
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« J’ai découvert beaucoup de choses dans la presse, il m’est arrivé de tomber de ma chaise plus d’une fois […] pour moi, le père de mon fils était quelqu’un d’intègre, honnête, courageux. »
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« C’est possible que ce soit l’ancien numéro de téléphone de mon fils. »
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« Je ne connaissais pas le détail de sa condamnation et, pour être précis, j’ignorais totalement l’existence d’un mandat d’arrêt international le concernant. »
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« Il faut se mettre d’accord. Ma campagne a été financée par les sous-marins pakistanais, par M. Kadhafi ou par Mme Bettencourt ? »
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« Mais il nous est fidèle, lui ? »
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« Mediapart est le site le plus menteur qui puisse exister dans toutes les civilisations possibles et imaginables ». Ses journalistes sont des « animaux malades. »
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« Sincèrement, je l’espère du fond du cœur. »
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« C’était pour y entreposer les discours de Nicolas Sarkozy. »
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« Je n’ai jamais vu de courrier arrivant qui contenait des espèces. »
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« Salut le facho […] Soit tu me lâches soit […] je vais dénoncer l’argent liquide que tu as perçu pour organiser des rdv auprès de Sarko lorsqu’il était président, des relations tout aussi liquides que tu as eues avec Takieddine, l’emploi fictif de ton ex à la Caisse d’Epargne grâce à Gaubert […]. Je ne te lâcherai pas espèce de voyou ! »
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« Je n’avais aucun élément pour connaître ce qu’était la réalité de leur vie si tant est qu’on connaît réellement la vie de qui que ce soit […] C’est encore plus vrai pour ceux qui nous entourent, ceux qu’on aime et qui peuvent parfois nous décevoir. »
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« Commando Bernard »
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« Merci pour tout. »
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« Je crois beaucoup à la théorie du bouc émissaire, et je crois que cela ne dérange pas ton ancien boss [Nicolas Sarkozy – ndlr], bien au contraire. Dans ces cas-là, il faut penser qu’à sa gueule, Papa. »
IX.
L’ordonnance de renvoi :
la synthèse de l’affaire rédigée par les juges
X. Plus loin dans l’affaire
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Président, levez-vous !
Série
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XI. « Sans nous, vous ne l’auriez pas su. »
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