L’esprit critique Podcast

Films « apo » ou images de lutte : comment le cinéma s’empare de l’écologie

En partant du film « Le Ciel rouge » de Christian Petzold et du succès des « Algues vertes » de Pierre Jolivet, « L’esprit critique » s’intéresse aux images cinématographiques à l’heure du « Nouveau Régime climatique ».

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Le premier film de l’histoire du cinéma, L’Arrivée d’un train gare de La Ciotat, tourné par les frères Lumière, rappelle qu’à son origine le cinéma célèbre la vitesse et le progrès incarnés à l’époque par la locomotive.

Enfant de l’industrie et des énergies fossiles, le cinéma a, depuis, souvent remis en cause ce récit du progrès, notamment avec le genre du film « apo », ou apocalyptique, et donné place de manière variée aux problématiques écologiques.

Mais où en sommes-nous des images cinématographiques à l’heure du « Nouveau Régime climatique » décrit par le philosophe Bruno Latour, dont les inondations en Libye sont une des dernières manifestations ?

Alors que l’écologie s’insère dans de plus en plus d’objets cinématographiques et que le Centre national du cinéma (CNC) pousse officiellement les producteurs et réalisateurs à se mettre au vert, deux films sortis récemment, Le Ciel rouge de Christian Petzold et Algues vertes de Pierre Jolivet, nous serviront de point d’entrée pour en discuter.

Que peut-on attendre du cinéma du point de vue de l’écologie d’aujourd’hui ? Influencer les imaginaires, voire les comportements, de millions de personnes dans la mesure où le cinéma demeure, avec la musique, le champ artistique le plus populaire ? Permettre de donner à voir ce qu’on ne voit plus ou ce qui demeure invisible ? Documenter les luttes contemporaines qui cherchent à empêcher la destruction de la planète ?

L’hétérogénéité des objets cinématographiques qui s’emparent des thématiques ou des préoccupations écologiques interdit des réponses exhaustives à ces interrogations, mais on sent bien à la fois une certaine mode qui traverse le cinéma et une certaine gêne ou frustration face à ce qu’il propose.

Don’t Look Up, par exemple, a bénéficié d’une résonance mondiale inégalée sur Netflix, et son slogan a été repris dans les mobilisations climat. Il constitue ainsi sans doute un film important sur le déni climatique. Mais il suscite aussi des réticences, parce que, dans ce film, la catastrophe qui menace de détruire la planète est exogène à l’humanité, parce que seule une alliance de l’armée étatsunienne et de la Silicon Valley serait susceptible d’y remédier ou parce que « le film pousse cette idée particulièrement naïve : si le monde savait, le monde agirait », pour reprendre les mots de l’historien Jean-Baptiste Fressoz.

Quant à Avatar, il a sans doute, par ses prouesses technologiques, offert des images de la forêt et du monde maritime d’une puissance inédite, mais le discours politique qui le sous-tend s’inscrit a contrario de ce qui permettrait d’échapper à la dévitalisation ou à la destruction de la planète.

Le chercheur en études cinématographiques Dork Zabunyan avait dans un article récent jugé que la portée d’une esthétique du choc, dont Le Jour d’après de Roland Emmerich en 2004 constitue un exemple paroxystique, était « devenue désuète en matière de condamnation du péril écologique », notamment en raison d’une similarité entre les images des films catastrophes et celles des catastrophes réelles captées par les caméras de télévision, pareillement dictées par des cadres aussi léchés que spectaculaires.

Le cinéma manque-t-il alors d’une inventivité formelle pour offrir des images propres à rendre compte de notre condition écologique ? Dork Zabunyan évoque à ce propos un film du réalisateur japonais Tomonari Nishikawa qui avait enterré un bout de pellicule 35 mm à quelques kilomètres de la centrale de Fukushima avant de le récupérer 24 heures plus tard. À l’intérieur de ces images abstraites, on ne voit rien que des biffures bleues provoquées par la radioactivité, et, pour le chercheur, cette « absence de figuration, outre qu’elle le distingue de toutes les images habituelles de la catastrophe, le conduit à imaginer celle-ci autrement, en plus de rendre sensible, même par l’informe, une toxicité qui appartient au domaine de l’invisible ».

Pour mêler inventivité et popularité, le cinéma doit-il inventer les conditions d’une « éco-mise en scène », pour reprendre les termes du critique Jean-Michel Frodon, qui se demande s’il est possible de filmer écologiquement et non seulement de faire des films écologistes ?

Afin d’approcher ces problématiques, on se fonde donc aujourd’hui sur deux films, même si plusieurs autres seront évoqués :

  • Le Ciel rouge, en salles depuis le 6 septembre, est le dixième long-métrage du réalisateur allemand Christian Petzold, grand prix du jury au dernier festival de Berlin. Il filme un quatuor amicalo-amoureux composé de quatre jeunes gens dans une maison isolée dans une clairière d’où l’on peut rejoindre une plage, une forêt ou une petite ville qui seraient idylliques si les fumées d’incendies tout proches ne faisaient planer une menace à la fois proche et lointaine. Avez-vous regardé ce film de facture rhomérienne comme un conte écologique ?
  • Algues vertes, signé Pierre Jolivet et dont le succès public ne se dément pas depuis le début de l’été avec près de 400 000 entrées, est adapté de la BD homonyme de la journaliste d’investigation Inès Léraud, qui en cosigne le scénario. Le film retrace son combat pour révéler les méfaits de l’agriculture industrielle en Bretagne. Il s’inscrit dans une veine forgée par Erin Brockovich, seule contre tous de Steven Soderbergh, sorti en 2000, et dont Sabotage de Daniel Goldhaber, sorti fin juillet et librement inspiré du livre Comment saboter un Pipeline d’Andreas Malm, pourrait constituer un autre exemple.

Pour discuter de tout cela :

  • Alice Leroy, qui écrit dans les Cahiers du Cinéma et Panthère Première ;
  • Ysé Sorel, doctorante en philosophie et cinéma, réalisatrice et autrice pour le quotidien d’idées AOC ;
  • Jade Lindgaard, journaliste au pôle écologie de Mediapart.

« L’esprit critique » est un podcast enregistré et réalisé par Samuel Hirsch dans les studios de Gong.