Dans l’Yonne, un premier coup d’arrêt aux ambitions de l’industriel de la volaille Duc

Le 10 novembre à Auxerre, le conseil départemental a rendu un avis défavorable au projet d’extension de l’abattoir Duc de Chailley. Une douche froide pour cette entreprise qui avait pour ambition de doubler sa production de poulets standards.

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C’est une première dans l’Yonne depuis au moins dix ans. Selon les informations de Mediapart, jeudi 10 novembre, le Coderst (conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques) a rendu un avis défavorable au projet d’extension d’une entreprise de l’agroalimentaire. En l’espèce : l’agrandissement de l’abattoir du volailler Duc, sur la petite commune de Chailley. Le vote a nécessité un recompte des voix, et le résultat n’a été délivré que le 18 novembre en fin de journée.

Ce projet de développement, qui devait permettre d’agrandir le site de l’abattoir et de doubler sa production de poulets (de 227 à 400 tonnes de carcasses par jour, soit 265 000 poulets tués quotidiennement), faisait l’objet d’une enquête publique. Un autre service de l’État, l’agence régionale de santé (ARS), avait déjà émis un avis négatif dans ce cadre.

En plus de 30 ans d’existence, cette usine, qui fonctionne avec quelque 120 éleveurs sous contrat répartis dans tout le département et alentour, n’avait jamais été empêchée de se développer. Elle a même bénéficié par le passé d’un soutien public.

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Devant l'usine de Duc-Plukon à Chailley, dans l'Yonne. © Photo Amélie Poinssot / Mediapart

Rachetée en 2017 par le géant néerlandais de la volaille Plukon, l’entreprise s’était lancée depuis dans une stratégie offensive de développement. Ainsi que nous le racontions dans une enquête parue en février, elle avait pour objectif la construction de 80 nouveaux poulaillers dans un périmètre de 150 kilomètres autour de l’abattoir. Plusieurs sont maintenant construits ou en passe de l’être, d’autres sont dans les tuyaux. Plusieurs départements en plus de l’Yonne sont concernés : l’Aube, la Côte-d’Or, la Nièvre, la Marne, la Haute-Marne, les Ardennes, la Seine-et-Marne et le Loiret.

C’est un modèle de production standardisé. Exploitantes et exploitants agricoles sont démarchés par l’industriel pour construire le même type de poulailler (39 600 poulets par bâtiment, juste au-dessous du seuil de 40 000 nécessitant une enquête publique), élever la même souche de poulet (le « Ross 308 », à croissance rapide), avec les mêmes rations alimentaires, la même densité (22 poulets au mètre carré) et un abattage au bout de 40 jours.

Le Coderst est une instance départementale où siègent différents services de l’État, des élu·es, trois associations dont une association environnementale, des personnes « qualifiées » au titre de leur domaine d’expertise, mais aussi la chambre d’agriculture, la chambre de commerce et d’industrie et la chambre des métiers. Vingt-cinq personnes au total, qui votent à main levée. Il est rarissime qu’il en sorte un avis défavorable. Le plus souvent, c’est une collusion d’intérêts qui prend le dessus, au détriment de l’impact écologique des projets.

Cette fois-ci, il semble que l’ARS a maintenu sa position négative, en raison du dysfonctionnement de la station d’épuration de l’usine et des importantes nuisances olfactives et sonores, qui restent à l’heure actuelle au-dessus des seuils règlementaires. S’ajoute à cela une hausse de 40 % du trafic qu’aurait générée la croissance du site de Chailley, sur de petites routes de campagne non adaptées.

C’est ce qui aurait fait pencher la balance en faveur du « non », au terme de longs échanges, tendus, avec la direction de Duc. Le vote a été si serré que la préfecture a procédé à un recompte des voix, pour délivrer le résultat huit jours après la réunion. Le préfet, Pascal Jan, à qui reviendra la décision finale sur l’extension de l’abattoir, n’est pas obligé de suivre cet avis du Coderst. Mais s’il passe outre, nul doute qu’il s’expose à des recours en justice, qui auront de fortes chances d’aboutir.

Est-ce la fin du développement des mégapoulaillers dans l’Yonne ? Le ministre de l’agriculture n’est pas de cet avis. En déplacement samedi 19 novembre dans le département, Marc Fesneau le clamait, dans une interview à L’Yonne républicaine : « Environ 50 % de la volaille française est importée. [...] Moi, je ne saurais qu’encourager l’idée de retrouver de la souveraineté alimentaire. Pour davantage de poulets français, il faut plus de poulaillers. »

Reste qu’à cette heure, le plan aux 80 mégapoulaillers de Duc a pris sérieusement du plomb dans l’aile.

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