« J’étais alors en situation de fragilité »
Les coprésidents de l’époque confirment. « Elle nous a dit qu’elle avait reçu des messages qui la mettaient mal à l’aise. On ne rigole pas avec ces sujets. Avec François [de Rugy], on s’est dit qu’il fallait qu’on règle cette question. Depuis, c’est réglé. Il n’y a plus eu d’ambiguïté », explique Barbara Pompili, désormais secrétaire d’État à la biodiversité du gouvernement.
« Nous avons été saisis par une collaboratrice qui nous a parlé de propos équivoques envoyés par SMS par Denis Baupin, confie aussi le député François de Rugy, coprésident du groupe EELV à l’Assemblée. De notre point de vue, nous ne qualifions rien de délictueux. Mais la collaboratrice ne voulait pas que cela brouille les relations de travail. » Le député confirme également en avoir parlé à Denis Baupin à l’époque : « Comme il y a un lien hiérarchique entre salariés et députés, il n’était pas question d’étouffer. Par la suite, il n’y a jamais eu de problèmes avec cette collaboratrice ni avec d’autres. »
François de Rugy, coprésident du groupe EELV à l’Assemblée.
En dehors de la galaxie écologiste, militante ou professionnelle, une ancienne responsable du collectif Jeudi-Noir des « galériens du logement » témoigne quant à elle avoir très mal vécu un épisode qui s’est conclu début 2012. Deux ans plus tôt, elle rencontre Denis Baupin pour la première fois à l’occasion d’une conférence de presse. « J’étais alors en situation de fragilité, raconte-t-elle, sous couvert d’anonymat. Je venais d’arriver à Paris, je n’avais pas d’amis et j’avais des problèmes de logement. » Quand elle croise Denis Baupin, maire adjoint à Paris, en marge de la manifestation, il lui glisse, selon son récit : « Ah vous demandez beaucoup de soutien, faut être très mobilisés à vos côtés. Faut être gentille… » Elle s’échappe aussitôt, mal à l’aise. Quelque temps plus tard, lors d’une soirée organisée au siège d’EELV, elle le croise à nouveau. « Il me dit : “On a plein de choses à faire tous les deux”. Je suis partie tout de suite. »
Puis, début mars 2012, à l’occasion de l’ouverture d’un nouveau squat, rue de Châteaudun à Paris, plusieurs responsables de Jeudi-Noir sont placés en garde à vue. Elle appelle le maire adjoint pour joindre sa compagne, Emmanuelle Cosse, soutien de toujours du collectif, mais dont notre témoin a perdu le numéro. La conversation est tendue, selon cette ancienne militante de Jeudi-Noir. « Cela s’est terminé par : “Moi aussi, je vous ai demandé des choses et vous n’avez rien fait.” »
Sur toutes ces femmes qui ont accepté de témoigner, sur une période allant de 1998 à 2014, aucune ne l’avait dit publiquement jusque-là. Et aucune n’a porté plainte – pour beaucoup d’entre elles, les faits remontent à plus de trois ans et sont donc prescrits. Tout juste en ont-elles parlé autour d’elles, le plus souvent à un petit cercle d’intimes. Dans certains cas, elles disent ne pas en avoir souffert, parlent simplement « d’insistance », et balaient les faits en en rappelant la « banalité » dans la société française, tout particulièrement en politique. Mais la plupart en conservent un souvenir douloureux, quelquefois honteux, avec une double culpabilité, celle de la victime, et celle de n’avoir rien dit.
« Je pense que j’ai été prise dans ce que toutes les femmes disent quand elles sont victimes de violences, c’est que, sur le moment, elles culpabilisent, elles se sentent fragiles, elles se sentent isolées, explique Sandrine Rousseau, actuelle porte-parole d’EELV. C’est exactement tout ce que j’ai ressenti à ce moment-là. Et moi qui suis une militante féministe, qui revendique très haut ces valeurs, je ne suis pas fière de ne pas avoir porté plainte. »
« Quand ça arrive, on ne s’en vante pas, parce qu’on est un peu honteuse, explique de son côté Elen Debost, élue au Mans. On a l’impression que c’est de notre faute parce qu’on a des amants, qu’on a une vie libre… » Quand elle évoque les SMS auprès de camarades écolos, « les femmes disaient plutôt “si jamais tu parles, tu vas t’en prendre plein la gueule, vu ta personnalité, ton histoire, tu seras discréditée”. Donc cela décourage un peu. »
Il y a aussi le risque de perdre son travail. Voire d’être sur la « blacklist » des collaboratrices qui dénoncent du harcèlement sexuel et dont on dit qu’elles ne retrouvent plus jamais de poste en politique. « À l’époque, j’étais vulnérable, raconte Annie Lahmer. J’avais besoin de mon boulot, j’étais maman seule avec mes deux petites filles, ma vie était compliquée… » Alors, sur le coup, elle ne dit rien du tour du bureau et de la menace du lendemain. « Tout de suite, je n’en ai pas parlé. Parce que j’avais besoin de garder mon travail, parce que Denis était à la direction du parti. »
Et puis, dans la petite collectivité verte, se sont nouées des dizaines de relations interpersonnelles, parfois intimes, souvent affectives, où tout le monde se connaît et où les relations amoureuses et sexuelles se savent. Ce contexte rend encore plus difficile toute parole de dénonciation brisant l’entre-soi des camarades, héritiers d’une tradition d’amour libre, où il semble inenvisageable de se livrer à des agissements potentiellement délictueux. Sans compter la volonté de préserver le parti, son image, sa crédibilité.