Le commissaire européen au commerce, Peter Mandelson, n’est pas venu au dîner organisé à l'Elysée, mardi 1er juillet, officiellement pour un problème d'agenda. Avait-il peur de se faire insulter devant témoins, une fois de plus?
En effet, lors du dernier sommet européen de Bruxelles, Nicolas Sarkozy avait comparé l’ancien ministre travailliste de Tony Blair à un affameur d’enfant. « Il y a un enfant toutes les 30 secondes qui meurt parce qu'il a faim et on irait négocier dans le cadre de l'OMC une réduction de la production européenne de 20% ? Il y a une personne qui est de cet avis, c'est M. Mandelson », avait-il déclaré, jeudi 19 juin, lors d'une conférence de presse improvisée.
Le président français a également établi un lien direct entre Peter Mandelson et la victoire du « non » en Irlande. «Le débat irlandais a porté sur l'avortement, l'euthanasie, sur un commissaire européen ou pas, sur la fiscalité, sur l'OMC, sur l'agriculture, je ne peux pas ramener ça à M. Barroso. A un autre, mieux, M. Mandelson, par exemple.»
Interrogé lundi soir sur France 3 à la veille de la présidence française de l'Union européenne, Nicolas Sarkozy a réitéré ces attaques, y incluant cette fois le directeur général de l'OMC. « Je ne les [Peter Mandelson et Pascal Lamy] laisserai pas faire. (…). Dans un monde où il y a 800 millions de pauvres gens qui ne mangent pas à leur faim, où il y a un gosse toutes les trente secondes qui meurt de faim, on ne me fera pas accepter la réduction de la production agricole sur l'autel du libéralisme mondial », a averti le président français.
Un homme pris pour cible
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Des attaques personnalisées qui ne sont pas du goût de la Commission européenne dont le mandat pour négocier avec l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a été approuvé par les 27 Etats membres de l'UE et qui se trouve à un moment charnière, après six ans et demi de laborieuses tractations. « Il ne s'agit pas d'individus, il ne s'agit pas de Peter Mandelson, de Pascal Lamy ou du président Sarkozy. (…) Il s'agit de donner un coup de pouce à l'économie mondiale », a corrigé le porte-parole du commissaire européen. Ses services précisent que les 20% invoqués par le président français se réduisent en fait à 1,1%. Les résultats de leurs calculs ayant été transmis aux pays membres en mars.
Même si le président français a depuis longtemps pris pour habitude de désigner à la vindicte populaire le négociateur européen, comment expliquer une telle animosité envers l’ancien député travailliste ?
Officiellement, Nicolas Sarkozy tient Peter Mandelson pour responsable du rejet irlandais du traité de Lisbonne. Et en particulier du choix des agriculteurs de l’île qui auraient opté, même si la preuve n’en a pas été faite, pour une position de repli protectionniste face à une baisse annoncée des subventions agricoles à l'Irlande. Officieusement, faire rejaillir la faute sur une Europe ultralibérale rejetée par les Européens arrange le président français. En choisissant de se distinguer des membres de la commission Barroso, l‘Elysée cherche à se démarquer de l’impopularité de l’institution européenne afin d’éviter un échec aux élections européennes de juin 2009.
Une lutte en coulisses pour le contrôle de la commission
Mais surtout le « non » irlandais a totalement changé la donne en matière de partage des responsabilités politiques, qui incombait à la présidence française. La création des deux nouveaux postes prévus par le traité de Lisbonne, celui de président du Conseil et celui de haut représentant, une sorte de « ministre » des affaires étrangères de l’Union européenne, a peu de chance de voir le jour dans les six prochains mois. La seule fonction « certaine » de président de la commission européenne reprend toute son importance et devient dès lors très convoitée. D’autant que le mandat de la commission Barroso arrive à échéance à l’été 2009.
De plus, la meilleure défense étant l’attaque, Paris a tout intérêt à faire oublier les déclarations qui ont heurté les sensibilités irlandaises à la veille du référendum.
En avril, Christine Lagarde remettait sur le tapis l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés, l'un des sujets « les plus urgents » en matière de fiscalité européenne. La ministre de l’économie et des finances a ainsi déclaré que l’Elysée comptait « pousser » le dossier sous présidence française. Un réajustement à la hausse mal vu par l’Irlande qui défend farouchement, opposants au « non » inclus, son taux d’imposition sur les sociétés de seulement 12,5% qui explique en grande partie son formidable succès économique.
Les gaffes de Lagarde et Kouchner
Et à quatre jours du référendum le ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner, s’était invité dans le scrutin irlandais en pompier pyromane affirmant « qu'il serait très très troublant... qu'on ne puisse pas s'appuyer sur les Irlandais qui ont tant compté sur l'argent de l'Europe » et même « plus que les autres », lors d’un entretien sur RTL le 9 juin dernier.
Sortant de sa réserve, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a apporté son soutien, mercredi 2 juillet, à son commissaire au commerce face aux critiques répétées de Nicolas Sarkozy. Peter Mandelson « négocie pour les 27 Etats membres et fait un très bon travail pour les 27 Etats membres », a-t-il tenu à préciser par la voix de sa porte-parole.
Si les diplomates européens s’inquiètent de la tournure terriblement personnelle que prennent ces attaques, ils n’en demeurent pas moins optimistes, malgré les gesticulations du président français. « La position commune qui se dégage des négociations de l’UE à l’OMC se décide à l’unanimité des pays membres, donc la France garde toute la latitude nécessaire pour faire avancer ses positions si elle le souhaite », précise-t-on à Bruxelles.
La rencontre des ministres européens chargés du commerce réunis le 18 juillet dans la capitale belge devrait ainsi permettre de travailler étroitement à l’élaboration d’une position commune de l'UE avant les négociations de l'OMC à Genève, la semaine suivante.
Quant au faux bond de son invité, Nicolas Sarkozy ne paraît pas s’en formaliser, convaincu que le commissaire sera contraint de rentrer dans les rangs. En toute hypocrisie. « Inviter un de mes amis anglais à partager un bon repas, vraiment j'aurais été ravi. Allez, c'est partie remise », a-t-il déclaré, mardi soir à la presse, sur le ton de l’ironie.