Seules la France et l’Italie ont choisi de défier la Commission européenne à la suite de l’interdiction de la pêche au thon rouge. Le ministre français de la Pêche, Michel Barnier, en particulier conteste les calculs de Bruxelles. « Je voudrais qu'elle prouve » que les quotas attribués aux pêcheurs ont été atteints, a-t-il déclaré lundi 23 juin, en marge du Conseil européen Pêche et Agriculture, à Luxembourg.
Les deux pays se retrouvent ainsi isolés, entre l’Espagne et le Portugal, qui se sont rangés à la décision de la Commission européenne, et les pays nordiques toujours respectueux des décisions communautaires en matière d'environnement et de protection des espèces.
Le ministre français a voulu profiter de la rencontre des ministres européens, réunis mardi 24 juin à Luxembourg pour demander des comptes à la Commission européenne. Littéralement puisque qu’il s’agit ici d’une guerre des chiffres. Et en vain puisque face à l'absence, mardi, de majorité qualifiée des Vingt-Sept qui aurait permis une réouverture de la pêche, la Commission «ne reviendra pas sur sa décision», a déclaré en marge de la réunion le commissaire européen à la Pêche, Joe Borg. «Nos chiffres montrent clairement que les quotas nationaux ont été épuisés.» Les autorités françaises voulaient saisir cette opportunité pour obtenir le détail des calculs de la Commission qui ont motivé l’interdiction. La France qui, contrairement à l’Italie, ne demande pas la suspension de la décision, dit simplement vouloir des éclaircissements. Façon de se démarquer de Bruxelles et de stigmatiser les travaux de la Commission. « Au moment où l’Union européenne subit un désamour de l’électorat, il est important que la décision européenne soit motivée », précise-t-on au cabinet de Michel Barnier.
La France, porte-parole de 36 industriels de la pêche
Une fermeture de la pêche industrielle, depuis le 16 mars pour les thoniers senneurs français, italiens, grecs, chypriotes et maltais, et depuis le 23 juin pour les Espagnols, qui même si elle intervient tôt dans la saison, ne concerne toutefois pas la pêche artisanale qui reste ouverte jusqu’à l’automne.
Les revendications des 36 thoniers senneurs français, à qui l’on a retiré leur permis spécial de pêche mercredi 18 juin, auront donc trouvé un écho au sein du gouvernement de Nicolas Sarkozy. Selon le gouvernement français, ils n’auraient pas encore capturé 52 % des presque 5.000 tonnes qui leur sont octroyées cette année.
Ce n’est pas l’avis des services de la Commission qui, pour la première fois, plutôt que de s’appuyer sur les données nationales, ont multiplié les sources de données. La surveillance satellitaire a été corroborée par des estimations de la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (Iccat), des constatations recueillies par des experts sur place et les données des Etats membres. Sans compter que ces quelques industriels français sont dans une position privilégiée puisqu’ils sont les heureux bénéficiaires d’un quart des quotas européens. La Commission européenne peut également douter de la bonne foi de ces mauvais élèves qui, en 2007, ont déclaré avoir pêché 10.000 tonnes à la fin de la saison, quand le quota pour la France n’en permettait que la moitié.
L'or rouge en voie d'extinction
D’après les spécialistes, le quota mondial d’environ 30.000 tonnes pêchées par an est supérieur de 23% à celui recommandé pour éviter un déclin des populations de thon rouge. «L’exploitation actuelle du thon rouge présente les mêmes caractéristiques biologiques et économiques qui ont conduit d’autres espèces, comme la morue canadienne, vers l’extinction», a expliqué Jean-Marc Fromentin, de l’Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) aux parlementaires européens.
Ce poisson, dont le kilo se négocie jusqu’à 100 euros, est victime de l’engouement du consommateur pour les sashimis et les sushis, principalement japonais. Jean-Marc Fromentin souligne que la surexploitation, qui a vu la disparition de ce grand voyageur des côtes australiennes, affecterait aujourd’hui la façade atlantique des Etats-Unis, les experts nord-américains mettant nommément en cause la surpêche européenne.