[En accès libre] Si le Rassemblement national accède au pouvoir

Contre l’éolien, pour la voiture : l’écologie populiste et identitaire du RN

Le Rassemblement national ne votera pas, « en l’état », le projet de loi sur les énergies renouvelables qui arrive lundi dans l’hémicycle, accusé de faire la part trop belle aux éoliennes. Si le parti lepéniste parle d’écologie, c’est avec une vision toute personnelle de ce terme.

Christophe Gueugneau

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« Il n’y a pas de fermeture totale du Rassemblement national aux énergies renouvelables mais il faut être lucide face aux solutions miracle qu’on veut nous vendre. » La députée Rassemblement national (RN) du Loiret Mathilde Paris est l’une des corapporteures de la mission « flash » sur l’acceptabilité et les modalités du déploiement des énergies renouvelables.

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© Mediapart

À la veille de l’examen en séance publique, le 5 décembre et pour deux semaines, du projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, Mathilde Paris affirme à Mediapart qu’« en l’état » son groupe ne votera pas le texte.

Un texte qu’elle juge certes « amélioré » lors de son passage par le Sénat en première lecture, ainsi que par les amendements déjà adoptés en commission, mais sur lequel persiste un lourd « point de blocage » : le fait qu’il soit encore « trop centré sur l’éolien et le photovoltaïque », deux énergies renouvelables qui en pénaliseraient d’autres, « mieux acceptées » par la population, « comme la géothermie ou la biomasse ».

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Marine Le Pen, Jordan Bardella et Hervé Juvin lors de la campagne des élections européennes, le 16 mai 2019, à Fessenheim. © Photo Frederick Florin / AFP

La députée du Loiret reproche également au texte de ne pas donner la main aux maires et autres décideurs locaux sur les projets d’implantation, « comme pour les gymnases ». « On veut des projets décidés dans les territoires avec une vraie concertation des habitants, explique-t-elle. Il faut prendre en compte la particularité des territoires. »

Un avis partagé par sa collègue de Gironde, Edwige Diaz. Pour cette autre députée RN, « que les maires puissent s’opposer aux éoliennes sur leur commune, c’est une mesure qui nous tient à cœur ». « Les éoliennes, on considère que ce n’est pas du tout écolo », estime cette dernière, citant en vrac la déforestation, la quantité de béton nécessaire ou encore le fait que les matériaux de construction des pales ne soient pas recyclables. À quoi s’ajoutent « la pollution visuelle engendrée » et le « rejet massif des ruraux ».

On ne va pas se gêner pour rappeler les responsabilités des uns et des autres.

Edwige Diaz, députée RN

L’hostilité du RN à l’égard des éoliennes n’est pas une nouveauté. Dans le livret thématique de sa campagne 2022 consacré à l’écologie, Marine Le Pen ne faisait pas mystère de sa volonté de prononcer un « moratoire sur l’éolien et le solaire ».

Concernant l’éolien, la candidate d’extrême droite annonçait même « le démantèlement progressif des sites, en commençant par ceux qui arrivent en fin de vie », et la suspension de « toutes les subventions dédiées à promouvoir ces procédés »

Dans son programme, cet abandon de l’éolien devait s’accompagner du développement d’autres énergies renouvelables : l’hydroélectricité, la géothermie et la filière hydrogène. Mais, surtout, de la relance du nucléaire : « mise en chantier de réacteurs de 4e génération et microcentrales ». L’état actuel du parc nucléaire français – une vingtaine de réacteurs sont toujours à l’arrêt – risque fort d’être convoqué sur les bancs du Rassemblement national.

« On ne va pas se gêner pour rappeler les responsabilités des uns et des autres qui ont conduit à un parc nucléaire dans cet état, explique Edwige Diaz, et qui fait que oui, aujourd’hui, nous allons devoir gérer une transition le temps que les nouveaux réacteurs soient construits. » La députée de Gironde estime donc que la « première solution est d’accélérer et d’augmenter les budgets » pour ces nouveaux réacteurs. 

Sur ces questions énergétiques, le RN peut compter sur le député de la Somme Jean-Philippe Tanguy. Lors des journées interparlementaires du parti, en septembre, au Cap d’Agde, il avait d’ailleurs présenté un long exposé sur le sujet.

Sur les autres questions écolos, en revanche, le parti lepéniste est depuis peu quasi orphelin. Début novembre, en effet, le RN a dû écarter de ses rangs son principal penseur et pourvoyeur d’idées, Hervé Juvin. Eurodéputé et conseiller régional des Pays de la Loire, Hervé Juvin a été écarté du parti après sa condamnation en appel pour violences conjugales.

« Diversité des espèces humaines »

C’est pourtant lui qui murmurait à l’oreille de Marine Le Pen sur les questions environnementales. Auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, Hervé Juvin a développé le concept de « localisme » – il a d’ailleurs créé, avec Andréa Kotarac, le microparti Les Localistes. Ce concept dresse un parallèle périlleux entre la sauvegarde de la biodiversité et celle de l’identité des groupes humains.

« C’est la diversité [des espèces animales et végétales – ndlr] qui fait la survie. Si on réduit cette diversité, on s’expose au risque de la disparition de l’espèce. Je ne vois pas pourquoi on n’aurait pas la même réflexion au sujet de la diversité des espèces humaines », expliquait-il dans une interview au Figaro Vox en 2014.

En 2021, alors en campagne pour les régionales dans les Pays de la Loire, Hervé Juvin vante, toujours au Figaro, son écologie « humaine », « l’écologie du bon sens et de la raison, l’écologie qui préserve la diversité des cadres de vie, la diversité des modes de vie, qui respecte les traditions, qui respecte le patrimoine et qui en quelque sorte soit une écologie de la joie de vivre ».

« Je redoute beaucoup que l’écologie, victime du hold-up de l’ultra-gauche, ajoute-t-il, devienne une science à la triste figure. Pour moi l’écologie, c’est la joie de vivre, la joie de vivre sur des terres bienveillantes, souriantes, aimables à l’homme. » Lors de cette campagne, Hervé Juvin craint notamment que les clochers des églises de France ne soient remplacés, à terme, par « des éoliennes et des minarets »

Cette écologie à la fois identitaire, nationaliste et optimiste se retrouvait dans le programme de Marine Le Pen. La candidate d’extrême droite proposait ainsi de « tourner la page de l’écologie punitive et de la mauvaise conscience », affirmant que « la France figure dans les cinq pays où l’environnement est le moins dégradé ».

Dans la droite ligne de la défense par Juvin des identités locales, Marine Le Pen promettait par ailleurs que « les Français pourr[aient] continuer à sortir leur famille en voiture, à prendre des bains chauds, à apprécier le feu de bois dans la cheminée et à fêter Noël ! », une allusion à peine voilée aux polémiques relatives au sapin ou au foie gras écartés dans des villes dirigées par des maires écolos.

L’annonce récente par la France de la fin de la vente des voitures thermiques en 2035 n’a d’ailleurs pas emballé le Rassemblement nationale. Louis Alliot, candidat malheureux à la présidence du parti, a récemment estimé qu’il était « totalement utopique pour l’instant, au regard des capacités des voitures électriques sur les longs trajets ». « Il va falloir qu’on mette ce problème des voitures électriques sur le débat », a encore affirmé le maire de Perpignan sur BFMTV, particulièrement inquiet pour « les grandes transhumances d’été ».

Cette vision franco-centrée pourrait avoir des conséquences plus importantes encore. Sur l’Accord de Paris, la candidate Le Pen laissait entendre une petite musique inquiétante : « La France répondra aux engagements de l’Accord de Paris, par les moyens qu’elle aura choisis, au rythme et selon les étapes dont elle aura décidé. Elle appréciera chaque année sa trajectoire de réduction carbone, en fonction des trajectoires des autres pays et de la volonté des Français et de leur qualité de vie. » 

Ne pas toucher à « la qualité de vie » des Français, voilà qui explique sans doute pourquoi le terme « sobriété » n’apparaît jamais dans le programme du Rassemblement national.

Si vous avez des informations sur les extrêmes droites à nous communiquer, vous pouvez nous contacter à l’adresse extremedroite@mediapart.fr.