Soudés comme rarement pour dénoncer les méfaits du Rassemblement national (RN) à l’Assemblée nationale, les députés de tous bords (majorité, droite et gauche) ont réclamé à l’unisson, la semaine dernière, la plus haute sanction contre l’élu d’extrême droite, Grégoire de Fournas, après ses propos xénophobes prononcés lors de l’intervention de l’Insoumis Carlos Martens Bilongo.
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Mais la concorde a fait long feu. Mercredi 9 novembre au matin, le bureau de l’Assemblée, qui devait entériner la répartition des présidences des 154 groupes d’amitié du Palais-Bourbon, en a attribué 24 au RN. Une première en quarante ans d’existence de ces instances, qui a déclenché la colère d’une grande partie de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) où l'on dénonce, une fois encore, le trouble jeu des macronistes – en majorité absolue au bureau – à l’égard de l’extrême droite.
« Yaël Braun-Pivet [la présidente de l’Assemblée – ndlr] a eu beau jeu de sévir au moment de l’affaire de Fournas, la majorité continue d’installer le RN dans le paysage politique et institutionnel pour des raisons électorales, parce qu’il est plus facile de l’avoir comme adversaire que la gauche », fustige ainsi le député socialiste, Philippe Brun, à l’encontre de ce qu’affirme Renaissance. « Des députés d’extrême droite vont désormais représenter la République française à l’étranger, c’est une honte pour le pays de la déclaration des droits de l’homme », estime de son côté l’écologiste Sandra Regol.

Certes, la fonction de ces groupes d’amitié est avant tout symbolique. Selon le règlement intérieur de l’Assemblée nationale, « leur but premier est de tisser des liens entre parlementaires français et étrangers » et d’être « des instruments du rayonnement international de l’Assemblée nationale ». Par ailleurs, il est d'usage que ceux-ci soient répartis en fonction du poids des groupes politiques représentés au sein du Palais Bourbon.
Si le RN a essuyé un tir de barrage unanime quand il a exprimé sa volonté de prendre la tête du groupe d’amitié avec Israël (il brigue aussi la présidence d’un groupe d’étude sur l’antisémitisme), il n'en demeure pas moins que le parti de Marine Le Pen préside désormais des groupes d’amitié avec des pays importants, comme le Brésil, ou d'autres où la droite nationaliste et réactionnaire est aujourd'hui au pouvoir : c’est le cas de l’Inde, de la Pologne, de la Hongrie ou encore de la Suède.
La majorité s’est quant à elle réservé les groupes d’amitié les plus prestigieux et les plus « sensibles » (États-Unis, Allemagne, Algérie, Ukraine, Russie…). Le PCF a obtenu de haute lutte le groupe d’amitié avec Cuba, La France insoumise (LFI) le Mexique, la Colombie ou la Norvège, et le groupe Horizons, du nom du parti d’Édouard Philippe, l’Italie.
Les macronistes en cause
Au mois d’octobre, les discussions préparatoires à l’octroi des groupes d’amitié se sont déroulées dans une ambiance tendue (la seconde rencontre a duré plus de quatre heures). Lors de ces rendez-vous à huis clos, la vice-présidente socialiste de l’Assemblée nationale, Valérie Rabault, a appelé, en vain, à barrer la route au RN afin qu’il n’obtienne aucune présidence de groupes. Une question de principe, a-t-elle plaidé devant une Marine Le Pen furibonde.
« Il est d’usage de répartir les groupes d’amitié entre les groupes, mais cela n’a rien d’obligatoire. En Allemagne, le Bundestag n’a d’ailleurs donné aucune responsabilité aux élus de l’AFD [Alternative für Deutschland, le parti d’extrême droite, entré au Parlement allemand en 2017 dans des proportions à peu près similaires à l’extrême droite française – ndlr] », pointe la députée socialiste.
Une position également défendue par Bastien Lachaud. L’élu LFI, qui a lui aussi participé aux réunions préparatoires, craint que l’installation du RN dans ces instances ne lui permette in fine de gagner en influence sur les questions de diplomatie. Et ce, quand bien même le bureau a réussi à éviter que l’extrême droite ne s’empare de plusieurs groupes d’amitié avec des pays d’Afrique notamment, comme le Sénégal et l’Égypte, sur lesquels lorgnait le parti de Marine Le Pen.
Du côté de la majorité, on ne saisit pas les attaques de la gauche. Plusieurs personnes affirment ainsi que les membres Renaissance du bureau se sont arrangées pour éviter que le RN n’obtienne des pays problématiques.
« Les 89 députés RN sont là, ils ont été élus. Depuis toujours, les groupes d’amitié ont été répartis proportionnellement à la taille des groupes dans l’hémicycle, il n’y a aucune raison que cela ne continue pas », souligne Frédéric Valletoux, député du groupe Horizons, qui siège dans la majorité. « Par ailleurs, avance-t-il, si le RN avait été ostracisé, il y aurait trouvé un prétexte pour se victimiser pendant toute la législature. Là, ils seront obligés de se dévoiler ! »
Autant d’arguments qui avaient déjà été avancés lors de l’attribution des vice-présidences de l’Assemblée. Au mois de juin, Renaissance avait ainsi délibérément permis à l’extrême droite d’obtenir deux vice-présidences dans l’hémicycle du Palais-Bourbon – un événement, là encore, inédit dans l’histoire de la Ve République – afin de s’assurer en retour deux postes de questeur. Une manœuvre qui avait fait hurler dans les rangs de la Nupes, laquelle avait vilipendé la « complicité » de fait entre la majorité et le RN.
Aujourd’hui, le député écologiste Hubert Julien-Laferrière, membre du bureau de l’Assemblée et déçu du macronisme, se veut plus mesuré : « Autant, voter pour accorder au RN deux vice-présidences était inadmissible, autant là, je ne vois pas comment il aurait été possible de ne leur donner aucun groupe d’amitié, admet celui qui devrait prendre la tête du groupe Équateur. Moi non plus, je ne veux pas que le RN obtienne ce genre de poste : ça me fait mal de voir que le RN va présider aux relations parlementaires avec le pays où Lula vient d’être élu et je ferai tout mon possible pour qu’il n’ait pas la présidence du groupe d’étude sur l’antisémitisme. Mais, en l’occurrence, était-il possible de faire autrement ? »
Quoi que loin d'avoir obtenu satisfaction sur la totalité de ses demandes, le RN peut toutefois trouver une nouvelle occasion de se réjouir : non seulement le parti d’extrême droite pourra faire fructifier son influence, mais il accomplit une étape supplémentaire dans son processus de « notabilisation ».