Extrême droite Reportage

« États généraux de l’immigration » : le RN ressasse et radote

À l’occasion de son « colloque » dédié à l’immigration, le parti d’extrême droite a revendiqué de se placer en héritier du RPR des années 1990. Tout en tournant en boucle sur les vieilles obsessions frontistes.

Youmni Kezzouf

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Et à la fin, le Rassemblement national (RN) est d’accord avec lui-même. Le parti d’extrême droite tenait, mardi 26 mars, ses « États généraux de l’immigration » à la Maison de la chimie, dans le VIIe arrondissement de Paris. Au programme de ce raout présenté comme « le début d’une réflexion » : deux tables rondes dédiées à l’immigration donc, l’une sur les constats, l’autre sur les solutions proposées par les cadres du RN – les mêmes qui parlent de « submersion migratoire » à longueur d’interventions médiatiques.

L’organisateur de ces États généraux, le député RN Franck Allisio, a ouvert le rassemblement en le plaçant dans la continuité directe d’un autre événement dédiée à la même thématique : les États généraux de l’opposition dédiés à l’immigration, organisés à Villepinte (Seine-Saint-Denis) par le Rassemblement pour la République (RPR) il y a 34 ans. « Notre raison d’être ici ce soir, a-t-il déclaré en introduction, est de comprendre pourquoi cette famille politique n’a pas voulu, osé ou pu appliquer ses propres résolutions. »

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Jordan Bardella, Malika Sorel-Sutter et Fabrice Leggeri, pendant les "Etats généraux de l'immigration" organisés par le RN à Paris, le 26 mars 2024. © Photo Eliot Blondet / Abaca

Transfuge de l’UMP, Franck Allisio s’est lancé depuis plusieurs mois dans une entreprise de captation de la marque RPR, qu’il a récupérée pour former son propre mouvement. Et ce, avec l’objectif affiché de capter une partie de l’électorat de l’ancien parti gaulliste. Dans la salle de la Maison de la chimie, le logo de ce nouveau RPR – croix de Lorraine sur drapeau français – côtoie donc celui du RN.

« Le RPR auquel nous faisons référence a la fibre sociale et patriote, il rassemblait les gaullistes sociaux et les gaullistes costauds », revendique joyeusement le député, avant de citer l’appel de Cochin de Jacques Chirac et de convoquer « un RPR où il y avait de la gouaille, des accents comme celui de Pasqua, des coups de gueule comme ceux de Séguin » pour mieux s’approprier sa « résurrection ».

Xénophobie et complotisme

Mais si les États généraux de 1990 avaient rassemblé diverses sensibilités de droite et du centre pendant deux jours, les deux heures de discussion organisées mardi soir par le RN ont surtout consisté, pour les intervenant·es, à répéter en vase clos les obsessions du parti de Jordan Bardella.

« Éclairez-nous sur le lien entre insécurité, délinquance et immigration », a ainsi demandé, le plus simplement du monde, Pierre Meurin – le député RN qui animait la première table ronde – à Alexandre Varaut, candidat du parti d’extrême droite pour les élections européennes. « Évidemment qu’un immigré n’est pas délinquant par nature, a d’abord tempéré l’avocat. Mais l’immigration, structurellement, provoque de la délinquance ». S’est ensuivi un développement sur les cités où l’on trouverait « l’immeuble des Maliens, l’immeuble des Algériens », des gens qui « vivent au milieu de notre pays mais en dehors de notre société ».

Un peu plus tôt, Charles Prats, magistrat lancé depuis longtemps dans une croisade contre « la fraude sociale » développait lui aussi sa propre obsession : « Moi, j’estime personnellement qu’environ la moitié de la fraude sociale est liée à l’immigration », a-t-il dit autour de la table.

Voilà pour le constat. Il fut ensuite agrémenté d’une présentation des routes migratoires par l’essayiste octogénaire Jean-Paul Gourevitch et de quelques analyses de Jérôme Sainte-Marie, ancien sondeur devenu responsable de l’école de formation du parti de Jordan Bardella.

Présent sur scène en tant qu’ex-adhérent du RPR historique, l’eurodéputé RN Thierry Mariani s’est contenté de regretter le « manque de courage » de son ancienne famille politique, pour mieux encenser celle qu’il a rejoint en 2019 : « En politique, il faut avoir le courage de l’adversité, le courage d’en prendre plein la gueule dans la presse. Et la seule qui a ce courage, c’est Marine Le Pen. Il ne faut pas plaire, il faut agir et convaincre. »

Avocat du parti, et ancien eurodéputé du Mouvement pour la France (MPF) de Philippe de Villiers, Alexandre Varaut lui emboîté le pas : « Il y a un âge où on a envie de gagner. [au RN] est la vérité, là est le bien, là est la chance de gagner. »

Pour ouvrir le volet des « solutions », le RN a ensuite fait monter sur scène les deux candidat·es qui suivent Jordan Bardella sur la liste pour les élections européennes : l’ancien patron de Frontex Fabrice Leggeri et l’essayiste Malika Sorel, qui a annoncé il y a quelques jours son ralliement. À leurs côtés, le maire de la petite commune de Jouarre (4 000 habitant·es) en Seine-et-Marne a notamment regretté que l’État l’oblige à créer des logements sociaux, « ce qui va évidemment de pair avec l’immigration ».

L’ancien préfet et essayiste Michel Aubouin s’est aussi lancé dans un développement xénophobe sur « ces 500 000 hommes adultes, à 80 % musulmans pratiquants » qui arrivent, selon lui, chaque année sur le territoire. « Et avec une épouse et les trois enfants qui vont suivre, ces 500 000 se transforment en 2,5 millions. »

Malika Sorel s’est quant à elle illustrée par un propos complotiste sur les États-Unis qui « financent des sites internet qui travaillent au réenracinement religieux islamique des enfants issus de l’immigration », avant de dénoncer la « culture de la repentance ». « On ne peut pas se faire respecter si on accuse son pays de crime contre l’humanité, si on est à genoux et qu’on s’autoflagelle », a-t-elle dit, sous un tonnerre d’applaudissements des cadres du parti qui constituaient l’essentiel des personnes présentes.

Questionnée par les journalistes en marge de la réunion, la dernière recrue de la liste RN pour les européennes a confirmé entre les lignes les informations du Canard Enchainé selon lesquelles elle avait, lors du dernier remaniement gouvernemental, fait une offre de service à Emmanuel Macron pour obtenir un poste. « J’assume d’avoir voulu servir la France où je suis », a-t-elle reconnu, confirmant des « échanges de SMS » avec le chef de l’État tout en affirmant qu’« Emmanuel Macron n'est pas absolument sur [sa] ligne ».

Numéro 3 de la liste conduite par Jordan Bardella, Fabrice Leggeri a de nouveau fustigé «  le récit mensonger des ONG immigrationnistes » avant d’assurer : « C’est nous qui sommes les plus humains, car c’est nous qui protégerons la vie de ces pauvres migrants. »

Un propos repris en conclusion de la réunion par le président du parti d’extrême droite, tête de liste pour le scrutin du 9 juin. Pour clore ce « colloque » dont il a salué la qualité des débats, celui-ci a convoqué le slogan de McDonald’s : « À la maxime “venez comme vous êtes”, nous préférons “devenez ce que nous sommes”. »

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