Un dossier vide de preuves. C’est le thème martelé, mercredi 9 et jeudi 10 décembre, par les avocats de la défense en conclusion du procès de l’affaire de corruption dite affaire « Paul Bismuth ». Les défenseurs de Nicolas Sarkozy, Gilbert Azibert et Thierry Herzog, ont exhorté les magistrats de la 32e chambre correctionnelle de Paris à faire preuve de courage et d’indépendance en prononçant une relaxe pour leur client.
« Au pénal, c’est la vie des gens qui est en jeu, et leur honneur. C’est pour cela que la preuve pénale est la plus exigeante », commence Jacqueline Laffont, l’avocate de l’ancien chef de l’État. Or, selon elle, le Parquet national financier (PNF) a échoué à apporter la preuve des faits délictuels pour lesquels il a réclamé des peines de quatre ans de prison dont deux avec sursis, le 8 décembre. « L’accusation a vacillé, voire sombré pendant les débats », assène l’avocate, selon qui les mots des représentants du PNF « furent aussi forts que leurs preuves furent faibles ».
Pour Me Laffont, « ce dossier est parti d’une conviction, d’un postulat », qui consiste à dire que « l’usage d’une ligne cryptée » (il s’agissait en fait de portables prépayés achetés sous une fausse identité – ndlr) dénote obligatoirement « un comportement délictuel ». Comme Nicolas Sarkozy avant elle, son avocate explique que des messageries cryptées comme Signal ou Telegram permettent aujourd’hui une confidentialité au plus grand nombre, sans que cela soit forcément répréhensible, tant s’en faut.
Selon la défenseure de Nicolas Sarkozy, l’enquête ne démontre pas que les lignes Bismuth ont été ouvertes parce que Thierry Herzog et son client avaient appris que leurs lignes officielles étaient écoutées par des policiers dans l’affaire libyenne. Jacqueline Laffont pourfend d’autres « postulats » des juges d’instruction et du PNF. L’accusation, selon elle, ne repose que sur des hypothèses et des constructions intellectuelles.

Pour qu’il y ait corruption et trafic d’influence, il faut qu’un pacte ait été conclu, poursuit l’avocate. « Où est le pacte ? Qui ? Quand ? Où ? » Le dossier ne le dit pas, selon elle. Me Laffont ironise ensuite sur les maigres résultats obtenus par Gilbert Azibert qui, début 2014, se renseignait pour le compte de Thierry Herzog et de Nicolas Sarkozy auprès de ses collègues de la Cour de cassation, et aurait cherché à influencer ces derniers dans l’affaire du pourvoi Bettencourt. En vain.
« La thèse de l’infiltration de la Cour de cassation par Gilbert Azibert s’est effondrée », lâche Me Laffont. L’audition du magistrat Patrick Sassoust, ainsi que les retranscriptions d’écoutes téléphoniques, peuvent pourtant laisser penser le contraire. « Les magistrats discutent entre eux, ils discutent avec des avocats et sont parfois mariés à des avocats, sans être des délinquants », expose l’avocate. C’est cela, la vie du Palais. Ce dossier, ce sont des échanges informels », qui ne violent aucune loi selon elle.
Pour son avocate, Nicolas Sarkozy n’est pas intervenu en faveur de Gilbert Azibert auprès des autorités monégasques pour le remercier de ses services. « La téléphonie effectuée dans l’enquête préliminaire contient des preuves à décharge qui nous ont été cachées pendant six ans ! », s’indigne-t-elle. L’ancien président opine gravement du chef, au rythme de la plaidoirie.
Pour Me Laffont, ce dossier se résume en fait à « 19 extraits de conversations sur 3 700. Malgré des investigations hors norme, on n’a rien trouvé. Ce dossier, ce sont des interceptions de conversations entre un avocat et son client ». Il s’agit donc de preuves illicites, conclut-elle, bien que ces écoutes aient été validées par la Cour de cassation.
Dans un style plus caustique, Dominique Allegrini plaide pour Gilbert Azibert. Un très grand magistrat, qui n’aurait eu pour seul tort que d’être passionné par le droit, commence son avocat. Il raille les poursuites pour « recel d’atteinte au secret professionnel » contre son client, qui s’était procuré auprès de Thierry Herzog un arrêt de la chambre de l’instruction de Bordeaux rendu dans l’affaire Bettencourt, alors que Mediapart en avait publié de larges extraits.
Gilbert Azibert n’a exercé aucune influence sur ses collègues de la Cour de cassation, et il ne s’est procuré aucun document confidentiel sur le pourvoi Bettencourt, déclare son avocat, qui conteste catégoriquement le trafic d’influence et la corruption. Me Allegrini en veut pour preuve supplémentaire le fait que Gilbert Azibert n’a pas entrepris les démarches nécessaires pour obtenir un poste à Monaco, qu’il n’a rien eu, et qu’il n’y avait donc aucune contrepartie à ses activités intéressées dans l’affaire Bettencourt, dont il n’avait pas la charge.
À chaque suspension d’audience ou presque, Nicolas Sarkozy quitte sa chaise et va vers les bancs de la presse pour bavarder avec les journalistes, l’air détendu. Son ami Thierry Herzog, lui, l’est un peu moins. Deux avocats capés se succèdent, ce 10 décembre, pour le défendre en fin de procès, signe que sa position est pour le moins inconfortable.
L’ancien bâtonnier Paul-Albert Iweins revient sur la notion de secret professionnel de l’avocat, qui interdit selon lui à Thierry Herzog de répondre aux questions posées sur les retranscriptions de conversations téléphoniques avec son client et ami Nicolas Sarkozy. Comme ses confrères, Me Iweins critique sévèrement « un dossier plein de fantasmes, mais vide de preuves ».
L’avocat de Thierry Herzog trouve choquant que Nicolas Sarkozy, alors leader de l’opposition après son départ de l’Élysée, ait été écouté par les enquêteurs pendant un total de sept mois, en cela qu’il parle politique ou stratégie de défense dans ses dossiers judiciaires. Il s’insurge que des conversations entre un avocat et son client aient été captées, retranscrites par les policiers, et parfois publiées par Mediapart. Nicolas Sarkozy acquiesce, scandalisé, faisant non de la tête et frappant sa cuisse du plat de la main.
Pour Me Iweins, il n’a jamais été sérieusement question d’offrir une retraite dorée à Monaco à Gilbert Azibert. Thierry Herzog aurait cherché à lui faire plaisir, tout au plus. « Il y a eu deux démarches d’amitié parallèles, mais sans aucun lien de causalité entre elles », conclut l’avocat. Un argument qui avait déjà été utilisé dans l’affaire de la Légion d’honneur accordée à Patrice de Maistre par Éric Woerth en 2007, quand le gérant de fortune de Liliane Bettencourt finançait généreusement l’UMP et la campagne Sarkozy.
C’est le célèbre Hervé Temime qui conclut les plaidoiries de la défense. Brassant tous les points déjà plaidés par ses confrères, il tonne avec véhémence contre « un réquisitoire déconnecté de l’audience », notant que les représentants du PNF n’ont pas prononcé le mot « preuve » ni le mot « pacte ». « Si on n’était pas devant un tribunal, je dirais qu’on est chez les fous ! », lance-t-il.
Au terme de ces trois semaines, le premier procès d’un ancien président de la République pour des faits de corruption laisse une impression équivoque. Entre une présidente très prudente et des parquetiers assez discrets, les magistrats ont souvent semblé marcher sur des œufs. Les écoutes téléphoniques elles-mêmes n’ont pas été diffusées à l’audience, comme cela aurait pourtant pu être prévu et effectué.
La défense a bousculé le PNF, qui n’a eu qu’assez peu de répartie jusqu’au réquisitoire. Accessoirement, l’accusation n’a pas pu compter sur une partie civile crédible et efficace pour l’aider. En face, la douzaine d’avocats sur les bancs de la défense étaient offensifs, et ont bénéficié chaque jour du soutien silencieux mais bien visible de trente à cinquante confrères en robe, massés sur les bancs du public.
Le tribunal devra donc trancher entre la thèse des juges d’instruction et du PNF, pour qui la force probante des retranscriptions d’écoutes se suffit à elle-même, et celle de la défense, qui ne veut y voir que des bavardages intimes et sans conséquences. Les trois juges de la 32e chambre correctionnelle devront s’efforcer de n’avoir pas trop à l’esprit que les prévenus ne sont pas des justiciables ordinaires, mais un ancien chef de l’État, un avocat influent et un ancien haut magistrat.
Le jugement a été mis en délibéré et sera rendu le 1er mars.