Retraites : le coup de force de Macron

Macron relance la bataille des retraites

Devant une assemblée de journalistes, le président a appuyé sur l’accélérateur lundi, afin que la réforme hautement inflammable qu’il appelle de ses vœux entre en vigueur dès l’été. Les syndicats s’opposent unanimement à un recul de l’âge de départ.

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C’est par des confidences distillées auprès d'un public choisi de journalistes qu’Emmanuel Macron a décidé de relancer le débat sur la réforme des retraites. Face à un Parlement dont il ne maîtrise plus la majorité absolue, impuissant à endiguer une inflation qui menace d’envoyer par le fond la croissance française et éclipsé sur le front international par la guerre en Ukraine dont il n’est qu’un figurant, le président a dévoilé ses intentions sur ce qui sera l’un des dossiers majeurs de son deuxième quinquennat lundi 12 septembre, lors d’une rencontre avec une centaine de journalistes de l’Association de la presse présidentielle. 

Ce type de rencontre est théoriquement couvert par la confidentialité du « off », mais de nombreux journaux ont bien sûr relayé la parole – décapante – du chef de l’État. On était restés sans nouvelle de la réforme lancée pendant la campagne présidentielle, hormis la réaffirmation lors du discours du 14 Juillet qu’elle se ferait comme annoncé. Emmanuel Macron promet désormais de la mener le plus rapidement possible.

Juste avant l’élection présidentielle, Emmanuel Macron avait juré « de lancer une concertation de manière apaisée » s’il était réélu, et le calendrier était déjà prêt : il était prévu de s’appuyer sur la publication du rapport annuel du Conseil d’orientation des retraites (COR), le 15 septembre, pour lancer les premiers échanges avec les syndicats et le patronat les jours suivants.

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Emmanuel Macron lors d'une visite dans un Ehpad, à Paris, le 6 mars 2020. © Photo Ludovic Marin / AFP

Le président, sans doute attaché à réaffirmer sa posture de « réformateur », a choisi d’appuyer sérieusement sur le champignon. Disant vouloir préparer les esprits à un « moment douloureux », à propos d’une réforme qui « ne fait plaisir à personne », il a réaffirmé son objectif que la réforme des retraites soit adoptée très rapidement, pour entrer en vigueur dès l’été prochain.

Et pour ce faire, il n’est peut-être pas besoin, à ses yeux, d’un long – et fatalement houleux – débat parlementaire. Il n’exclut pas d’intégrer la réforme dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), voté cet automne. Un délai pour le moins serré pour une modification de règles qui concernent massivement les Français·es.

Devant les journalistes, le président n’a pas même exclu d’utiliser l’article 49-3 de la Constitution, qui permet au gouvernement de faire adopter un texte au Parlement sans vote, en mettant sa censure en jeu, et dont il est déjà fortement question pour l’adoption du budget général.

Ce serait une manière expéditive de gagner une fois pour toutes la partie sur une réforme redoutablement délicate à mener à bien, comme il l’a expérimenté pendant son premier mandat. Après le plus long mouvement social de l’histoire en France, fin 2019 et début 2020, Emmanuel Macron avait finalement dû abandonner son projet de régime « universel », rattrapé par la pandémie de Covid-19.

Avant de déclarer forfait, l’exécutif s’était résigné à faire voter son texte de loi en laissant ouvertes un nombre vertigineux de questions, qu’il n’était pas parvenu à résoudre en de longs mois de discussions. Désormais, le cap est bien plus simple : faire reculer l’âge légal de départ à la retraite – avant lequel nul n’a le droit de toucher sa pension – pour le faire sans doute passer à terme de 62 à 65 ans, en augmentant au passage ou non, cela reste à déterminer, la durée de cotisation nécessaire pour toucher une retraite à taux plein.

La majorité divisée, les syndicats vent debout 

Les propos du président ont déclenché des remous dans une partie de la majorité présidentielle, où la plupart des élu·es n’étaient pas au courant de ses intentions. Certains estiment que la méthode choisie n’est pas la bonne, car elle risque de polluer pour longtemps les autres dossiers.

Ce coup d’accélérateur avait en tout cas été anticipé de quelques jours par les syndicats. « Il n’y a pas de débat serein en passant en force par le PLFSS, avait prévenu le dirigeant de la CFDT Laurent Berger sur France 2, lundi matin. Si le gouvernement prend une mesure d’âge de façon abrupte, brutale, […] il y aura une conflictualité très, très forte. »

Le 8 septembre, lors de l’installation du Conseil national de la refondation (CNR), le responsable syndical avait déjà déclaré publiquement qu’il s’opposait à ce principe, prévenant que « la CFDT se mobiliser[ait] pour le faire reculer ». Invités quatre jours plus tard à la présentation de la « feuille de route » des ministères du travail et de l’enseignement supérieur, les syndicats, unanimes, déjà sonnés par l’annonce d’une nouvelle réforme de l’assurance-chômage, avaient aussi dit tout le mal qu’ils pensaient d’une réforme menée sur les chapeaux de roues et cherchant uniquement des économies.

« On arrive beaucoup mieux à mobiliser sur les retraites que sur l’assurance-chômage », a prévenu Michel Beaugas, de Force ouvrière, agitant la menace d’une nouvelle vague de manifestations. Fait rare, la CFDT elle-même ne s’interdit pas de défiler. « S’il faut s’opposer, on s’opposera », déclare Yvan Ricordeau, secrétaire national du syndicat.

Un avertissement sérieux pour le gouvernement. « Nous sommes dans le cadre d’un rapport de force face à l’opinion publique, résume Yvan Ricordeau. S’il y a passage en force de la part du président et de son gouvernement, le message sera complètement contradictoire avec celui du CNR, où on vient de nous proposer de discuter assez largement et dans la concertation de nombreux enjeux sociaux et sociétaux. »

Les syndicats s’inquiètent particulièrement du véhicule législatif qui pourrait être choisi : si la réforme passe par le PLFSS, le cadre ne permettra pas de proposer beaucoup de mesures de compensation au recul de l’âge de départ, comme la prise en compte de la pénibilité des carrières.

« Si on pense qu’il faut l’unanimité pour bouger, on ne fait jamais rien », a évacué Emmanuel Macron devant les journalistes. Reste que la date de ces annonces est particulièrement mal choisie concernant la CFDT : le syndicat au grand complet a prévu depuis des semaines de rendre hommage ce mardi soir à Frédéric Sève, secrétaire national très apprécié en interne et brutalement décédé cet été, qui était justement chargé du dossier des retraites.

Le rapport du COR, objet d’une bataille de communication 

Pour justifier de ses intentions, l’exécutif a déjà commencé à utiliser le rapport du COR, dont une version quasi définitive circule avant sa publication officielle jeudi, et dont Mediapart a obtenu une copie. Ce rapport est ordinairement publié en juin, mais cette livraison a été ajournée en raison du retard de la publication par le ministère de l’économie du programme de stabilité, où le gouvernement communique chaque année la trajectoire des finances publiques à la Commission européenne.

Le texte, scruté de très près par tout le spectre politico-syndical, prévoit qu’après un excédent en 2021 et 2022 (de 900 millions puis de 3,2 milliards d’euros), le système des retraites se retrouvera dans une situation déficitaire pendant au moins une dizaine d’années. Au mieux, le système reviendrait à l’équilibre au milieu des années 2030, mais en retenant les hypothèses classiques, le déficit serait résorbé seulement « au milieu des années 2050 » – et seulement si la productivité de l’économie française s’accroît de 1,6 % par an, ce qui est une prévision plutôt optimiste.

Il n’en faut pas plus pour que le ministre du travail Olivier Dussopt (qui sera à la manœuvre sur le dossier) martèle que « le système de retraite français n’est pas équilibré financièrement », et qu’il « est même structurellement en déficit ». Conclusion logique : « Il faudra travailler plus à l’échelle d’une vie car il nous faut créer plus de richesses pour ne pas augmenter les impôts ni vivre à crédit sur le dos de nos enfants. » Le son de cloche était le même à Bercy mardi, lors de la présentation aux journalistes des premiers choix budgétaires pour 2023.

Les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite.

Extrait du rapport 2022 du COR

Pourtant, le rapport du COR ne prévoit nullement, dans aucune hypothèse, que les dépenses de retraite explosent à l’échelle de la richesse française. Ses auteurs l’écrivent même noir sur blanc dans leur synthèse : « Les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite. »

Dans la plupart des hypothèses détaillées dans le rapport, la part des dépenses de retraite par rapport au produit intérieur brut (PIB) restera en effet stable dans les prochaines décennies : elle passerait de 13,8 % du PIB aujourd’hui à une fourchette comprise entre 12,1 % et 14,7 % en 2070. « Une dynamique des dépenses de retraite globalement toujours contenue par rapport à l’évolution de la richesse nationale », bien qu’« en augmentation par rapport aux dernières projections », résume l’organisme indépendant.

Les raisons de cette relative stabilisation sont simples, comme nous le détaillions pendant la campagne présidentielle. Il faut les chercher dans les réformes déjà votées et entrant peu à peu en vigueur. Jusqu’en 1993, il fallait 37,5 années de cotisations pour pouvoir partir « à taux plein ».

Le niveau de vie des retraités va reculer

Le système actuel (acté par la réforme portée en 2014 par Marisol Touraine, ministre de François Hollande) prévoit, sans toucher à l’âge légal, d’augmenter d’année en année le nombre de trimestres cotisés nécessaires pour obtenir une retraite à taux plein. En 2035, il faudra avoir cotisé 43 ans pour avoir droit au taux plein.

Quant à l’âge à partir duquel une retraite à taux plein peut être accordée aux Français·es n’ayant pas cotisé le nombre d’annuités demandées, il a reculé de 65 à 67 ans – et la retraite peut tout de même rester amputée d’une partie de son montant total, au prorata des années non travaillées. Enfin, les retraites complémentaires sont entrées dans la danse début 2019 : elles appliquent désormais un système de bonus-malus temporaire, pour inciter celles et ceux qui sont nés à partir de 1957 à ne pas partir avant 67 ans.

Point généralement absent du débat public, ces multiples réformes auront pour conséquence directe le recul du niveau de vie des retraité·es. Alors que leur niveau de vie est aujourd’hui égal à celui des actives et actifs, le COR prévoit qu’il devrait reculer de 10 % d’ici à 2045, et de 20 % d’ici à 2070.

« Il ne revient pas au COR de se positionner sur le choix du dimensionnement du système de retraite. Selon les préférences politiques, il est parfaitement légitime de défendre que ces niveaux sont trop ou pas assez élevés, et qu’il faut ou non mettre en œuvre une réforme du système de retraite », signale explicitement le rapport.

Mais c’est un vœu pieux, tant la tentation est forte pour les deux camps de tirer ses conclusions vers soi. Et le COR le reconnaît lui-même : le rythme actuel d’évolution des dépenses de retraites « ne semble pas compatible » avec les objectifs du gouvernement inscrits dans le programme de stabilité.

Là où l’exécutif vient de promettre à Bruxelles de limiter la croissance des dépenses publiques « à 0,6 % en volume entre 2022 et 2027 », les dépenses de retraite, « qui représentent le quart de ces dépenses publiques, progresseraient sur la période de 1,8 % ». De quoi motiver Emmanuel Macron et ses troupes à imposer leur ligne, quelles que soient les oppositions soulevées en route, et quoi qu’il en coûte.

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