Pas un seul mot depuis quatre jours. Après le communiqué lapidaire de vendredi 14 janvier expliquant que la France «prenait acte de la transition constitutionnelle»; après le soutien tardif apporté au peuple tunisien, samedi (après la chute de l'ex-président Ben Ali, donc), dans un second communiqué, Nicolas Sarkozy est resté totalement silencieux sur la situation en Tunisie. La semaine dernière, alors que le PS dénonçait le «silence coupable» de Paris, le chef de l'Etat avait d'ailleurs laissé au porte-parole du gouvernement, François Baroin, le soin de défendre la «position équilibrée» de la France.
Ce silence s'explique notamment par la contradiction intenable dans laquelle s'est enfermé le président de la République. D'un côté, le Nicolas Sarkozy qui soutient le régime de Ben Ali depuis le début. Lors d'une visite à Tunis, le 28 avril 2008, il saluait «un régime engagé dans la promotion des droits universels et des libertés fondamentales». «Aujourd'hui, l'espace des libertés progresse. Ce sont des signaux encourageants que je veux saluer et qui font écho à ce que disait déjà feu le président Bourguiba lorsqu'il confiait : “Je suis réaliste. Être réaliste, c'est préférer une réforme modeste, qui en permet une autre, à un miracle impossible”», disait-il (lire l'intégralité du discours ici). De l'autre, le Nicolas Sarkozy de 2011, qui rappelle le «soutien (de la France) à la démocratie et à la liberté» et «apporte un soutien déterminé» au peuple tunisien.
Ce retournement de veste a trouvé une illustration très concrète, vendredi: un avion cargo chargé de sept tonnes de matériel de maintien de l'ordre à destination de la Tunisie a été bloqué par les douanes françaises, avant son décollage de Roissy. Une commande du gouvernement de Ben Ali auprès d'un groupe français, spécialisé dans l'exportation d'uniformes et d'équipement de police. A l'intérieur, des tenues, des protections et des grenades lacrymogènes, soufflantes ou éclairantes – mais pas de matériels militaires. Selon le journaliste Jean-Dominique Merchet, spécialiste des questions de défense, «le patron du groupe a reçu un appel d'une haute autorité de l'Elysée, lui signifiant que cette livraison était hors de question». Quelques heures plus tard, le président Ben Ali quittait la Tunisie, et la France refusait de l'accueillir.
L'attitude de l'exécutif a provoqué une farandole de critiques de l'opposition, d'intellectuels, mais aussi d'une partie des diplomates français. «L'absence de Paris des ministres concernés, alors que le feu gronde en Tunisie depuis plusieurs jours, en dit long sur la défaillance du renseignement et de la qualité des prévisions du Quai» s'est emporté l'un d'eux dans le JDD, persuadé que Paris, «comme Mitterrand était passé à côté de la chute de l'empire soviétique», est passé à côté de la première révolution populaire dans un pays arabe.
Lundi, certains membres du gouvernement ont dû amorcer un début de mea culpa. «Sans doute avons-nous sous-estimé le degré d'exaspération de l'opinion publique face à un régime policier et dictatorial», a déclaré Alain Juppé sur RTL. L'exaspération des populations tunisiennes contre Ben Ali a «sans doute» été sous-estimée par Paris, a reconnu Michèle Alliot-Marie au journal de France-2.