Retraites : le coup de force de Macron

Retraites : dans des cortèges moins fournis, l’envie d’en découdre

Pour la troisième journée de manifestations contre la réforme des retraites, mardi 7 février, des rassemblements ont encore éclos sur tout le territoire, y compris dans des villes peu habituées aux défilés. La police a compté un peu plus de 750 000 manifestants, moins que les deux premières mobilisations. Les discussions sur la suite se font pressantes.

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La vague de contestation contre la réforme des retraites a cessé de grossir, mais elle déferle toujours ce 7 février. Pour la troisième journée de mobilisation appelée par les huit syndicats de salarié·es unanimes, après les 19 et 31 janvier, de larges manifestations ont eu lieu dans tout le pays, et dans de très nombreuses communes, bien au-delà des lieux traditionnels de manifestation (lire ici nos récits au cœur de cortèges partout dans le pays).

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© Mediapart

Le ministère de l’Intérieur a annoncé avoir compté 757 000 manifestant·es : 700 000 personnes hors de Paris, et 57 000 dans la capitale. La CGT, elle, a revendiqué « près de 2 millions » de manifestant·es, dont 400 000 à Paris, autant que le 19 janvier – contre 2,8 millions le 31 janvier.

Comme anticipé, on est loin du record du 31 janvier (1,27 million de personnes dans les rues de France selon la police, un record depuis la fin des années 1980, et 87 000 à Paris). Mais les chiffres restent très hauts, pour une troisième manifestation sur le même thème en moins de trois semaines. D’autant que les syndicats ont aussi donné rendez-vous dans la rue samedi 11 février, faisant le pari que les cortèges grossiront avec les familles, et les salarié·es qui ne peuvent ou ne souhaitent pas poser de jour de grève pour aller manifester.

Pour Guillaume, professeur d’EPS et militant de la FSU croisé à Amiens, il s’agit d’une course d’endurance. « Ce n’est pas de la résignation, c’est de la conscience professionnelle », glisse-t-il en constatant que la fréquentation était moindre. Mais il appelle à scruter « la diversité des profils » présents dans les rues.

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Dans la manifestation parisienne contre la réforme des retraites, le 7 février 2023. © Photo Laurent Hazgui pour Mediapart

Tout comme Agathe, Parisienne défilant « pour la première fois en tant que libraire » : « Notre profession, ce sont principalement des petites entreprises de quatre, cinq, dix salariés. Nous sommes en dessous des seuils de représentations syndicales. » Mais ses collègues et elle mettent un point d’honneur à venir défiler, à trois ou quatre sur les sept employé·es de la boutique, à tour de rôle, patronne comprise. La libraire résume le sentiment général face à la réforme, et sur les mauvaises conditions générales de travail qu’elle fait mine d’oublier : « Derrière la joie qu’on éprouve à manifester toutes et tous ensemble aujourd’hui, il y a tout de même beaucoup de colère… »

La querelle d’interprétation sur ces données ne devrait néanmoins pas manquer de se déployer rapidement, entre un gouvernement et sa majorité parlementaire qui seront enclins à pointer un « essoufflement » du mouvement, et leurs opposants qui se prévaudront de la robustesse du mouvement et de son ancrage territorial.

Lieux de rassemblement toujours nombreux 

Pour s’alimenter, les deux récits pourront piocher des arguments dans les faits du jour. Le taux de grévistes est en baisse dans tous les secteurs (transports, énergie, éducation, fonction publique), mais le mouvement est loin de montrer des signes d’épuisement.

Chez EDF, plus d’un tiers de grévistes ont entraîné des baisses de production importantes dans les centrales électriques, atteignant en tout l’équivalent de six réacteurs nucléaires. Et la SNCF n’a réussi à faire rouler que deux TGV sur trois, un Intercité sur deux et un TER sur deux. La circulation des trains restera par ailleurs perturbée mercredi, puisque la CGT et SUD ont appelé à une grève de deux jours.

Dans les grandes métropoles régionales, la participation aux manifestations reste importante. Il y avait quelque 25 000 personnes à Toulouse selon la police (la CGT en a dénombré 80 000) , 11 300 à Grenoble (27 000 selon la CGT). À Lyon, la préfecture a annoncé 10 700 manifestant·es, alors que le quotidien Le Progrès en a dénombré entre 14 000 et 19 000 – la préfecture les avait estimé·es à 25 000 le 31 janvier.

Particulièrement scrutées depuis le début du mouvement, les villes moyennes ont aussi enregistré une baisse de participation dans les manifestations. À Pontivy (Morbihan) ils étaient 3 000 ce matin, contre 5 000 la semaine dernière. On en comptait 5 000 à Angoulême selon les autorités, contre 8 500 le 31 janvier et 9 000 le 19 janvier. À Rouen, les manifestant·es étaient 8 700 selon la préfecture, contre 13 800 le 31 janvier et 13 000 le 19.

Mais là aussi, l’essoufflement est à relativiser. Le nombre d’appels à manifestation dans les différents départements atteint toujours un niveau rarement vu. Dans la Sarthe, outre la manifestation au Mans, traditionnel lieu de défilé, pas moins de quatre manifestations supplémentaires étaient organisées. En Normandie, quatre autres défilés étaient prévus, en plus de ceux de Rouen et du Havre. Des situations qui se sont répétées à l’identique en Bretagne, dans les Alpes, en Dordogne, dans l’Est…

Surtout, le mouvement s’enracine dans des villes peu connues pour leur tradition contestataire et qui sont souvent des fiefs de la droite. À Albertville (Savoie), ancien fief du chiraquien Michel Barnier, quelque 3 000 personnes ont défilé. À Pau, ville dont François Bayrou est le maire, quelque 7 500 personnes selon la police ont défilé. Les élus de ces villes pourront-ils rester longtemps insensibles aux protestations de leurs électeurs ? Le pari des syndicats, CFDT en tête, est que la pression sera trop forte.

Des manifestants loin des débats parlementaires 

Dans les cortèges, ils étaient bien peu à évoquer les débats qui ont démarré la veille à l’Assemblée nationale. Malgré des premières heures de discussion très agitées, l’inflexibilité du pouvoir, et les cartes institutionnelles qu’il pourrait jouer pour faire passer le texte même sans majorité, ne permet pas de penser que le Parlement pourra jouer un rôle de contre-pouvoir.

Ce mardi en fin d’après-midi, « l’article liminaire », qui introduit le texte de la réforme, a été voté dans l’hémicycle, à une courte majorité. 247 député·es ont voté en faveur d’un appel à supprimer cet article, et seulement 257 ont voté contre. Puis, le propos a été adopté par l’Assemblée nationale avec 246 votes pour et 229 votes contre.

C’est lors des questions au gouvernement que la position de l’exécutif, en la personne du ministre du travail Olivier Dussopt, s’est révélée la plus fragile. Iñaki Echaniz, député PS des Pyrénées-Atlantiques, lui a posé une question sur les retraites. Elle reprenait, quasiment mot pour mot, la question posée en 2010 par un jeune député socialiste nommé… Olivier Dussopt, alors farouchement opposé à un décalage de l’âge légal. Il dénonçait à l’époque une réforme « doublement injuste ». Olivier Dussopt a répondu comme si de rien n’était, avant que l’élu des Pyrénées-Atlantiques reprenne la parole pour révéler le pot aux roses.

Mais dans les défilés, cet effet de manche n’a pas été remarqué ni commenté. Les discussions tournaient bien plus autour des questions stratégiques. Celles et ceux qui défilent sont nombreux à avoir en tête le dilemme des syndicats, qui cherchent à préserver à la fois leur unité et le soutien populaire, et hésitent à se lancer dans des actions plus dures, qui risqueraient de faire s’éloigner la CFDT, et de braquer une partie des Français·es. Mais comment faire bouger un gouvernement qui reste inflexible sur l’essentiel ?

« Il faut mettre le bordel. Il n’y a plus que cela à faire », s’indignaient dans la matinée deux manifestantes niçoises de 69 et 74 ans. À Lyon, Fred, 47 ans, salarié dans un laboratoire du secteur hospitalier et militant de la CFDT pense comme elles. « C’est presque trop structuré pour que ce soit révolutionnaire. Là on s’amuse, on est gentils et c’est cool, mais ça ne suffit pas, estime-t-il. Il faut reprendre la pression des samedis comme pendant les gilets jaunes, le 11 ce sera un vrai test. Mais c’est la seule voie, parce qu’après trois jours de grève les gens tirent la langue. »

Le militant à la chasuble orange rejoint les déclarations des dirigeants CGT considérés comme des « durs ». « Si on en reste à des journées comme celles-là, on en fait encore trois ou quatre, le gouvernement passe son projet », s’énervait ce matin sur France Info Laurent Brun, secrétaire de la CGT Cheminots, tandis que Virginie Gonzales, dirigeante du secteur Mines Énergie appelait à passer « à la vitesse supérieure ».

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À Paris, le 7 février. © Photo Laurent Hazgui pour Mediapart

Dans l’intersyndicale, on est conscient de l’impasse qui pourrait se profiler, et les échanges se font plus serrés pour organiser au moins une journée de grève dure, peut-être le 8 mars, après les longues vacances de février, qui s’étalent sur quatre semaines. À ce moment, le texte sera en discussion au Sénat.

Mais pour l’heure, les dirigeants syndicaux, réunis en fin d’après-midi à la Bourse du travail à Paris, n’ont rien tranché. Ils se sont bornés à appeler au retrait du texte et à souligner que le gouvernement « portera la responsabilité des suites de ce mouvement social inédit par son ampleur et désormais ancré dans le paysage social ». Alors qu’ils devaient tenir une conférence de presse, celle-ci a été reportée à la fin de la manifestation de samedi prochain.

Premières failles dans le mouvement ? Jusque-là entièrement alignée sur les positions de l’intersyndicale, la CGT a cette fois également publié un communiqué de son côté. Si le gouvernement s’entête, prévient-elle, « il faudra passer à la vitesse supérieure avec des actions plus marquées, plus longues, des grèves plus dures, plus nombreuses, plus massives et reconductibles ». L’avertissement vaut sans doute pour le gouvernement comme pour les syndicats les plus sages.

#FREEMORTAZA

Depuis le 7 janvier 2023 notre confrère et ami Mortaza Behboudi est emprisonné en Afghanistan, dans les prisons talibanes.

Nous ne l’oublions pas et réclamons sa libération.

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