Retraites : à l’Assemblée, la majorité accusée de « traficoter » le droit parlementaire au profit du RN

Alors que la Nupes avait obtenu de défendre, lundi prochain, une motion visant à imposer un référendum sur les retraites, c’est l’extrême droite qui a été désignée, ce mardi, pour le faire. La gauche reproche à la majorité de tordre le règlement de l’Assemblée nationale et de se livrer à des calculs politiciens.

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Tandis que les débats se poursuivaient mardi matin sur la réforme des retraites en commission des affaires sociales, la « conférence des présidents » (qui réunit les patrons des groupes politiques, des commissions, etc), a pris au même moment une décision inédite, qui a déclenché la colère de la gauche, remontée contre un nouveau « scandale ».

La pomme de discorde n’est autre que la « motion référendaire » qui doit être examinée lundi 6 février, à l’ouverture des débats dans l’hémicycle sur le projet du gouvernement – un outil classique de guérilla parlementaire visant à réclamer qu’un texte soit soumis plutôt à un référendum. Alors que la conférence des présidents, animée par la patronne de l’Assemblée nationale, avait validé une motion déposée par la Nupes dès le 23 janvier, elle a subitement fait marche arrière.

C’est qu’entre-temps, le Rassemblement national (RN) a fait part de sa volonté de porter une motion référendaire lui aussi. Or, selon l’article 122 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, une seule peut être défendue en séance. Pour départager la Nupes et l’extrême droite, la conférence des présidents a décidé, en l’absence de jurisprudence identifiée, d’organiser un tirage au sort, dont le RN est sorti gagnant.

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Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale, en novembre 2022. © Photo : Xose Bouzas / Hans Lucas via AFP

L’enjeu est de taille. Si une motion référendaire était adoptée dans l’hémicycle, l’examen du projet de loi serait stoppé illico. Or, c’est une évidence : une motion portée par l’extrême droite a très peu de chance de rassembler une majorité de voix.

Le PS et les Verts l’ont confirmé dès mardi, indiquant qu’a priori, il n’était pas question pour leurs député·es de voter quoi que ce soit émanant du groupe de Marine Le Pen.

Si la Nupes était aux manettes, en revanche, le texte pourrait être soutenu plus largement. La semaine dernière, les député·es RN indiquaient en effet à Mediapart qu'ils et elles voteraient la motion de la gauche.

Hasard ou manœuvre ?

À Renaissance, où l’on suppute que si la Nupes avait été désignée, aucune polémique n’aurait éclaté, on renvoie à un malheureux hasard : « Si on ne peut plus faire confiance à un tirage au sort, on ne va pas s’en sortir… », glisse un membre du groupe.

À gauche en revanche, pas de doute : l'affaire résulterait, une fois encore, d'un mauvais tour de la « Macronie » – qui avait déjà offert deux vice-présidences au RN au mois de juin dernier.

Lors de la réunion de la conférence des présidents, ce mardi matin, plusieurs étrangetés ont gêné l’opposition de gauche. En l’absence de jurisprudence relative au dépôt concomitant d’une motion référendaire, et du fait d’un règlement intérieur ambigu, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet (Renaissance), se serait creusé les méninges.

« Il y avait un vide réglementaire, et la présidente a expliqué qu’il y avait un parallélisme des formes avec la “motion de rejet préalable” [autre outil à disposition des parlementaires pour lequel le tirage au sort est prévu –ndlr], du coup nous avons opté pour cette solution », raconte Bertrand Pancher, président du groupe Libertés Indépendants outre-mer et Territoires (LIOT) qui rassemble des député·es centristes, et qui fera le choix « personnel » de voter la motion référendaire d’où qu’elle vienne.

« La manière dont cela s’est passé a montré qu’il s’agissait d’un choix éminemment politique de la part de la majorité », accuse au contraire la présidente du groupe des Verts, Cyrielle Chatelain. « Le RN a objectivement fait alliance avec la majorité », abonde la députée socialiste Christine Pires Beaune.

Si une motion de rejet préalable est tirée au sort en cas de doublon, la motion référendaire est un outil jugé plus « politique ». « La motion référendaire, si on peut la comparer à une autre motion, c’est à la motion de censure, observe ainsi le communiste André Chassaigne. Or la règle en matière de motion de censure, c'est que celle qui passe dans l’hémicycle est celle qui a été déposée en premier. » Lui parle donc de « traficotage du règlement de l’Assemblée nationale à des fins politiques ».

Puisque le diable se cache dans les détails, un autre problème est en outre apparu lors du tirage au sort. Alors que, dans le cas des motions de rejet, le tirage au sort est pondéré en fonction du nombre de député·es siégeant dans les groupes, cette pondération n’a pas eu lieu mardi. Conséquence : le RN, avec moins de députés que la Nupes, avait autant de chance d’être tiré au sort. Une preuve de plus, aux yeux Cyrielle Chatelain, qu’« à chaque étape, l’option qui privilégie le RN a été choisie »

C'est en tout cas en avançant cette « faille » dans la procédure que la Nupes a demandé « solennellement » l’annulation du tirage au sort, ainsi que l’indique un courrier adressé dès mardi soir à Yaël Braun-Pivet et signé par les patrons des quatre groupes membres de la coalition (La France insoumise, les Verts, les communistes et le Parti socialiste).

Selon l’AFP, Yaël Braun-Pivet leur a, quelques heures plus tard, opposé une fin de non-recevoir, jugeant qu’« en l’absence de dispositions règlementaires précises et de précédents, la conférence des présidents était la seule instance en mesure de fixer les règles applicables ».

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