À quelques jours du second tour, il n’est pas question pour Marine Le Pen de casser l’image « LGBT-friendly » savamment forgée depuis plusieurs années. Comme sur de nombreux sujets, la candidate d’extrême droite tient à ce qu’on oublie l’homophobie historique du Front national (FN) incarnée notamment par les nombreuses sorties de Jean-Marie Le Pen.
Alors que le programme du FN dénonçait des législations « anti-homophobes » en 2002, visait à interdire le mariage ou l’adoption pour les couples de même sexe en 2012, Marine Le Pen, à la tête du parti relooké en Rassemblement national (RN) et qui compte de plus en plus d'élus gays, déclare aujourd’hui vouloir lutter contre l’homophobie.
Mieux, alors qu’elle soutenait les maires refusant de célébrer les mariages de couples de même sexe et qu’elle jurait vouloir abolir cette loi en 2016 – qu’elle comparait alors à l’avortement –, elle promet maintenant de ne plus rien toucher. Interrogée vendredi par une femme lesbienne et mariée, la candidate a tenu à la rasséréner, assurant de ne pas vouloir revenir sur le mariage pour tous. « Je ne retirerai aucun droit aux Français », a-t-elle insisté.
Je ne retirerai aucun droit aux Français. Le mariage pour tous est et restera un acquis si je suis élue Présidente de la République. pic.twitter.com/aJ44czowq3
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) April 15, 2022
Elle n’en créera pas non plus puisque si elle est élue, Marine Le Pen dit vouloir suspendre toute réforme sociétale pendant au moins trois ans. Aucune amélioration ou extension de la PMA (procréation médicalement assistée) n’est à prévoir par exemple, ni même la sécurisation des droits des personnes intersexes. Elle annonce également vouloir faire voter l’interdiction « renforcée » de la gestation pour autrui (GPA) et compte même refuser « de reconnaître la filiation des enfants nés à l’étranger par la GPA » – ce qui constituerait un recul.
Si Marine Le Pen n’exprime plus la haine comme son père – qui considérait l’homosexualité comme une « anomalie biologique et sociale » – certaines de ses sorties, certains de ses soutiens, et les positions prises par les élus de son parti montrent en quoi le RN reste clairement hostile aux droits des LGBTI+.
Soutien aux régimes les plus homophobes d’Europe
Comme Éric Zemmour, Marine Le Pen a déjà usé d’une expression jugée homophobe par nombre d’associations de défense des LGBTI+. Pour s’opposer au mariage pour tous par exemple, elle n’hésite pas à parler de « lobby LGBT ». « Un président de la République qui obéit aux ordres du micro-lobby “lesbienne-gay-bi-trans”. On a touché le fond… », fustige-t-elle en 2012 à propos du mariage pour tous voulu par François Hollande. Cette expression, que l’on retrouve à droite et à l’extrême droite, vise à faire oublier que les LGBTI+ revendiquent simplement l’égalité et ne vient que renforcer une homophobie encore puissante en France.
Mariage homosexuel : la lobbycratie ne doit pas remplacer la #démocratie ! http://t.co/cO65a3Pm
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) November 22, 2012
Toujours comme Éric Zemmour, la candidate d’extrême droite défend les régimes les plus homophobes d’Europe. Alors que le président hongrois Viktor Orbán ne cesse de s’attaquer aux droits des LGBTI+, Marine Le Pen, elle, ne cesse de le soutenir.
Elle l’a ainsi félicité en avril dernier lorsqu’il a remporté l’élection et le droit de poursuivre un quatrième mandat, et a été reçue en Hongrie, tapis rouge compris, en octobre. Comme le rappelle Têtu, Marine Le Pen a d’ailleurs diffusé une vidéo de soutien du président hongrois à l’un de ses meeting à Reims en février, dans laquelle ce dernier déclare : « Nous voulons protéger les familles et nous ne voulons pas laisser entrer les militants LGBT dans nos écoles. »
Au lieu de condamner les lois homophobes voulues par Orbán, le RN les a toujours soutenues. Dans les médias d’abord, la candidate entretient régulièrement cet amalgame dangereux entre sexualité et orientation sexuelle. Interrogée sur ces lois anti-LGBTI+, Marine Le Pen a par exemple affirmé être « contre tout prosélytisme sexuel à l’égard des enfants ».
Lorsqu’elle a été sollicitée sur la décision de l’UEFA (Union européenne des associations de football), qui a interdit à l’Allemagne d’illuminer le stade de Munich aux couleurs du drapeau arc-en-ciel en réponse à une loi hongroise visant à empêcher la promotion de l’homosexualité auprès des mineur·es, elle a encore une fois préféré fermer les yeux. « Je pense qu’il faut laisser le sport en dehors de la politique », s’est-elle contentée de répondre, avant de reprendre l’argumentaire de Victor Orbán estimant qu’il ne faut « faire la promotion d’aucune sexualité auprès des mineurs ».
Les votes du RN toujours hostiles
Au Parlement européen ensuite. Comme le rappelle Mediapart, les élus RN ont systématiquement défendu le pouvoir hongrois à Strasbourg. Le 8 juillet 2021, ils votaient contre une résolution condamnant la loi censée renforcer les droits des enfants dans la Hongrie de Viktor Orbán, mais qui contient des amendements associant homosexualité et pédocriminalité.

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Le RN a soutenu de la même manière la législation LGBTphobe de la Pologne, dont plusieurs régions s’étaient ainsi proclamées zones « sans idéologie LGBT ». « Il n’ y avait pas de zones anti-LGBT en Pologne », osait nier le députée RN Jordan Bardella en mai 2021, alors que certaines régions avaient en réalité fait marche arrière quatre mois plus tard sous pression de l’Union européenne. Le 11 mars 2021, les eurodéputé·es RN refusaient de déclarer l’UE « zone de liberté LGBTIQ » en réaction au recul des droits des minorités sexuelles en Hongrie et en Pologne.
En 2019 d’ailleurs, les mêmes élu·es votaient contre une une résolution qui s’inquiétait du nombre croissant d’agressions contre les LGBTI+ dans l’UE et condamnait en particulier la mise en place de ces zones « libres de toute idéologie LGBTI ». Lors du débat précédant ce vote, Hélène Laporte, actuelle cheffe de la délégation RN, maintenait le déni du parti : « La stigmatisation des personnes LGBT après le retour au pouvoir du parti conservateur Droit et justice, en 2015, reste à étayer. L’arrestation de militants ne constitue pas une généralité. »
Alors que la Russie harcèle sa population LGBTI+, Marine Le Pen a toujours entretenu des liens avec ce pays et loué les qualités de Vladimir Poutine. « Les grandes lignes politiques que je défends sont celles qui sont défendues par M. Trump et M. Poutine », clamait-elle en 2017.
"La Hongrie, la Russie de Vladimir Poutine, le Danemark, l'UDC suisse participent de la même vision patriote que la nôtre." #MENL
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) April 28, 2016
Complaisance vis-à-vis des « thérapies de conversion »
Si l’Assemblée nationale a voté à l’unanimité contre les « thérapies de conversion » supposées « guérir l’homosexualité », le RN s’est là encore distingué au Parlement européen. En mars 2018, l’UE fait voter deux amendements (non contraignants) pour encourager les initiatives interdisant les thérapies de conversion. Là encore, les 15 eurodéputés du Front national votent contre.
Interrogés par BuzzFeed, ils justifiaient leur vote en reprenant les mêmes éléments de langage homophobes. « Nous avons en effet voté contre ces deux amendements déposés par des députés d’extrême gauche, en raison de leur formulation qui participe de cette idéologie du genre que nous combattons. Le fait que ces deux amendements soient strictement identiques prouve d’ailleurs qu’il s’agit d’un copier-coller dicté par le lobby LGBTI », expliquait Nicolas Bay, alors élu au Front national.
Plus grave encore, la députée FN Marie-Christine Arnautu confiait ne pas être opposée à toutes les « thérapies de conversion ». « S’il s’agit d’interdire des activités de conseil librement consenties visant à aider les personnes LGBT qui, pour des raisons religieuses ou non, le désirent, alors les interdire va à l’encontre de leur propre liberté individuelle », avançait son cabinet.
Au-delà des votes et des positions toujours hostiles aux LGBTI+, un gouvernement d’extrême droite au pouvoir inquiète considérablement le monde associatif. En matière de lutte contre le VIH notamment, un véritable recul est à craindre. « Le financement de toutes les structures communautaires est menacé si Marine Le Pen remporte l’élection, alerte Camille Spire, présidente d’Aides. Cela aura un impact direct sur la lutte pour la prévention puisqu’il y a beaucoup de subventions qui viennent de la Direction générale de la santé, et dont on peut facilement penser qu’elles seraient supprimées. »
Les véritables craintes du monde associatif
Elle pointe également le risque de casser la prévention contre le « chemsex » (sexe sous drogue) qui se développe dans le milieu gay et qui est tout juste considéré par les pouvoirs publics. « Leur politique ultra-répressive contre les drogues pourrait avoir un impact considérable », ajoute Camille Spire, qui pointe surtout les conséquences dramatiques d’une victoire de Le Pen sur les réfugié·es et migrant·es.
Je ne suis pas sûre que la lutte contre la transphobie, la lesbophobie, l'homophobie, soit une priorité régionale.
« Sa politique migratoire mettra directement en danger les réfugiés déjà en danger dans leur propre pays et souvent discriminés lorsqu’il s’agit de personnes LGBTQIA+. Avec son principe de priorité nationale, leur accès aux traitements pourra être beaucoup plus compliqué avec la suppression de l’AME [aide médicale de l’État] », craint la présidente d’Aides.
« Or, le virus ne s’arrête pas à une communauté. Si l’épidémie de VIH flambe parmi les réfugiés ou les étrangers, cela flambera partout ailleurs, explique Camille Spire. Avec l’axe populiste tenu par Marine Le Pen, on peut aussi facilement imaginer que des outils de prévention comme la PrEP [un traitement visant à prévenir une contamination –ndlr] soient moins remboursés. »
Au sein d’Aides, l’inquiétude est en tout cas réelle. « Certains bénévoles pensent même que si elle est au pouvoir, nous pourrions disparaître. On a besoin de l’État pour faire une partie de notre boulot », rappelle Camille Spire. D’autant que le RN a déjà prouvé de quoi il était capable au niveau local.
À Metz, en novembre 2020, par exemple, un élu RN s’était opposé au versement de subventions à une association de lutte contre les discriminations LGBTI+. « L’association a déjà reçu plusieurs milliers d’euros d’argent public. Sur cette thématique comme sur d’autres, on poursuit la dérive sociétale », déclarait-il pour justifier son opposition. À Nice, c’est l’élu RN et ancien identitaire Philippe Vardon qui a regretté une subvention accordée au Centre LGBT de la Côte d’Azur, accusant l’association de « poursuivre un agenda politique ». En 2010 enfin, alors conseillère FN dans le Nord, Marine Le Pen s'opposait à une subvention versée à une association lilloise. « Je ne suis pas sûre que la lutte contre la transphobie, la lesbophobie, je ne savais même pas que ça existait moi, l'homophobie, soit une priorité régionale », expliquait-elle.
Les LGBT+, déjà attaqués aujourd’hui, seront véritablement en danger de mort demain.
« Il y aurait un prohibitionnisme et un racisme très présent qui nous font très peur, renchérit Giovanna Rincon, directrice d’Acceptess-T, une association qui milite contre les discriminations transphobes. On sait que les dialogues seront complètement difficiles, voire impossibles avec les autorités dirigées par l’extrême droite. Cette crainte nous oblige à réfléchir, à anticiper, pour éviter le pire auprès des populations qui sont déjà frappées par des lois extrêmement dures. »
Elle évoque le harcèlement encore plus important qui pourrait frapper les travailleurs et travailleuses du sexe, la question de l’accès aux soins ou au droit d’asile pour les personnes trans mais aussi la survie immédiate de son association. « On pourrait nous assimiler à des passeurs, être accusés d’une sorte de délit de solidarité », craint la militante, qui promet, quoi qu’il arrive, « de continuer à se battre ».
Pour Alice Coffin, militante lesbienne et élue Europe Écologie-Les Verts à la mairie de Paris, il n’y a qu’à s’appuyer sur le passé pour comprendre le danger d’une élue d’extrême droite au pouvoir. « L’exemple de la Manif pour tous en 2012 est riche d’enseignements sur la faible capacité de résistance de la population et des médias lorsque des gouvernements n’assument pas une défense claire des personnes LGBTI, explique-t-elle. On voit comment la société est perméable à un ciblage et à des attaques permanentes contre les LGBTI, qui se traduisent par une hausse massive d’agressions physiques ou verbales dans l’espace publique, ajoute-t-elle. Le terreau de l’homophobie est extrêmement présent et ne demande qu’à surgir. »
Le RN au pouvoir, selon elle, c’est le discours et la violence de la Manif pour tous confortés et généralisés. Le mouvement opposé au mariage pour tous a d’ailleurs publié, à l’instar de Sens commun, un communiqué pour appeler à voter contre Emmanuel Macron.
La libération possible d’une plus grande violence dans l’espace public, confortée par un gouvernement d’extrême droite, aurait enfin des effets immédiats. Alice Coffin prévient : « En tant que personnalité publique lesbienne, très concrètement, ce serait pour moi vivre sous la menace directe de la mort. Les LGBTI déjà attaqués aujourd’hui seront véritablement en danger de mort demain. »