Chaque 31 décembre, « Les vœux de... » Vidéo

Les vœux de liberté de Sandrine Rousseau

Chaque nouvel an, Mediapart propose à un-e citoyen-ne d’être notre président-e de la République d’un soir, afin de rappeler que celle-ci nous appartient à toutes et tous. Cette année, Sandrine Rousseau nous offre ses vœux de liberté pour 2018, en hommage à la libération de la parole des femmes face aux violences sexuelles.

Cet article est en accès libre.

Pour soutenir Mediapart je m’abonne

La République nous appartient, sans distinction d’origine, de condition, d’apparence, de croyance, de sexe ou de genre. Chaque année depuis 2010, Mediapart demande donc à un-e citoyen-ne de remplacer et de précéder le président en place dans l’exercice des vœux présidentiels. Cette année, c’est Sandrine Rousseau, économiste, enseignante-chercheuse à l’université Lille-1, âgée de 45 ans, qui nous offre ses vœux de liberté. Elle succède dans cet exercice citoyen et mediapartien à Stéphane Hessel (vœux de résistance pour 2011), Moncef Marzouki (vœux d’espoir pour 2012), Édouard Martin (vœux de lutte pour 2013), Ariane Mnouchkine (vœux d’épopée pour 2014), François Morel (vœux de courage pour 2015), Océanerosemarie (vœux de paix pour 2016) et Assa Traoré (vœux de fraternité pour 2017).

Sandrine Rousseau est l’une des témoins clés de l’affaire Denis Baupin, ces faits d’agressions et de harcèlements sexuels révélés en mai 2016 par Mediapart et France Inter à l’encontre du dirigeant écologiste (voir notre dossier), affaire se terminant par un classement sans suite pour cause de prescription. Figure du parti Europe Écologie-Les Verts (EELV), elle en fut la porte-parole de 2013 à 2016 et fut élue sous cette étiquette au conseil régional du Nord-Pas-de-Calais jusqu’en 2015.

Un an et demi après l’affaire Baupin en France, l’affaire Harvey Weinstein éclatait en octobre 2017 aux États-Unis et provoquait un ébranlement mondial (voir notre dossier). Les enquêtes du New York Times et du New Yorker sur les agressions et harcèlements sexuels commis par ce producteur de cinéma ont entraîné un mouvement massif de libération de la parole sous les hashtags #MeToo et #BalanceTonPorc. C’est pour saluer cet événement et souligner sa portée générale que nous avons proposé à Sandrine Rousseau d’être notre présidente de la République d’un soir.

Choix logique, sinon évident puisque, en septembre 2017, elle avait publié Parler (Flammarion), témoignage sur l’affaire Baupin où elle soulignait la difficulté de témoigner face à la domination masculine, aux préjugés et aux conformismes qui en sont les alliés. Ce livre lui valut, le 30 septembre, soit cinq jours avant le début de l’onde de choc de l’affaire Weinstein, une séance d’humiliation télévisuelle dans l’émission « On n’est pas couché », sur France 2, pour laquelle France Télévisions s’est vu récemment notifier une mise en demeure du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA, lire ici).

Après la sortie de son livre, Sandrine Rousseau a fondé Parler, « association qui aide à parler et que ça compte » dont la raison d’être est « l’accompagnement des victimes de violences sexuelles, de la prise de parole au dépôt de plainte, et après ». Le site de l’association est ici et vous pouvez l’aider en contribuant financièrement .

Toute l’équipe de Mediapart remercie vivement Sandrine Rousseau pour sa généreuse disponibilité. Voici le texte de ses vœux de liberté, qui déclinent la devise républicaine en l’actualisant afin de la rendre vivante et concrète : 

Chers concitoyens, chères concitoyennes,

Ce n’est pas si souvent que ces mots sont prononcés par une femme. Aussi je mesure  l’honneur qui m’est fait de pouvoir les dire aujourd’hui devant vous. Allez, pour goûter cet événement, je les redis : chers concitoyens, chères concitoyennes. D’ailleurs, je suis accompagnée de Marianne pour saluer ce moment, Marianne ou l’incarnation de notre République et donc de ses valeurs.

À propos de valeurs, plaçons 2018 sous le signe de celles qui nous unissent. La liberté d’abord. Voilà bien le mot le plus complexe sans doute de notre devise. Celle des uns s’arrête là où commence la liberté des autres, disait le philosophe. Permettez que je débute ces vœux sur la liberté de disposer de son corps, de l’habiller comme on le souhaite, de s’abandonner en l’offrant mais surtout d’en conserver l’intégrité.

2017 a été marquée par ces paroles toutes ensemble prononcées : Ça suffit ! Ras-le-bol ! Assez ! Nombreuses furent les femmes qui, d’un coup, ont crié leur ras-le-porc d’être « me too ». Assez d’être ramenées à notre corps, d’être présumées consentantes quand rien ne permet de le supposer. Ne plus supporter ces mains, ces prises de pouvoir, ces pénétrations non désirées. Les femmes ont parlé en 2017 librement, soudainement, et cela a été impressionnant, assourdissant même. D’aucuns ont jugé l’épisode inquiétant : mais que va-t-on pouvoir faire maintenant ? La drague a-t-elle été tuée dans l’œuf du « balance ton porc » ? 

Formulons le vœu que 2018 soit l’année de la concrétisation et de l’amplification de ce mouvement d’émancipation, que cette nouvelle année soit marquée du sceau de la liberté conquise par les femmes à disposer entièrement de leur corps et donc que le plaisir, le désir soit libéré de la peur ou de la crainte. Que nos bouches, nos corps et nos mains s’unissent dans la liberté et en toute égalité mais toujours avec notre plein accord éclairé et énoncé. Oui nous avons envie de faire l’amour, non nous ne voulons pas être violées. Que 2018 soit alors sous le signe de l’amour et non de la guerre, surtout pas des sexes. Alors vous, les hommes, qui ne souhaitez en aucun cas être assimilés, emportés dans l’amalgame, rejoignez ce mouvement et dites combien vous aussi la souhaitez, cette société de femmes libérées et égales. 

L’égalité justement, seconde valeur de notre République. Là aussi, le chantier est vaste. Dans l’égalité pourtant, ce qui est important n’est pas tant le constat sans cesse répété de l’état des inégalités que la force que l’on se donne ensemble pour que l’égalité progresse. Au milieu des mers ou au sommet des montagnes, des hommes et des femmes bravent les éléments pour aider celles et ceux qui y risquent leur vie, au nom de l’égalité. Un homme égale un homme égale une femme, d’où qu’il vienne et où qu’il aille.

Remarquez ce détail : ils n’y vont pas seuls, ils et elles s’unissent, mettent en commun leurs forces et leur humanité pour que l’égalité progresse. Ce mouvement souvent discret est à l’œuvre dans bien des domaines. Au sein des entreprises, des hôpitaux ou ailleurs, les lanceurs et lanceuses d’alerte comptent sur notre relais, notre sensibilité pour ne pas laisser les plus gros, les plus forts, les plus riches l’emporter. Alors, pour 2018, je vous souhaite ceci : offrir un peu de votre force et de votre énergie, la mettre en commun et en partage pour que, qui que vous soyez, où que vous soyez, vous permettiez et participiez, même modestement, à la progression de cette grande cause : l’égalité. 

La fraternité. Considérer l’autre comme un frère – ajoutons : ou une sœur. Respecter, aider, être bienveillant et bienveillante. Considérer l’autre avec respect, c’est aussi le regarder différemment. Sortir des préjugés, de ce que nous croyons savoir, de ce sentiment de supériorité qui nous aveugle si souvent, suppose parfois plus d’efforts qu’il n’y paraît.

Voici des propos bien classiques pour une nouvelle année : soyons plus fraternels. Permettez que j’élargisse le cercle de la fraternité. Permettez que j’y mette une forme de rapport à la nature. Que l’on considère les éléments du vivant comme appartenant à un tout avec nous. N’imaginons pas que la nature, les animaux sont là pour servir les hommes et leur destin. Imaginons que nous appartenons à un ensemble dont chaque pièce finalement se doit de trouver l’équilibre avec les autres. 

La fraternité n’est sans doute pas le bon mot, il faudra en trouver d’autres comme nous l’avons fait avec sororité pour expliquer combien les sœurs étaient aussi solidaires. Regarder la planète et ses ressources naturelles comme Picsou regardait un tas d’or nous conduit dans le mur. Et si changer de rapport à la nature était dans la continuité du changement de rapport aux autres hommes et femmes ? Si respecter l’autre nous conduisait aussi à regarder les animaux, les arbres sous un autre jour ?

La planète va mal et les discours n’y changeront rien. Que 2018 soit l’année de l’action en matière climatique, envers et contre toutes les grandes gueules ignorantes, fussent-elles haut placées. Que 2018 soit l’année de votre, de notre prise réelle de conscience. 

La liberté est un but, l’égalité un moyen, la fraternité une manière d’y parvenir. 

Avec Marianne à mes côtés nous vous souhaitons, chers concitoyens et concitoyennes, une année 2018 pleine de liberté, d’égalité et de fraternité.

.... 

Eh Marianne, tu en as pensé quoi ? Tu es restée de marbre, j’ai bien vu. 2018 sous le signe des femmes, c’est pas mal non ? Quoi ? Oui, bon, c’était une petite blague… Tu es de marbre, je sais. Ben, au moins comme ça, toi tu ne pleures pas à la télévision... Faut voir le côté positif. Allez, Marianne, liberté, égalité, sororité !