La République nous appartient à toutes et tous, sans distinction d’origine, de condition, d’apparence, de croyance, de sexe ou de genre. Chaque année depuis 2010, Mediapart demande donc à un·e citoyen·ne (ou à plusieurs) de remplacer et de précéder le président en place dans l’exercice des vœux présidentiels. En somme, de le destituer symboliquement dans une contre-programmation de ce rituel monarchique où la volonté de toutes et tous est confisquée par le pouvoir (et la parole) d’un seul.
Pour 2022, nous avons souhaité saluer la génération #MeToo, ses mobilisations et ses courages, ses audaces et ses lucidités. Sollicitées par Mediapart, Marylie Breuil, Hajar Outaik et Mathilde Simon se sont rencontrées pour concevoir leurs vœux. Toutes trois, dans des secteurs et sur des registres différents, incarnent la politisation de toute une jeunesse qui, à partir de la dénonciation des violences sexistes et sexuelles, affronte toutes les prédations et toutes les discriminations.
Mathilde Simon a été licenciée du McDo où elle travaillait après avoir dénoncé des faits de violences sexistes, ce qui a donné lieu à la création du collectif McDroits (lire notre reportage). Hajar Outaik est l’une des cofondatrices du collectif StopFisha qui lutte contre le harcèlement sexiste en ligne (elle témoignait dans notre podcast « La relève »). Marylie Breuil est la nouvelle porte-parole de NousToutes, organisation à l’initiative de manifestations fédératrices, où elle succède à Caroline De Haas (un passage de relais annoncé dans le Club de Mediapart).
« Nous sommes les jeunes filles en feu » : cette proclamation, à la fin de leurs vœux polyphoniques, est un hommage à l’insurrection fondatrice d’Adèle Haenel dont le témoignage sur Mediapart (à voir ici, à lire là) fut l’ultime déclencheur du #MeToo français. Femmes, travailleuses, racisées : Mathilde, Hajar et Marylie abattent les murs qui séparent, cloisonnent et enferment. Le chemin qu’elles indiquent est de convergence, de rassemblement et d’unité quand les discours et politiques aujourd’hui dominants séparent, opposent et divisent.
Ces vœux mediapartiens ont aujourd’hui onze ans. Trois jeunes filles en colère succèdent dans cet exercice citoyen à Stéphane Hessel (vœux de résistance pour 2011), Moncef Marzouki (vœux d’espoir pour 2012), Édouard Martin (vœux de lutte pour 2013), Ariane Mnouchkine (vœux d’épopée pour 2014), François Morel (vœux de courage pour 2015), Océanerosemarie (vœux de paix pour 2016), Assa Traoré (vœux de fraternité pour 2017), Sandrine Rousseau (vœux de liberté pour 2018), Vincent Verzat (vœux de lucidité, solidarité et radicalité pour 2019), Charline Vanhœnacker, Guillaume Meurice et Frédéric Fromet (vœux de joie pour 2020), Yasmina Kettal (vœux de santé pour 2021).
Toute l’équipe de Mediapart remercie vivement Marylie Breuil, Hajar Outaik et Mathilde Simon d’avoir généreusement accepté de relever ce défi et vous souhaite, à son tour, courage et force pour affronter les défis de l’année à venir. Défis qui, plus que jamais, ne sont pas minces alors que l’extrême droite est aux portes du pouvoir et que ses thématiques idéologiques ont d’ores et déjà gangrené le débat public.
Voici le texte des vœux pour 2022 de nos trois présidentes de la République d’un jour :
Mes chères concitoyennes, mes chers concitoyens,
Je n’ai que 23 ans, et pourtant ma colère est immense. Immense parce que j’ai grandi et je me suis construite avec un signal d’alerte. Permanent. Il est là dès que je mets un pied dehors. La peur d’être sifflée, suivie, agressée ou violée.
Je suis en colère parce que je vis dans une société où un ministre de l’intérieur a été mis en cause pour viol, parce que je vis dans une société où un candidat à l’élection présidentielle est accusé d’agressions sexuelles. Je suis en colère parce que je vis dans une société où le silence et la protection des agresseurs sont les mots d’ordre. Et pourtant, la lutte contre les violences devait être la « grande cause du quinquennat ».
Travailleuses, travailleurs,
Je sais ce que vous subissez. J’étais employée d’une multinationale depuis mes 18 ans. Harcelée parce que je suis une femme, insultée parce qu’on ripostait, puis renvoyée parce qu’on se mobilisait.
Je n’en peux plus d’être l’objet des fantasmes des uns ou de la haine des autres
Je suis en colère parce que je sais que beaucoup d’entre vous vont au travail la boule au ventre, parce que, pour eux, vous êtes et vous serez toujours trop noir·e, trop gros·se, trop musulman·e, trop couverte ou pas assez, trop féminin·e ou pas assez. Ou parce que vous ouvrez, selon eux, trop votre gueule. Et si ça ne vous convient pas, ils vous mettront à la porte. Ils vous tiennent avec un salaire de misère et vous avez l’impression que vous n’avez pas le choix.
J’ai 22 ans et je fais partie de ce nous que la société s’évertue à rejeter. Je suis en colère parce que la double peine que nous, femmes et personnes racisées, subissons dure depuis bien trop longtemps.
Je n’en peux plus d’être l’objet des fantasmes des uns ou de la haine des autres. Ils disent de moi que je suis hystérique, que je suis un danger pour la France. Alors qu’ils parlent sans cesse de moi, ma parole est muselée, reléguée au second plan, partout et tout le temps. En 2022, je ne veux plus qu’on soit entendu·es, je veux qu’on soit écouté·es. Nous, femmes, trans, queers, racisé·es, lesbiennes, gros·ses et handicapé·es, nous exigeons qu’une audience nous soit accordée pour que les choses changent.
Je suis en colère parce que des mouvements d’extrême droite instrumentalisent nos luttes féministes à des fins racistes. Ils ont essayé de nous faire taire en nous attaquant sur les réseaux sociaux, au travail, à l’école et dans la rue. Ils n’ont pas réussi.
Pourtant, ils ont franchi un nouveau seuil de violence. Lors du meeting d’un soi-disant « homme politique », ils nous ont attaqué·es. Attaqué·es parce que nous sommes féministes, antiracistes, anticapitalistes. Certaines et certains d’entre nous sont sortis de ce meeting en sang. Je ne veux pas vivre dans un monde où l’on subit des attaques fascistes et où l’on doit s’inquiéter de nos soi-disant « forces de l’ordre ». Je ne veux pas vivre dans un monde où cette force est utilisée contre les trans, les travailleurs et travailleuses et les réfugié·es qui défendent leurs droits.
À celles et ceux qui nous disent « je ne crois pas à cette histoire » ou « vous n’aviez qu’à pas boire », à celles et ceux qui sont censés nous protéger mais qui nous demandent si on ne l’a pas un peu cherché, qui nous demandent si on n’exagère pas un petit peu, qui nous demandent comment on était habillées : arrêtez de remettre en cause notre parole !
Je suis chargée de détermination, de force et de colère
Je veux d’une société où la culture du viol n’existe plus. C’est dans cette société-là que je veux vivre. Celle où les institutions nous écoutent. Dans une société où les professionnels de santé, les policiers, les juges, nous respectent et ne remettent pas en cause notre parole.
Je suis chargée de détermination, de force et de colère. Et c’est cette colère qui me permet de militer. Et je ne suis pas la seule. Nous sommes dans la rue, sur les réseaux sociaux, dans les collèges, les lycées et les facs, dans les associations, dans les usines, dans les entreprises. Nous sommes tous et toutes ensemble avec, partout, la même conviction : les violences sexistes et sexuelles ne sont pas une fatalité.
Quand la société nous lâche, on trouve de la force auprès des nôtres. En 2022, on avance avec nos sœurs et nos adelphes. On leur imposera de nous faire la place qu’on mérite.
Nous sommes à l’heure où la peur et la honte changent de camp. À l’heure où le plafond de verre s’effondre. À l’heure où la digue craque sous le poids de notre révolte.
À vous qui nous regardez et qui pensez qu’il est déjà trop tard, nous pouvons mener à bien nos combats. Il n’est jamais trop tard. Il n’est jamais trop tard pour vouloir une société inclusive, égalitaire et non violente.
Il est temps d’éduquer ton pote, d’éduquer ton fils, d’éduquer les hommes. Et à toi qui as été agressé·e, harcelé·e ou violé·e, n’oublie jamais que : je te crois. Tu n’y es pour rien et tu n’es pas seul·e.
Prenez garde, la relève est là
À vous tous et toutes qui nous écoutez, c’est un combat que nous devons mener ensemble. Hommes et femmes. Nous devons prendre le temps d’inculquer aux plus jeunes le consentement, la non-violence et l’acceptation.
À celles et ceux qui refusent une société égalitaire et inclusive, qui ont peur d’un simple pronom car iels n’acceptent pas le changement, sachez que nous serons là et que nous allons rester. Nous serons dans les livres d’histoire et dans les dictionnaires, que vous le vouliez ou non.
À vous, les femmes trans, en situation de handicap, réfugiées, racisées, musulmanes et juives, ouvrières et travailleuses du sexe, nous sommes ensemble et nous allons continuer de nous battre à vos côtés afin que votre parole ne soit jamais éteinte. Et ce n’est qu’ensemble que nous ferons changer les choses.
Prenez garde, la relève est là. Nous sommes les jeunes filles en feu.
Nous vous souhaitons une bonne année 2022. Une année pleine de force. De détermination. Et de révolte.