L’objectif était précis : 22 000 emplois devaient être supprimés entre 2006 et 2009. Des centaines de salariés de France Télécom ont payé au prix fort cette gestion. L’ex-PDG Didier Lombard et six autres hauts responsables ont fait face à la justice. Récits d'audience.
Neuf ans après les premières plaintes, les juges d’instruction ont ordonné un procès contre France Télécom et sept de ses dirigeants pour harcèlement moral. La politique de management instaurée par Didier Lombard, alors PDG du groupe, visant à déstabiliser les salariés est mise en cause.
Depuis l'arrivée du nouveau PDG Stéphane Richard en 2011, le climat social s'était apaisé chez Orange-France Télécom, ébranlé par une vague de suicides en 2008-2009. Mais depuis le début de l'année, une série noire – dix suicides en moins de deux mois – ravive les vieux démons.
Le parquet de Paris a demandé le renvoi en correctionnelle de l’opérateur téléphonique ainsi que de sept dirigeants, dont l'ancien patron Didier Lombard, pour « harcèlement moral » ou « complicité de harcèlement moral », une nouvelle étape vers un procès.
Didier Lombard, ancien PDG de France Télécom, a été mis en examen pour « harcèlement moral » dans l'enquête sur les suicides qui ont endeuillé l'entreprise ces dernières années. Une première. « On franchit un pas important dans la direction d'un procès », se félicite Jean-Paul Teissonnière, l'avocat du syndicat Sud, à l'origine de la plainte.
Jean-Paul Teissonnière, avocat du syndicat Sud qui a déposé plainte au pénal contre France Télécom et ses anciens dirigeants, s'inquiète. Selon lui, l'enquête en cours risque d'être limitée et seuls quelques responsables locaux pourraient être poursuivis.
On n'en parle plus. Mais le malaise social reste profond chez France Télécom. Dix salariés se sont suicidés depuis janvier. Selon les syndicats qui se fondent sur l'audit social mené par Technologia, «entre 1000 et 2000» salariés fragilisés psychologiquement seraient «en danger».
Et si c'était encore pire qu'on croyait? Lundi, le cabinetTechnologia publiait la synthèse des 80.000 réponses des salariés deFrance Télécom sur leur malaise au travail. Accablant. Mais une autreétude remise le même jour, compilant 45 rapports de comités d'hygiène et de sécurité, fait apparaître encore plus crûment l'ampleur de la crise. De 2001 à 2008, France Télécom a détruit 44.700emplois: cela s'est fait à la hache. Mediapart a lu les 169 pages, annexes comprises... Décryptage.
Une première. Stéphane Richard, DG d'Orange/France Télécom, a reconnu le suicide d'un fonctionnaire comme accident du travail. Michel D., cadre à Marseille, en charge des réseaux, s'était suicidé il y a un an. Mediapart avait alors rencontré ses collègues.
La cour d'appel de Paris a condamné France Télécom-Orange à verser 170 000 euros à Renée L. Pour les juges, elle a subi un « harcèlement moral » et son licenciement en 2000 est dénué de fondement. L'affaire rappelle que le management par le stress est une pratique ancienne dans l'ex-entreprise publique.
En septembre 2009, Rémy L., l'employé de France Télécom Orange qui s'est immolé mardi par le feu, lançait une «lettre ouverte» à son «employeur» et à l'Etat. Dans ce document transmis sur Frenchleaks, il dénonce en termes crus sa «mise à la poubelle».
Un employé de France Télécom-Orange s'est tué mardi près de son ancien lieu de travail, à Mérignac (Gironde). Il avait subi plusieurs mutations forcées sous l'ère Lombard, l'ancien PDG. Le malaise social reste profond dans le groupe dirigé désormais par Stéphane Richard. Explications et entretien vidéo avec Yves Minguy, de l'association «Les Blessés de Next».
Yves Minguy, informaticien tombé en dépression, vient de créer la première association des «blessés» de France Télécom pour offrir «un point de repère» aux victimes des restructurations de l'ère Lombard. Et exiger que la direction actuelle s'occupe mieux des plus fragiles.
20 octobre 2006. Devant des cadres supérieurs, Didier Lombard et les dirigeants de France Télécom annoncent l'accélération de la restructuration de l'entreprise. Mediapart et Santé & Travail s'en sont procuré le compte-rendu. Les propos sont crus, brutaux, martiaux parfois. Relire ce document trois ans et 34 suicides plus tard fait frémir : la tragédie est annoncée... Une enquête de Mathieu Magnaudeix et François Desriaux, rédacteur en chef de Santé & Travail.
Une première : Sud-PTT va déposer plainte au pénalcontre France Télécom, dont 34 salariés se sont suicidés depuis deux ans. Selon nos informations, le PDG Didier Lombard sera nommément visé. L'ancien numéro deux et le DRH du groupe pourraient également être poursuivis. L'avocat de Sud, qui s'est illustré dans les dossiers de l'amiante et AZF, fustige un «crime organisationnel». L'inspection du travail pointe des «infractions» au code du travail.
C'était le 20 janvier 2009. La souffrance au travail chez France Télécom était déjà une réalité. Mais dans une manifestation interne, Didier Lombard, le patron d'Orange préférait stigmatiser ceux des salariés de France Télécom qui «ne sont pas à Paris, qui pensent que la pêche aux moules c'est merveilleux... eh bien c'est fini». Façon peu élégante de pointer la persistance d'un certain esprit fonctionnaire au moment où le PDG exige: «Il faut s'adapter avec une rapidité encore plus grande». Depuis début 2008, vingt-quatre salariés de France Télécom se sont donné la mort, quatorze ont tenté de se suicider.
Vingt-trois suicides de salariés et treize tentatives depuis début2008. Quelque chose ne tourne plus rond à France Télécom.Mediapartpublie cinq documents distribués aux managers entre 2006 et 2008: durant ces deux ans, France Télécom a supprimé 16.000 postes et muté 10.000 personnes. Il est expliqué aux cadres comment annoncer les réorganisations et «accompagner» les collaborateurs dans le «deuil» de leur poste.