Un quart des ouvriers français sont salariés dans le secteur de la logistique. Moussa, 67 ans, est l’un d’entre eux.
Auprès de Mediapart, il raconte des années de chargement et de déchargement de camions qui l’ont abîmé durablement. Depuis deux ans, aucune mission ne lui est donnée et son corps s’effrite. Travailler dans ce domaine après 55 ans lui paraît impossible.
Moussa, 67 ans, salarié d’un entrepôt Geodis
« Je m’appelle Moussa, j’ai 67 ans, 68 ans en février, et je travaille à l’entrepôt de logistique Geodis de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) depuis le 7 novembre 1983. Je suis l’un de leurs plus anciens ouvriers.
Avant, j’habitais en Kabylie, j’ai fait des petits boulots jusqu’à mes 25 ans.
Depuis que j’ai été embauché, je n’ai fait que charger et décharger des choses lourdes. Mes os se sont usés. J’ai des douleurs tous les jours. Il n’y a pas que moi, c’est le cas de tous mes collègues parce que notre travail est très pénible. J’ai des collègues qui reviennent au travail même s’ils sont cassés, parce qu’ils n’ont pas le choix. J’ai un ami dans l’entrepôt, il a 62 ans et le médecin lui a déconseillé le poste qu’il occupe mais il continue de charger et décharger les camions parce que l’entreprise ne veut pas lui donner un poste adapté à son âge et à sa situation.

Dès mes premières années à Geodis, j’ai eu une hernie à cause du poids des charges portées tous les jours. Je ne l’ai pas déclarée en accident de travail, ni en maladie professionnelle. Tout ça, je ne savais pas. Je me suis mis en arrêt maladie et je me suis fait opérer.
Puis j’ai fait un accident en 2006, ma main a été écrasée par un colis de ferrailles. Ma main ne ferme toujours pas. J’ai été arrêté plusieurs mois, j’ai fait plusieurs opérations mais ma main ne veut plus se fermer. Encore maintenant, le matin, ça me fait mal.
On m’a fait un diagnostic à 18 % d’invalidité mais je suis retourné à l’entrepôt parce que j’ai pas le choix, il me faut ce salaire… Et pourtant, on ne nous paye pas beaucoup.
Moi, je gagne 1 800 euros avec toutes les primes, d’ancienneté et de nuit. Je pense que je suis payé aussi peu parce que je subis de la discrimination syndicale. J’ai été délégué syndical CGT pendant des années. Je n’accepte pas tout ce qu’ils me disent alors ils ne m’ont pas donné d’augmentation individuelle depuis des années.
On a juste 5 euros de panier-repas à midi, mais que voulez-vous que j’achète avec 5 euros, surtout en région parisienne ? Et pour ceux qui viennent en voiture, parce qu’ils ont des horaires de nuit, on ne nous donne que 10 euros par mois pour le carburant. C’est rien du tout.
Au niveau du salaire, on a essayé d’obtenir plus, mais on doit se battre avec la direction à chaque fois. C’est simple, ils nous considèrent comme des sauvages.
J’ai fait plusieurs fois la grève pour les salaires et je fais aussi celle pour les retraites, en 2019 et cette année aussi. Je perds un jour de salaire mais ça vaut le coup parce que si on n’y va pas, nous, qui va y aller à notre place ?
De toute façon, physiquement, à plus de 55 ans, c’est impossible de travailler à Geodis. On devrait être mis en préretraite, et que des jeunes prennent notre place. C’est un travail pénible, avec des ports de charge lourde, sur un rythme soutenu… La chaîne, c’est comme l’autoroute, il faut suivre parce que si vous vous arrêtez, ou que vous êtes en retard, ça fait un bouchon et ça bloque toute la chaîne.
C’est le Doliprane permanent. Même si je ne travaille plus depuis deux ans, c’est les années de travail d’avant que je subis.
En 2020, j’avais 64 ans et je suis tombé dans le coma une semaine après avoir eu le Covid. Quand je suis retourné au travail, ils ne m’ont plus donné de missions. Mes patrons ont peur que je tombe sur le quai, du coup je viens au travail mais ils ne me donnent rien à faire. En plus, le médecin du travail m’a interdit de porter plus que cinq kilos.
Je ne suis rattaché à plus aucun service. J’arrive à 17 h 30, je repars à 1 h 30 du matin, mais je ne fais plus rien depuis deux ans. Ils ne parlent pas avec moi mais ils ne veulent pas me licencier, à mon avis, parce que je suis protégé par le syndicat. Ils attendent que j’arrive à 70 ans et que je sois obligé de partir. Je trouve que c’est pas normal.
Cette réforme, elle va massacrer les travailleurs. Je vois ceux qui travaillent avec moi à l’entrepôt. Ils sont déjà usés avant 60 ans, on n’en peut plus. Je dors grâce à des cachets et j’en prends aussi la journée. D’ailleurs, j’ai toujours une boîte d’antidouleurs dans le vestiaire. C’est le Doliprane permanent. Même si je ne travaille plus depuis deux ans, c’est les années de travail d’avant que je subis. Même quand je m’allonge, mon corps me pique. »