Véronique a été vendeuse dans plusieurs boutiques, étalagiste freelance, responsable de magasin, elle a vendu des maisons individuelles entre les rayons des supermarchés, distribué des prospectus publicitaires, fait les marchés, gardé des enfants en accueil périscolaire pour la mairie tout en étant ouvreuse dans une salle de spectacle. Mais elle a aussi été secrétaire dans une direction départementale des services vétérinaires, ainsi qu’au cabinet du ministère de l’intérieur.
En bref, elle a travaillé toute sa vie, et ce, depuis l’âge de 15 ans. Une fois à la retraite, elle a dû reprendre un travail pour compléter sa maigre pension de 1 060 euros. Elle trie et lave la vaisselle dans un restaurant du Crous du sud de la France, dépitée de devoir encore travailler à la retraite. Elle a écrit plusieurs fois les motifs de sa colère à Emmanuel Macron, en vain.
« J’ai 65 ans, je suis à la retraite mais, comme ma pension est ridicule, j’ai repris un boulot : je fais la plonge dans un restaurant universitaire.
La première fois que j’ai travaillé, j’avais 15 ans, j’étais aide vendeuse de tissu pour un établissement Orosdi-Back à Rouen, qui a fermé depuis. Comme je n’avais pas encore 16 ans, mon patron me cachait pour ne pas se faire choper. Puis quand j’ai eu 16 ans, il m’a proposé un contrat et j’ai pas mal appris dans cette boutique. Ils m’ont même permis de prendre des cours aux Beaux-Arts pour devenir étalagiste. Ils m’ont gardée comme vendeuse étalagiste. En tout, j’ai travaillé là-bas de 1974 à 1980.

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Après cette première expérience professionnelle, j’en ai eu beaucoup d’autres.
Dans le détail, après Orosdi-Back, je suis devenue vendeuse dans la boutique de mode Creeks, de 1980 à 1984. Puis, j’ai travaillé en tant qu’étalagiste à mon compte, mais je suis meilleure étalagiste que comptable alors j’ai mis la clé sous la porte après un an. Je suis revenue au salariat et j’ai complètement changé de domaine : dans les supermarchés, je distribuais des tracts pour vendre des maisons individuelles. On essayait d’arrêter les gens pour leur faire signer des contrats, j’ai travaillé pour Tradi Atlas et Phénix Construction de 1985 à 1986. Et jusqu’à 1990, j’ai été vendeuse puis responsable d’un magasin qui vendait des machines à coudre.
Puis, en 1990, j’ai ouvert une boutique de tissus au Havre, ça a duré six mois c’est tout. Ça n’a pas marché parce que j’avais une mauvaise place dans le centre commercial, j’étais à l’entrée et pas à la sortie. Sauf que les gens font ce genre d’achats après leurs courses, pas au début. J’ai pas fait fortune, j’ai même rien fait du tout.
J’ai beaucoup travaillé dans le tissu parce que j’aurais aimé être styliste. C’était mon truc mais bon… J’aime coudre, je couds toujours d’ailleurs, je fais aussi du tricot, du macramé, c’est ma première passion.
D’ailleurs, j’ai pris tout juste deux mois et demi de congé pour ma fille puis j’ai recommencé à travailler. Le papa n’était pas présent mais, en général, à cette époque les papas n’étaient jamais présents.
Après la fermeture de ma boutique, j’ai fait les marchés de Normandie pour écouler mon stock, jusqu’à 1992. Tout de suite après, je suis partie dans le Sud avec ma fille qui était toute petite, je venais de me séparer de son père.
D’ailleurs, j’ai pris tout juste deux mois et demi de congé pour elle puis j’ai recommencé à travailler. Le papa n’était pas présent mais, en général, à cette époque les papas n’étaient jamais présents. Je me rappelle la difficulté pour trouver une place en crèche, attendre la nounou sur le palier qu’elle revienne de la promenade, c’était hyper compliqué. Pour ma deuxième fille, j’ai pris trois ans de congé maternité et son père à elle était plus présent.
De 1993 à 1994, je me régale : j’achète les tissus le matin, je couds aussi et je vends le lendemain sur les marchés du Sud. Je me régalais, c’était la liberté, mais je ne vendais pas beaucoup, j’avais un tout petit stand. Alors, une nouvelle fois, je plie boutique et je vends des vêtements sur un stand devant un Casino, dans le Var, pour un mec. Ensuite, je suis allée à Cannes, toujours pour ce même mec. Je travaillais dans l’une de ses boutiques et puis, un jour, pour une toute petite erreur, il m’a virée.
Et là, je m’apprête à vous raconter un conte de fées.
En partant, ce soir-là, je tombe sur un ami clochard qui faisait la manche près de la boutique où je travaillais. Je lui ai raconté que j’en avais marre de ce « boulot de merde ». Et alors, il m’a dit qu’il faisait aussi la manche devant la maison de l’adjoint au maire et que, si je voulais, il pourrait lui dire deux mots de ma part pour voir s’il n’y a pas un poste à la mairie pour moi. Sur le coup, j’y ai pas trop cru. Mais finalement, grâce à lui, je suis devenue ouvreuse au Palais des festivals et j’ai commencé à travailler dans les écoles de Cannes, je gardais les enfants tôt le matin avant les cours, et le soir après l’école.
Je serai toujours reconnaissante envers ce clochard de m’avoir trouvé du boulot mais les horaires, c’était l’enfer. Tout ça a duré six ans. Et pendant ces années, j’ai rencontré mon conjoint, c’était mon chef au Palais des festivals.
J’ai eu une carrière si longue, c’est long de tout raconter. Je suis devenue secrétaire après.
En octobre 2004, je suis devenue hôtesse d’accueil et téléphonique à la direction départementale des services vétérinaires, à Sophia Antipolis. Une copine avait vu l’annonce et me l’avait envoyée. J’y suis restée de 2004 à fin 2007. C’était génial. Entre-temps, j’ai passé un concours de la fonction publique et je suis rentrée au secrétariat du sous-préfet de Grasse. J’étais la troisième secrétaire, celle qui est un peu partout : aux courriers, aux photocopies, au téléphone… J’y suis restée jusqu’en avril 2012.
J’avais eu une rupture difficile, ma fille était à Paris, je me suis dit que quitter le Sud serait mieux et je suis allée à Paris. J’ai obtenu une mutation et je me suis retrouvée au secrétariat du ministère de l’intérieur, le vrai ministère !
Et, fin 2019, je rentre au cabinet du ministre de l’intérieur ! C’était Christophe Castaner le ministre à l’époque, c’est un mec fabuleux. Je m’occupais de toutes les cérémonies, des achats, de la logistique.
D’abord dans un service qui s’appelle « Avantage spécifique d’ancienneté, pour les policiers ». Bon, j’y suis restée un an et je ne comprenais rien. Je ne pourrais même pas expliquer ce que j’étais censée faire là-bas. Puis, j’ai passé six ans dans un service de comptabilité du ministère de l’intérieur. Je détestais les chiffres mais il y avait une très bonne ambiance alors je m’y suis mise à fond.
Et, fin 2019, je rentre au cabinet du ministre de l’intérieur ! C’était Christophe Castaner le ministre à l’époque, c’est un mec fabuleux. Je ne sais pas politiquement ce qu’il vaut – puis je ne parle pas de politique, moi, je suis antipolitique –, mais humainement, il était super, il était proche de ses équipes. Un mec en or. Je m’occupais de toutes les cérémonies, des achats, de la logistique, aussi bien pour un stylo que pour les traiteurs pour les soirées, les changements de canapé dans les bureaux… Puis, il y a eu ce foutu Covid. Quand il a fallu reprendre le travail au cabinet, je n’ai pas pu : j’avais très peur d’attraper la maladie dans le métro. Alors, je suis revenue à Versailles. J’ai pris un poste dans un secrétariat médical de police et j’y ai fini ma carrière, jusqu’à la retraite.
En tout, dans toute ma carrière, je ne dois même pas avoir un an de chômage, si on met de côté les congés parentaux que j’ai pris pour mes filles. Quand j’ai eu 64 ans, j’ai pris ma retraite : ouf ! libérée… J’ai même réussi à rentrer dans le Sud pour y passer la fin de ma vie.

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La retraite dans le Sud c’était le soleil, la mer, c’était bien. Sauf que je n’ai que 1 060 euros de retraite. J’ai pris ma retraite il y a cinq mois, en octobre 2022. Au début, je me disais que je pourrais m’en sortir. Comme je suis manuelle, j’imaginais que je pourrais faire quelques trucs de mes mains pour compléter ma retraite.
J’ai fait une partie de ma carrière dans le privé, l’autre dans le public, quelques années à mon compte. Je reçois ma pension de plusieurs caisses différentes et, ne me demandez pas pourquoi, mais on m’a expliqué que, pour chaque caisse, je n’avais pas assez cumulé. Finalement, je me suis vite rendu compte que ma retraite ne suffirait pas, avec mon loyer à 600 euros. Alors j’ai repris un boulot.
Un ami qui travaille dans un restaurant universitaire m’a dit qu’il y avait une place à la plonge. À mon âge… Vous imaginez ? Je n’ai pas le choix, sans ça, je ne peux pas vivre. Depuis le 16 janvier 2023, je m’occupe de la vaisselle, avec un contrat horaire. Je suis payée au Smic horaire, ça me fait 44,80 euros la journée.
C’est très dur. Il faut porter la vaisselle, les plateaux, il faut nettoyer les sols, les machines, c’est physique. Quand les jeunes viennent manger, ils repartent tous en même temps, alors il y a un gros coup de rush.
Je pense que monsieur Macron devrait venir là, en ce moment, à la plonge avec moi et me dire s’il accepterait que sa mère fasse mon travail.
Et en plus, le trajet est long : le matin je passe entre une demi-heure et trois quarts d’heure dans le bus, le soir c’est plus d’une heure. Je pars à 8 h 45 et je rentre entre 15 h 45 et 16 h 30.
Je suis à la retraite et pourtant je travaille cinq heures par jour, ça me bouffe ma journée, ça me bouffe ma vie, ça me bouffe ma santé. Je pense que monsieur Macron devrait venir là, en ce moment, à la plonge avec moi et me dire s’il accepterait que sa mère fasse mon travail. J’ai écrit au président de la République deux fois. Dans le premier mail, je lui ai expliqué la situation en lui demandant de m’aider, et son sous-fifre m’a répondu que le président avait bien pris note de mon message et qu’il en tiendrait compte. Ça me fait une belle jambe. Le deuxième mail, je n’ai reçu qu’un accusé de réception.
Je crois que de toute ma vie, je n’avais jamais fait grève. Sauf le 19 janvier. J’ai fait grève le 31 aussi et je ferai toutes les autres journées de mobilisation contre cette réforme des retraites parce qu’on travaille déjà trop et trop tard. »