Série Épisode 6 Le programme Le Pen 2017 au scanner de Mediapart

Programme du FN (6). Union européenne, par ici la sortie

Le souverainisme ayant toujours été l’une des pierres angulaires de son idéologie, le Front national affiche sans surprise une volonté de sortir la France de l’Union européenne.

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Dans son « projet présidentiel » en 144 points présenté mi-février, Marine Le Pen propose un « référendum sur notre appartenance à l’Union européenne ». Objectif : « Retrouver notre liberté et la maîtrise de notre destin en restituant au peuple français sa souveraineté (monétaire, législative, territoriale, économique). » Sortie de l’Union européenne et sortie de la zone euro ne sont plus mentionnées telles quelles, comme lors de précédentes campagnes, mais en dépit de ce lissage, c’est bien de cela qu’il s’agit. Le 23 février, dans une conférence à Paris portant sur sa « vision internationale », Marine Le Pen qualifiait ainsi l’UE de « totalitaire ». « L’Union diminue la France, elle la sépare du monde. Je ne me résous pas à voir la France diminuée, dépendante, séparée. […] Il est temps d’en finir avec l’UE », assurait celle qui, sept mois plus tôt, s’était félicitée de l’issue du référendum britannique. « Oui, il est possible de sortir de l’UE ! » s’était-elle exclamée le 24 juin 2016.

Outre qu’il y a une contradiction fondamentale à dire que l’appartenance à l’UE sépare la France du monde alors que c’est précisément ce qui l’ouvre et la relie à ses voisins européens, la négociation pour sortir de l’Union devrait, dans la tête de la présidente FN, aller très vite – quand bien même l’exemple du Brexit montre qu’il faudra certainement plus de deux ans pour réaliser ce qui s’impose d’abord comme un casse-tête juridique : dans un entretien accordé à Valeurs actuelles en juillet dernier, la candidate d’extrême droite déclarait qu’un référendum organisé dans les six mois après son élection devrait déboucher sur « une période de renégociation profonde de la nature de l’Union européenne ». Quand on lui pose la question de savoir comment cette sortie pourrait être organisée rapidement, elle répond : « J’aimerais que l’on arrête avec certains arguments techniques qui ne sont là que pour écarter les peuples des grands choix de leur destinée. S’est-on posé cette question lors de la chute du mur de Berlin ? S’est-on dit “ça va être compliqué” ? Non ! Ça s’est fait, point. »

L’organisation d’un référendum suppose cependant que les deux assemblées fassent une proposition conjointe ou que le gouvernement s’en saisisse. Autrement dit, il ne suffit pas que Marine Le Pen soit élue présidente, encore faut-il qu’elle dispose d’une majorité parlementaire.

En fait, sur ce point comme sur de nombreux autres du programme frontiste, simplification à l’extrême de la question et flou autour de la mise en œuvre dominent. Marine Le Pen fait comme si la France était seule à décider de son destin au sein de l’Union européenne. Comme s’il n’y avait pas 27 autres États membres. Comme si ceux-ci n’allaient pas réagir à pareille décision. Comme si un retrait unilatéral de la PAC (politique agricole commune), pour ne prendre qu’un exemple, n’allait pas avoir d’impact sur les exportations agricoles de l’Hexagone…

Le FN n’a pas de feuille de route pour mener la négociation et aucun objectif n’est affiché sur les différentes dimensions d’un exit français. Quid des programmes de recherche universitaire, d’échanges Erasmus, de mobilité des apprentis – auxquels ont pris part plus de 550 000 Français entre 2007 et 2015 ? Quid des fonds de développement régional, qui ont permis de réaliser d’importants investissements dans les régions les plus défavorisées du continent ? Quid de la compensation des pertes économiques entraînées par un retrait du marché économique européen ? D’après le Petit manuel économique anti-FN, réalisé par le collectif Ecolinks (éditions Le Cavalier bleu), l’appartenance de la France à l’UE génère au moins 1 à 3 points de PIB supplémentaire par an, soit entre 1 000 et 3 000 euros par an et par ménage. Comment le FN pense-t-il y remédier ? Démagogie ou impréparation totale, aucune évaluation chiffrée n’accompagne son scénario de sortie de l’UE.

Le Pen au scanner. Union européenne, par où la sortie ? © Mediapart

Contrairement à la critique de gauche visant les institutions européennes, l’Union, dans la vision frontiste, n’est pas réformable : il s’agit de la rejeter en bloc. Elle n’est jamais envisagée sous l’angle de ses innombrables enrichissements et apports depuis les débuts de la fondation du marché commun, il y a 60 ans, et surtout, comme le cadre de paix et de sécurité qu’elle a pu apporter depuis les lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Elle n’est jamais envisagée non plus sous l’angle de la solidarité entre États membres : pas un mot sur une éventuelle restructuration des dettes publiques qui pèsent sur les économies de la zone euro, Grèce et Italie en tête.

Le FN feint en outre de croire qu’en quittant l’UE, la France retrouverait une place de grande puissance dans le monde (« Refaire de la France un pays majeur dans le monde », dit le programme). Peut-on imaginer que la France ne va pas se retrouver affaiblie par une sortie unilatérale face au bloc des autres États membres ? Qu’elle va peser ensuite, seule, plus lourd que l’UE dans les négociations internationales – qu’elles soient commerciales, diplomatiques ou environnementales ? Qu’elle va faire le poids face à la Russie, l’Inde, la Chine, le Brésil… ?

Un coup d’œil sur les programmes passés du FN montre que cette position anti-UE, aujourd’hui présentée comme une évidence, est en réalité conjoncturelle. Le FN n’a pas toujours tenu ce discours : jusqu’à la chute du mur de Berlin, l’Europe était vue positivement comme un rempart face au bloc de l’Est. Dans son premier programme présidentiel, en 1974, Jean-Marie Le Pen prônait une « européanisation des forces armées face à la menace soviétique » ; en 1978, le programme du parti proposait même une « monnaie européenne »… C’est dans les années 1990 que le virage s’effectue, après le référendum de Maastricht et une fois la « menace » communiste disparue. Avec l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti, la critique de l’UE se fait plus féroce, Bruxelles devenant peu à peu responsable de tous les maux : perte de souveraineté, chômage, immigration… Ce n’est finalement que récemment que l’austérité budgétaire prônée par Bruxelles est remise en cause : en 2012 encore, le FN promettait au budget français un retour à un déficit zéro dans les six ans, ainsi que l’interdiction de présenter un budget en déficit par la suite – autrement dit précisément ce que la Commission a cherché à imposer ces cinq dernières années.

Ce positionnement anti-UE est d’autant plus paradoxal que le FN a largement profité des institutions communautaires. Les élections européennes ont toujours été favorables au parti, et c’est au scrutin de 2014 que le parti est arrivé pour la première fois en tête d’une élection. Il siège aujourd’hui avec 24 députés – dont Marine Le Pen – au Parlement de Strasbourg. Ce qui lui permet de bénéficier au passage de la manne des financements européens : le groupe « Europe des Nations et des Libertés » dont fait partie le Front national a touché 17,5 millions d’euros de financements publics pour quatre ans. Le FN perçoit en outre des subventions du fait de son appartenance à l’AMEN (Alliance européenne des mouvements nationaux), qui regroupe six partis nationalistes sur le continent. Et comme ses collègues eurodéputés, chaque élu frontiste touche plus de 35 000 euros par mois en indemnité parlementaire, indemnité de frais généraux et frais d’assistance parlementaire. Le Front national a profité de toutes ces ressources, à tel point qu’il est aujourd’hui mis en cause pour des emplois fictifs au Parlement européen : ce dernier réclame 339 000 euros à Marine Le Pen pour l’emploi d’assistants qui auraient travaillé pour le parti pendant leur mandat, et la justice française, de son côté, a ouvert une enquête.

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